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2004<br />

340<br />

DE LA POSSESSION<br />

Livre III - Titre XX - Chapitre II<br />

1. — D’emblée, le Code civil frappe par son imprécision lorsqu’il définit<br />

la possession à l’article 2228. Il s’agit de « (...) la détention on la<br />

jouissance d’une chose ou d’un droit que nous tenons ou que nous exerçons<br />

par nous-même, ou par un autre qui la tient ou qui l’exerce en notre<br />

nom ». Or, par définition, la possession n’est pas la détention sensu<br />

stricto, puisqu’elle allie le corpus et l’animus. En outre, la référence à<br />

la jouissance d’un droit, outre celle de la chose, n’est pas vraiment<br />

éclairante : on rappellera ci-après que la possession est un état qui produit<br />

ses effets indépendamment de la question de savoir si le possesseur<br />

est bel et bien titulaire du droit concerné. La possession est en réalité,<br />

suivant les définitions doctrinales classiques, un pouvoir de fait qu’un<br />

sujet de droit exerce sur une chose (corpus), dans une certaine intention,<br />

à savoir l’intention d’exercer pour soi-même un droit — généralement<br />

le droit de propriété — à l’égard de cette chose (animus).<br />

Une autre critique de forme peut-être adressée au législateur de 1804<br />

pourquoi s’est-il borné à intituler l’important titre final du Code « De la<br />

prescription », alors que ce titre porte d’abord sur la possession, la possession<br />

étant elle-même le socle de la prescription, dans les conditions<br />

que le Code énumère. Il aurait donc été préférable d’appeler ce titre :<br />

« De la prescription et de la possession », ainsi que le législateur français<br />

l’a d’ailleurs fait en rectifiant le titre en question en 1975.<br />

Mais là s’arrêtent, nous semble-t-il, les imprécisions ou lacunes du<br />

Code, qui sont vénielles. Le reste des dispositions n’a pas pris une ride<br />

et demeure pleinement pertinent.<br />

2. — Sont imparables dans leur forme ramassée, et constituent des éléments<br />

essentiels du système de la possession, tout en pouvant impressionner<br />

par leur abstraction à certains égards, les articles 2229 à 2241.<br />

Les conditions pour pouvoir prescrire, dont le cumul est à l’origine<br />

d’une possession utile, sont énoncées par l’article 2229. L’article 2030<br />

pose l’importante présomption, venant au secours du possesseur, suivant<br />

laquelle l’on est toujours présumé possédé pour soi-même et à titre<br />

de propriétaire (1). Les articles 2231 à 2235 énoncent des présomptions<br />

et des règles non moins importantes, dans le détail desquelles nous ne<br />

pouvons entrer ici.<br />

Il n’y a rien à retirer et rien à ajouter à ces dispositions, qui traversent<br />

les siècles sans encombre, souvent en étant puisées, par-delà l’ancien<br />

droit, directement au droit romain.<br />

3. — Le Code n’était pas non plus coupé des réalités et faisait preuve<br />

d’un certain pragmatisme. La possession simple, même de mauvaise<br />

foi, y engendre d’importants effets protecteurs du possesseur (2), qui se<br />

conçoivent dans un espace où la sécurité juridique est privilégiée, jusqu’à<br />

un certain point (3). Mais la possession de bonne foi reçoit ellemême<br />

les égards dus à sa plus grande légitimité. D’abord elle est présumée<br />

par l’important article 2268, ensuite elle dote le possesseur qui en<br />

est revêtu, de certains effets protecteurs plus spécifiques, comme il résulte<br />

des articles 549, 555, 2265 et 2279 du Code.<br />

4. — La possession est ensuite le socle de la prescription, particulièrement<br />

en matière immobilière, au travers des articles 2265 et s.<br />

5. — La possession est également protégée en tant que simple état de<br />

fait, en matière immobilière, par le régime des actions possessoires.<br />

(1) Cette première présomption sera complétée, très utilement pour le possesseur,<br />

par l’article 2279, en matière mobilière, comme on le rappellera dans un instant.<br />

(2) Un possesseur même de mauvaise foi peut « usucaper » par prescription<br />

trentenaire (cf. art. 2262, in fine, C. civ.).<br />

(3) Cf. les déclarations de M. Bigot Préameneu, ayant été le rédacteur de l’exposé<br />

des motifs du titre du Code civil consacré à la prescription. Voy. Recueil complet<br />

des travaux préparatoires du Code civil, par P.-A. Fenet, Paris, t. XV, p. 573 et s.<br />

