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Les juridictions de fond retiennent régulièrement le critère financier<br />
pour apprécier si les travaux envisagés peuvent être qualifiés de grosses<br />
réparations (10).<br />
5. — Quant au recours, il est unanimement admis que le nu-propriétaire<br />
dispose d’une action contre l’usufruitier pour le contraindre, en cours<br />
d’usufruit, à réaliser les réparations auxquelles il est tenu. En revanche,<br />
est généralement dénié à l’usufruitier tout droit d’action à l’égard du nupropriétaire<br />
pour l’obliger, en cours d’usufruit, à effectuer les grosses<br />
réparations. Cette solution est essentiellement motivée par le fait qu’en<br />
qualité de titulaire de droit réel, le nu-propriétaire ne peut être contraint<br />
à une prestation positive ni à réaliser des travaux qu’il n’est tenu d’effectuer<br />
à l’ouverture de l’usufruit (11).<br />
Peut-on voir dans deux décisions récentes prononcées, dans la même<br />
affaire, par le tribunal de première instance de Nivelles (12) et la cour<br />
d’appel de Bruxelles (13) une ébauche d’une évolution, voire même les<br />
prémisses d’un renversement de jurisprudence? Il est évidemment difficile<br />
de l’affirmer. Ces deux juridictions ont reconnu à l’usufruitier le<br />
droit d’agir contre le nu-propriétaire, en cours d’usufruit, pour le contraindre<br />
à lui rembourser le coût des grosses réparations qu’il avait été<br />
amené à supporter dans un immeuble à appartements soumis au régime<br />
de la copropriété. Le tribunal de première instance de Nivelles estime<br />
qu’il existe une corrélation et une symétrie entre les obligations respectives<br />
de l’usufruitier et du nu-propriétaire. Dès lors, pourquoi reconnaître<br />
au nu-propriétaire un droit d’action et le refuser à l’usufruitier? La<br />
cour d’appel, quant à elle, fonde sa décision d’une part, sur la fonction<br />
alimentaire de l’usufruit, qui ne peut dépendre du bon vouloir du nupropriétaire<br />
et, d’autre part, sur l’obligation imposée au nu-propriétaire<br />
par l’article 599 du Code civil, de ne pas nuire, par son fait ou de quelque<br />
manière que ce soit, aux droits de l’usufruitier. Ainsi, « le nu-propriétaire<br />
ne pourrait se cantonner dans l’inaction devant la détérioration<br />
du bien au détriment des droits de l’usufruitier ».<br />
6. — Le Code civil ne s’est guère préoccupé de l’usufruit portant sur des<br />
valeurs mobilières. S’il précise que l’usufruit peut avoir pour objet des<br />
meubles (art. 581) et notamment une rente viagère (art. 588), ou une<br />
créance, voire même des choses consomptibles (art. 587) — il s’agit<br />
alors d’un quasi-usufruit — (14), le Code civil ne définit pas les droits<br />
et les obligations du nu-propriétaire et de l’usufruitier.<br />
7. — Qui a le droit de prendre part aux assemblées générales? L’usufruitier<br />
ou le nu-propriétaire? Le Code civil n’a pas réglé cette question. Il<br />
est généralement admis que les statuts de la société dont les parts sont<br />
grevées d’un usufruit peuvent attribuer le droit de vote à l’usufruitier ou<br />
au nu-propriétaire, ou prévoir de modaliser l’exercice du droit de vote<br />
selon le type d’assemblée ou l’objet de la décision (15). Lorsque les statuts<br />
sont muets sur cette question, la question reste largement controversée,<br />
comme en témoignent les diverses positions doctrinales. Certains<br />
auteurs préconisent, raisonnant par analogie avec l’article 461 du Code<br />
des sociétés, que la société peut suspendre l’exercice des droits afférents<br />
(10) Liège, 7 mai 1990, R.G.E.N., 1992, p. 251, note; J.T., 1991, p. 342;<br />
J.L.M.B., 1990, p. 210; J.P. Saint-Nicolas, 28 févr. 1994, J.J.P., 1994, p. 365;<br />
R.W., 1994-1995, p. 994.<br />
(11) J. Hansenne, « La nature et le régime des grosses réparations en matière<br />
d’usufruit », note sous Cass., 22 janv. 1970, R.C.J.B., 1971, p. 485; H. De Page<br />
et R. Dekkers, Traité élémentaire de droit civil belge, t. VI, Bruxelles, Bruylant,<br />
1942, p. 281, n o 348; voy. la jurisprudence citée par A. Beerenboom,<br />
« Chronique de jurisprudence - Droits réels (1967-1972) », J.T., 1974, p. 293,<br />
n o 38; J. Hansenne, « Examen de jurisprudence (1976-1981) - Les biens »,<br />
R.C.J.B., 1984, p. 138, n o 75; J. Hansenne, « Examen de jurisprudence (1982-<br />
1988) - Les biens », R.C.J.B., 1990, pp. 494-501.<br />
(12) Civ. Bruxelles, 5 nov. 1990, J.L.M.B., 1993, p. 1435, note; Pas., 1990, III,<br />
p. 46, note.<br />
(13) Bruxelles, 5 nov. 1994, R.G.D.C., 1996, p. 450, note C. Vervliet.<br />
(14) L’usufruit qui porte sur des actions au porteur n’est pas considéré comme<br />
un quasi-usufruit : même s’il s’agit de choses de genre ou fongibles, elles ne<br />
sont pas consomptibles.<br />
(15) S. Nudelhoc et D. Karadshesh, op. cit., Rev. dr. U.L.B., 2003, p. 398 et réf.<br />
cit.<br />
J.T. n° 6132 - 12/2004<br />
