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2004<br />

230<br />

L’EXPÉRIENCE QUÉBÉCOISE<br />

DE RECODIFICATION<br />

DU DROIT CIVIL<br />

Le droit civil québécois fut codifié une première fois en 1866. Au cours<br />

des années 1950, conscient de la nécessité de moderniser le droit civil,<br />

le législateur entreprend un long processus de révision qui se terminera<br />

par l’adoption d’un nouveau Code. La genèse du processus de recodification<br />

sera brièvement présentée [I], puis seront exposés les travaux<br />

auquel a donné lieu ce vaste chantier [II], finalement les grandes orientations<br />

du Code seront exposées [III].<br />

I. — LA GENÈSE DU PROCESSUS<br />

Durant la première moitié du XIX e siècle, la codification du droit privé<br />

québécois est notamment présentée comme une solution propre à mettre<br />

un terme au problème de confusion des sources du droit. Jusqu’au milieu<br />

du siècle, des difficultés de nature politique et administrative empêchent<br />

la réalisation du projet. Les obstacles levés, l’Assemblée législative<br />

vote, en 1857, une loi qui charge trois juges de rédiger un Code<br />

civil en prenant modèle sur le Code Napoléon. La loi précise que les rédacteurs<br />

doivent rassembler le droit en vigueur dans la province et<br />

qu’ils peuvent proposer les amendements qu’ils estiment nécessaires. Il<br />

revient, par la suite, à l’Assemblée d’étudier les modifications soumises.<br />

Le nouveau Code, désigné sous l’appellation de Code civil du Bas-<br />

Canada, entre en vigueur en 1866 (1).<br />

L’idée de réformer le Code civil, loin d’être apparue spontanément, a<br />

fait son chemin petit à petit. Les premiers à traiter de la question voient<br />

la révision comme un moyen d’épurer le Code. Il est notamment suggéré<br />

de retrancher les dispositions désuètes qu’il contient (2), ainsi que les<br />

articles portant sur la procédure qui voisinent ceux de droit substantiel<br />

(3). Harmoniser l’ensemble du Code constitue le but ultime des promoteurs<br />

de la révision. La démarche souhaitée par ces juristes s’inscrit en<br />

droite ligne dans un courant protectionniste qui transforme le Code en<br />

véritable icône, au cours de l’entre-deux-guerres (4).<br />

La modernisation du droit civil figure, un peu plus tard, au nombre des<br />

motifs qui justifient une révision en profondeur du Code. A l’occasion,<br />

des auteurs signalent certaines institutions qui leur apparaissent ne plus<br />

répondre aux besoins de la société et même nuire à son progrès. Un des<br />

plaidoyers les plus convaincants en faveur d’une modernisation du<br />

Code vient de l’avocat Jean Turgeon qui, au début des années 1950, fait<br />

paraître un article sur le sujet dans la Revue du barreau. Il y souligne la<br />

désuétude de certaines règles du droit civil et fait ressortir l’inadaptation<br />

du Code à de nouvelles réalités : « [...] l’expérience acquise, les<br />

progrès de la science et les conditions économiques et sociales nouvelles<br />

exigent une révision complète tenant compte de la recherche<br />

scientifique » (5). Turgeon ne se contente pas, comme ses devanciers<br />

(1) Sur l’historique de la codification de 1866, voy., Brian Young, The Politics<br />

of Codification : the Lower Canadian Civil Code of 1866, Montréal, McGill-<br />

Queen’s University Press, 1994, xviii, 264 p.<br />

(2) Jules-Arthur Gagné, « Notre Code civil, ses qualités, ses défauts, ses<br />

lacunes », in Deuxième congrès de la langue française au Canada : Mémoires,<br />

t. 2, Québec, 1938, p. 201, p. 210.<br />

(3) Adjutor Rivard, « Notre législation », in Deuxième congrès de la langue<br />

française au Canada : Mémoires, t. 2, Québec, 1938, p. 139, pp. 160-162.<br />

(4) Sylvio Normand, « Un thème dominant de la pensée juridique traditionnelle<br />

au Québec : la sauvegarde de l’intégrité du droit civil », (1986-1987) 32, Rev.<br />

droit de McGill, 559-601.<br />

(5) Jean Turgeon, « De la revision du Code civil québécois », (1951) 29, Revue<br />