J.T. n° 6132 - 12/2004<br />

Larcier - © Groupe Larcier s.a.<br />

aopsomer@gbl.be / Groupe Bruxelles Lambert / aopsomer@gbl.be<br />

Ici, nous sortons du Code civil pour toucher à des lois particulières : la loi<br />

du 25 mars 1876 d’abord (4), puis les articles 1370 (conditions des actions<br />

que sont la complainte, la dénonciation de nouvelle œuvre, et la réintégrande)<br />

et 1371 du Code judiciaire (principe de l’interdiction du cumul du possessoire<br />

et du pétitoire, et autres règles de droit judiciaire plus spéciales).<br />

Il est frappant de constater que lorsque le législateur est sorti du Code<br />

civil, il a dérapé quelque peu. Tel est le cas en ce qui concerne le régime<br />

de la réintégrande, l’action possessoire qui se veut la plus efficace, en<br />

cas de voie de fait privant totalement ou partiellement de la possession<br />

d’un bien ou d’un droit immobilier, ou de violence frappant la personne<br />

du possesseur. On sait qu’elle est une mesure de police fondée sur le<br />

principe que « Nul ne peut se faire justice à lui-même » et sur l’adage<br />

latin Spoliatus ante omnia restituendus (5). Elle est ouverte, eu égard<br />

aux conditions prescrites par l’article 1370 du Code judiciaire, au simple<br />

détenteur. Le demandeur en réintégrande ne doit donc pas faire la<br />

preuve d’une qualité de possesseur, encore moins d’une possession réunissant<br />

tous les caractères de la possession utile.<br />

On peut dès lors se demander pourquoi le Code judiciaire impose encore<br />

à un tel détenteur de rapporter la preuve que sa détention s’exerce à<br />

l’égard d’un bien immeuble ou d’un droit immobilier susceptible<br />

d’acquisition par prescription (cf. art. 1370, al. 1 er , 1 o et al. 2), alors que<br />

seul le possesseur ayant une possession utile, peut prescrire (cf.<br />

art. 2229, C. civ.), mais non le simple détenteur. La conséquence de<br />

cette excessive rigueur de la condition de prescriptibilité, dans son application<br />

totalement inadéquate à la situation d’un détenteur pouvant<br />

pourtant agir en réintégrande, est que ce détenteur sera privé d’action —<br />

celle-ci étant en principe déclarée irrecevable — lorsque le droit ou le<br />

bien pour lequel il devrait être réintégré, n’est pas prescriptible. Or, tel<br />

est le cas de biens du domaine public (6), ou d’une servitude de passage<br />

(7). Ils sont en principe imprescriptibles et, partant, ne sont pas sujets à<br />

protection par une réintégrande, ce qui est absurde puisque cette dernière<br />

est avant toute chose une mesure de police civile. Le législateur devrait<br />

pour la réintégrande corriger ce point en supprimant ou en assouplissant,<br />

en fonction des droits concernés, la condition préalable de<br />

prescriptibilité du droit ou du bien immeuble sujet à protection.<br />

Qu’il le fasse et il ne toucherait de toute façon pas au Code civil, étranger<br />

à cette matière. Notre grief n’est donc pas totalement de propos dès<br />

lors que nous examinons le Code, mais il y avait un sens à le rappeler<br />

eu égard à l’importance du régime des actions possessoires en matière<br />

de possession immobilière.<br />

6. — S’agissant de la possession mobilière, l’article 2279, antépénultième<br />

disposition du Code, est l’une des plus extraordinaires, dans le texte<br />

de son alinéa 1 er , qui frappe tel une formule magique : « En fait de meubles,<br />

possession vaut titre ».<br />

Le paradoxe de la disposition résulte en partie du mystère qu’elle recèle,<br />

encore accru par le fait qu’il n’est pas certain que les auteurs du Code<br />

eux-mêmes aient eu pleinement conscience de son véritable contenu et<br />

de son champ d’application réel et potentiel.<br />

N’oublions pas en effet qu’il s’impose de lire dans ce texte sibyllin deux<br />

règles distinctes : une règle de fond — « en fait de meubles, la possession<br />

vaut titre », c’est-à-dire est à l’origine du fond même du droit de<br />

propriété, dans le chef du possesseur — et une règle de preuve — « en<br />

fait de meuble, la possession vaut présomption de titre », c’est-à-dire<br />

permet au possesseur de répondre à la revendication du verus dominus<br />

que sa possession même lui confère un titre abstrait justifiant sa propriété,<br />

de sorte qu’il ne doit pas en principe, a priori, s’expliquer sur son<br />

(4) Sans remonter plus haut dans le temps, ce qu’il serait sans doute intéressant<br />

de faire.<br />

(5) Que celui qui a été dépossédé ou privé de sa détention soit remis en possession<br />

ou en détention, avant toute chose.<br />

(6) Cf. Cass., 20 déc. 1962, Pas., 1963, I, p. 494, et Cass., 8 déc. 1978, Pas.,<br />

1979, I, p. 410.<br />

(7) Cf. Cass., 23 févr. 1995, Pas., 1995, I, p. 203.

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