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DEUX SIÈCLES DE DROIT<br />

DE LA FILIATION<br />

LivreI - TitreVII<br />

La filiation a toujours été un mystère, puisqu’elle dérive, dans sa dimension<br />

biologique, de ce moment « éminemment fugace et secret », qu’est<br />

la conception comme se plaisait à le qualifier le regretté bâtonnier De<br />

Gavre.<br />

Que savait-on de la conception et de la gestation humaine, en 1804?<br />

Pas grand-chose, car quand les légistes s’étaient enquis de la chose<br />

auprès des plus savants médecins, ils avaient reçu en réponse une dissertation<br />

où on pouvait lire : « Le terme de la naissance a été traité<br />

par Paul Zacchias d’après les données d’Hippocrate et d’Aristote.<br />

Voici comment il discute cette (...) question : Aristote voyant<br />

qu’Hippocrate avait admis des naissances depuis sept jusqu’à onze<br />

mois, en a conclu que l’homme n’avait point de terme fixe pour la<br />

naissance comme les autres animaux. De là, quelques tribunaux ont<br />

légitimé même une naissance de treize mois. Une foule d’auteurs et<br />

de jurisconsultes ont adopté l’opinion d’Aristote; ils l’ont appuyée<br />

sur la diversités des tempéramens (1), des saisons et des températures;<br />

sur la capacité variée de l’utérus, sur la quantité diverse du sang;<br />

sur la nature tout à la fois multipare et paucipare de l’espèce humaine,<br />

etc. » (2).<br />

Dès lors, le système qui avait été conçu était relativement simple, et tenait<br />

en trente articles assez courts.<br />

Il pourrait se résumer ainsi : hors de la légitimité, c’est-à-dire de la conception<br />

de l’enfant par deux personnes mariées ensemble, point de<br />

salut.<br />

D’où une restriction sévère des causes de désaveu de paternité, et une<br />

extension généreuse des modes de preuve de la légitimité (3), jusques et<br />

y compris la possession d’état (4).<br />

Dans le même temps, le statut de l’enfant naturel était volontairement<br />

défavorisé.<br />

L’enfant naturel « simple », issu de deux célibataires, pouvait rechercher<br />

sa mère en prouvant « qu’il est identiquement le même que l’enfant<br />

dont (la mère) est accouchée » (5), mais la recherche de paternité était<br />

tout simplement interdite, sauf le cas de l’enlèvement (6). L’enfant devait<br />

donc essentiellement espérer en sa reconnaissance volontaire par<br />

ses auteurs, puisque l’indication du nom de la mère dans l’acte de naissance,<br />

pourtant obligatoire (7), ne créait aucun lien de droit entre l’enfant<br />

et la femme désignée comme sa mère par l’acte.<br />

Il devait surtout espérer leur mariage, et la légitimation qui en était la<br />

suite (8) : car « les enfants naturels ne sont point héritiers » (9) mais<br />

seulement successeurs irréguliers, ne recevant qu’une part seulement de<br />

ce qu’ils eussent reçu s’ils avaient été légitimes, et pouvant être limités<br />

(1) ’ Telle était l’orthographe du temps.<br />

(2) Précis présenté par M. Fourcroy, « Sur l’époque de la naissance humaine,<br />

et sur les naissances accélérées et tardives », discussion au Conseil d’Etat en<br />

présence du premier consul, le 14 brumaire an X (5 novembre 1801), Fenet,<br />

t. X, pp. 13 et s.<br />

(3) Ainsi, « Le mari ne pourra, en alléguant son impuissance naturelle, désavouer<br />

l’enfant; il ne pourra le désavouer, même pour cause d’adultère, à moins<br />

que la naissance ne lui ait été cachée » (art. 313).<br />

(4) Article 320 du Code civil.<br />

(5) Article 341.<br />

(6) Article 340.<br />

(7) Article 57.<br />

(8) Articles 331 à 333.<br />

(9) Article 756.<br />

J.T. n° 6132 - 12/2004<br />

Larcier - © Groupe Larcier s.a.<br />

aopsomer@gbl.be / Groupe Bruxelles Lambert / aopsomer@gbl.be<br />

à la moitié de cette part déjà réduite, par une donation à eux faite par<br />

leurs auteurs de leur vivant (10). Leur famille était d’ailleurs limitée à<br />

leur seuls père et mère, car ils étaient sans lien à l’égard des parents de<br />