Larcier - © Groupe Larcier s.a.<br />
aopsomer@gbl.be / Groupe Bruxelles Lambert / aopsomer@gbl.be<br />
aux parts, jusqu’à ce qu’une seule personne soit désignée comme étant,<br />
à son égard, propriétaire du titre (16). Cette solution est toutefois critiquée<br />
au motif que l’article 461 du Code des sociétés vise l’hypothèse<br />
d’une indivision, alors qu’il n’y a pas d’indivision entre l’usufruit et le<br />
nu-propriétaire (17). D’autres estiment que l’exercice du droit de vote<br />
relève des pouvoirs de l’usufruitier, en vertu de son droit de jouissance<br />
(18). D’autres encore sont d’avis que le droit de vote appartient au nupropriétaire,<br />
en sa qualité de porteur du titre (19), ou encore au motif<br />
que le droit de vote ne relève pas des actes d’administration (20). Enfin,<br />
certains auteurs attribuent le droit de vote à l’usufruitier ou au nu-propriétaire<br />
en fonction de la décision qui doit être prise (21).<br />
8. — Les articles 339 et 641 du Code des sociétés envisagent toutefois,<br />
de manière récente, l’existence d’un démembrement du droit de propriété.<br />
Ils prévoient en effet une procédure de transfert forcé du droit de<br />
vote pour justes motifs et permettent au tribunal d’ordonner que celui<br />
qui exerce le droit de vote à un autre titre que celui de propriétaire, et<br />
notamment l’usufruitier, transfère son droit de vote au titulaire ou aux<br />
autres titulaires de la part ou de l’action (22).<br />
9. — Lorsque l’usufruit a pour objet des parts sociales, l’usufruitier n’a<br />
droit qu’à la jouissance des sommes attribuées aux actions. Ainsi, il est<br />
admis que l’usufruitier a droit aux dividendes, considérés comme des<br />
fruits civils, et il peut les percevoir à proportion de la durée de son droit<br />
(23). En revanche, il n’a aucun droit sur la partie des bénéfices retenus<br />
par la société pour constituer la réserve, destinée à subsister dans la société<br />
(24).<br />
10. — L’évolution de la matière passe nécessairement par une clarification<br />
des droits et obligations de l’usufruitier et du nu-propriétaire. La<br />
doctrine et la jurisprudence y ont déjà contribué, depuis de nombreuses<br />
années, spécialement en matière immobilière. De manière plus récente,<br />
les auteurs s’interrogent sur les nombreuses difficultés que suscitent les<br />
usufruits portant sur des valeurs mobilières, qui se sont multipliés par la<br />
généralisation de l’usufruit du conjoint survivant. Cette réflexion s’accompagne<br />
d’un regard chez nos voisins français, dont les cours et tribunaux<br />
semblent davantage confrontés à ces questions (25). Pareille réflexion<br />
est de bon augure dans un contexte européen.<br />
Corinne MOSTIN<br />
Avocat au barreau de Bruxelles<br />
(16) R. Derine, F. Van Neste, H. Vandenberghe, Beginselen van Belgisch privaatrecht,<br />
II, A, n o 877; J. Van Ryn, Principes, t. I, n o 508.<br />
(17) I. De Poorter, « Geschillenregeling en vruchtgebruik », T.R.V., 2001, p. 376.<br />
(18) P. Baurain, « Modalités de l’usufruit successoral du conjoint sur les participations<br />
sociales », J.T., 1999, pp. 121-129; J. Du Mongh, « Vruchtgebruik op<br />
aandelen - Wie oefent de lidmaatschapsrechten uit? Herieuwdpleidooi door de<br />
vruchtgebruik », Not. Fisc. M., 1999, pp. 211 et s.<br />
(19) L. Weyts, « Vennootschap en erfrecht », Knelpunt van dertig jaar venootschapsrecht<br />
- Zoeken naar oplossingen voor de 21ste eeuw, reeks Rechtspersonen-<br />
en vennootschapsrecht, Kalmhout, Biblo, 1999, 44.<br />
(20) H. De Page et R. Dekkers, Traité élémentaire de droit civil belge, t. VI,<br />
Bruxelles, Bruylant, 1942, p. 222.<br />
(21) G. Horsmans, « Les sociétés commerciales - Les différents types et leur<br />
réglementation », Précis de droit commercial, IV, Louvain-la-Neuve, Faculté<br />
de droit U.C.L., 1996, p. 217; Fr. t’Kint, « Les actions et le droit de vote »,<br />
R.P.S., 1989, pp. 249-250.<br />
(22) S. Nudelhoc et D. Karadsheh, op. cit., Rev. dr. U.L.B., 2003, p. 407; I. De<br />
Poorter, « Geschillenregeling en vruchtgebruik », T.R.V., 2001, p. 373.<br />
(23) Cass., ch. réun., 16 janv. 1964, Pas., 1964, I, p. 520, confirmant Cass.,<br />
9 mars 1961, Pas., 1961, I, p. 745; R.C.J.B., 1961, p. 297, note J. Dabin, « Le<br />
mode d’acquisition par l’usufruitier des dividendes des actions de sociétés »;<br />
M. Hanotiau, « Des droits de l’usufruitier sur les dividendes d’actions de<br />
sociétés », Rev. not. b., 1961, p. 265; J. Hansenne, Précis, Les biens, t. II, Collection<br />
scientifique de la Faculté de droit de Liège, 1996, p. 1048, n o 1037.<br />
(24) J. Hansenne, Précis, Les biens, t. II, Collection scientifique de la Faculté<br />
de droit de Liège, 1996, p. 1048, n o 1037.<br />
(25) S. Nudelhoc et D. Karadsheh, op. cit., Rev. dr. U.L.B., 2003, p. 398 et les<br />
références en doctrine et en jurisprudence françaises.<br />
2004<br />
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