du barreau canadien, 70, 77.<br />

J.T. n° 6132 - 12/2004<br />

Larcier - © Groupe Larcier s.a.<br />

aopsomer@gbl.be / Groupe Bruxelles Lambert / aopsomer@gbl.be<br />

l’ont souvent fait, de traiter généralement de la question, il donne plusieurs<br />

exemples de modifications qu’il souhaite voir apporter à des dispositions<br />

du Code. Il est vraisemblable que cet article, écrit par un des<br />

avocats les plus en vue du barreau de l’époque, exerce une certaine influence<br />

sur le gouvernement.<br />

L’Assemblée législative se rend aux doléances des tenants d’une réforme<br />

du droit civil et vote, en février 1955, la loi concernant la révision<br />

du Code civil (6). Le processus de révision poursuit deux objectifs distincts<br />

soit, d’une part, d’éliminer les imperfections du Code en procédant<br />

à des corrections de style et d’agencement qui s’imposent et,<br />

d’autre part, de proposer au gouvernement des modifications de substance<br />

à apporter au Code. La révision doit, en outre, respecter le style<br />

législatif propre à un code de tradition civiliste.<br />

II. — LES TRAVAUX<br />

La recodification est une tâche dont les initiateurs mesurent rarement<br />

l’ampleur. L’exemple québécois montre les difficultés posées par une<br />

telle entreprise. Rapidement les artisans chargés d’une telle tâche se<br />

rendent compte qu’en plus de présenter un projet qui satisfasse les diverses<br />

composantes de la société, ils doivent composer avec une communauté<br />

juridique aux multiples facettes et un personnel politique qui<br />

perçoit rarement l’attrait d’un tel projet.<br />

1. — Les artisans<br />

La révision du Code civil, qui s’échelonne sur une quarantaine d’années,<br />

se divise en un certain nombre d’étapes successives où, tour à tour,<br />

la conduite des travaux sera confiée à des juristes issus du monde de la<br />

pratique, de l’université et de l’administration publique.<br />

La loi précisait que la révision du droit civil devait être confiée à un juriste.<br />

Le gouvernement désigne Thibaudeau Rinfret, ancien juge en chef<br />

de la Cour suprême du Canada, à titre de réviseur du Code. Les travaux<br />

commencent peu de temps après l’entrée en vigueur de la loi (7). Il est<br />

vraisemblable que Rinfret considère pouvoir mener rapidement à terme<br />

le mandat qui lui est confié. Il consulte la communauté juridique, puis<br />

il rédige des rapports succincts qu’il achemine au gouvernement. L’absence<br />

de réflexion critique et d’une méthode systématique de travail empêchent<br />

cette première phase des travaux de produire des résultats concrets<br />

et satisfaisants.<br />

L’avocat André Nadeau succède quelques années à Rinfret. Il compte<br />

sur une équipe pour l’aider à remplir sa tâche. Sa méthode de travail repose<br />

sur la participation d’experts externes à qui il demande d’analyser<br />

des parties du Code et de lui faire des suggestions de modifications appropriées.<br />

Les rapports soumis sont par la suite étudiés par un comité<br />

que Nadeau supervise. L’apport le plus significatif de Nadeau demeure<br />

son initiative de constituer un comité d’experts chargés de l’étude de la<br />

réforme des régimes matrimoniaux. Cette méthode de travail allait, par<br />

la suite, se généraliser.<br />

Après le départ de Nadeau, le gouvernement crée l’Office de révision du<br />

Code civil, dirigé par le professeur Paul-André Crépeau, à qui il confie<br />

la tâche de la poursuite de la révision amorcée. Le travail est organisé<br />

en comités (8), formés de praticiens, d’universitaires et de juges, qui<br />

étudient simultanément plusieurs sections du Code, de manière à accé-<br />

(6) S.Q. 1955, c. 47.<br />

(7) Sylvio Normand, « La première décennie des travaux consacrés à la révision<br />

du Code civil », (1994) 39, Rev. droit de McGill, 828-844.<br />

(8) Paul-André Crépeau, La réforme du droit civil canadien : une certaine conception<br />

de la recodification, 1965-1977, Montréal, Les éditions Thémis, 2003,<br />

pp. 48-51.

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