leurs auteurs directs (11).<br />

Encore ce statut était-il encore privilégié par rapport à celui des enfants<br />

adultérins et incestueux : pour eux, pas de recherche de maternité ou de<br />

paternité (12), ni même de reconnaissance possible (13).<br />

Sans filiation, ils étaient aussi sans autre droit vis-à-vis de leurs père et<br />

mère, autre que des aliments « réglés, eu égard aux facultés du père ou<br />

de la mère, au nombre et à la qualité des enfants légitimes ».<br />

Et si ces père et mère venaient à mourir, leur sort était scellé par cette<br />

sentence terrible :<br />

« Lorsque le père et la mère de l’enfant adultérin ou incestueux lui<br />

auront fait apprendre un art mécanique, ou lorsque l’un d’eux lui aura<br />

assuré des aliments de son vivant, l’enfant ne pourra élever aucune réclamation<br />

contre leur succession » (14).<br />

* * *<br />

Au bout d’un siècle, cette rigueur est apparue barbare, et le législateur<br />

a commencé à créer des expédients.<br />

La loi du 6 avril 1908, ainsi, a élargi le champ de la recherche de maternité<br />

(15) et de paternité (16), et a créé l’action alimentaire non déclarative<br />

de filiation (17).<br />

Celle-ci constitue un petit bijou d’hypocrisie bourgeoise (18).<br />

Supposons une domestique engrossée par le fils de ses patrons. Naturellement<br />

chassée pour avoir perverti ce pur jeune homme, elle a l’outrecuidance<br />

de lui réclamer ses frais d’accouchement et des aliments pour<br />

l’enfant.<br />

La bonne et le jeune bourgeois sont alors convoqués par le président du<br />

tribunal : la première doit comparaître en personne, le second pourra se<br />

faire représenter pour lui éviter la honte de la comparution.<br />

Si le bourgeois est grand seigneur et qu’il y a accord sur la pension, les<br />

choses en restent là dans le secret du bureau présidentiel.<br />

S’il n’est que gentilhomme, et qu’il admet les relations tout en discutant<br />

le chiffre de la pension, le débat est traité en chambre du conseil, mais<br />

le jugement est public.<br />

Ce n’est que si le géniteur est totalement réticent qu’il devra subir le discrédit<br />

du débat public.<br />

De façon très surprenante, cette institution très « datée » est passée<br />

quasiment sans aucune retouche dans la loi du 31 mars 1987 et fait<br />

toujours partie de notre arsenal juridique (19), où elle connaît un relatif<br />

succès, si l’on en juge par le flux constant de jurisprudence à son<br />

sujet.<br />

(10) Article 761.<br />

(11) Article 756, seconde phrase, sous la réserve de l’article 766, qui faisait<br />

succéder à l’enfant naturel mort sans postérité et dont les père et mère étaient<br />

décédés, partim ses frères et sœurs légitimes, partim ses frères et sœurs naturels.<br />

(12) Article 342.<br />

(13) Article 335.<br />

(14) On à peine à penser que ce texte avait encore force de loi dans notre pays<br />

il y a moins de vingt ans d’ici.<br />

(15) Article 341a.<br />

(16) Article 340a.<br />

(17) Article 340b et 340c (frais de gésine).<br />

(18) Voy., les règles de procédure relatées dans l’article 340 f.<br />

(19) Articles 336 à 341 du Code civil. Cette dernière disposition indique que,<br />

même s’il n’y a pas de lien de filiation, la prohibition de l’inceste est la même<br />

que si elle était établie : on peut difficilement imaginer plus tartuffe.<br />

2004<br />

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