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En effet, la loi spéciale du 6 janvier 1989 a ouvert à tous les plaideurs<br />

la possibilité de faire poser par la juridiction saisie une question préjudicielle<br />

à cette Cour, portant sur la compatibilité d’une norme légale, tel<br />

un article du Code civil, avec les principes d’égalité des Belges devant<br />

la loi et de non-discrimination, contenus dans les articles 10 et 11 (35)<br />

de la Constitution (36).<br />

Ils ne s’en sont pas privés, et la matière de la filiation est probablement<br />

celle, au sein du droit civil, qui a fait l’objet du plus grand nombre<br />

d’arrêts, dont un nombre important constatait en effet une discrimination<br />

dans notre législation.<br />

A telle enseigne que le droit de la filiation nous est apparu, il y a dix ans<br />

déjà, littéralement décomposé (37) par l’effet de cette jurisprudence.<br />

* * *<br />

Depuis lors, la tendance n’a fait que s’accentuer, et l’arrêt rendu par la<br />

Cour d’arbitrage le 14 mai 2003 (38) représente sans doute un point de<br />

non-retour pour la législation actuelle.<br />

En effet, cette décision contient deux éléments qui n’étaient jamais apparus,<br />

du moins aussi nettement, dans la jurisprudence de la Cour : le<br />

revirement de jurisprudence et l’appel à une réforme législative contrôlée.<br />

Pour ce qui est du revirement, la Cour d’arbitrage, dans la lignée, sans<br />

doute, de toutes le cours suprêmes qui se respectent, le nie superbement.<br />

Il existe pourtant, au moins à deux endroits.<br />

La Cour affirme, d’abord (39), que les arrêts n os 39/90 et 63/92 qu’elle<br />

avait prononcés en 1990 et 1992, n’ont pas décidé que le pouvoir de<br />

contrôle du tribunal sur l’opportunité de la reconnaissance était discriminatoire<br />

en cas de défaut de consentement de la mère.<br />

Selon la Cour, ce qui avait été jugé discriminatoire, c’était le fait que<br />

seule la mère pouvait s’opposer à la reconnaissance, mais non l’enfant<br />

âgé de moins de quinze ans, par lui-même s’il est doué de discernement,<br />

par son représentant s’il ne l’est pas.<br />

Cependant, lorsqu’on relit ces deux arrêts, on constate qu’au travers de<br />

motivations différentes (40), la Cour a bien alors voulu restreindre le<br />

pouvoir d’opposition de la mère et du tribunal, lorsque la réalité biologique<br />

de la paternité n’était pas remise en cause.<br />

Et, réciproquement, on cherche en vain dans ces arrêts la portée que la<br />

Cour veut aujourd’hui leur prêter.<br />

Ensuite, la Cour, après avoir envisagé sa jurisprudence antérieure<br />

dans les arrêts nos 39/90, 63/92 et 36/96, qu’elle cite (41), déclare<br />

discriminatoire le fait que l’enfant de moins de quinze ans ne peut<br />

s’opposer à sa reconnaissance, par lui-même s’il est doué de discernement,<br />

et par son représentant s’il n’est pas doué de discernement<br />

(42).<br />

Ce faisant, la Cour omet de citer son arrêt n o 62/94 du 14 juillet 1994,<br />

par lequel elle jugeait, dans la foulée des arrêts nos 39/90 et 63/92,<br />

discriminatoire le fait que, la mère de l’enfant étant par hypothèse in-<br />

(35) Anciennement, avant la réforme constitutionnelle de 1994, 6 et 6bis.<br />

(36) Le champ du contrôle constitutionnel a été récemment élargi par la loi du<br />

9 mars 2003, M.B., 11 avril 2003.<br />

(37) A.-Ch. Van Gysel, « Le droit belge de la filiation décomposé », note sous<br />

C.A., 14 juill. 1994, J.T., 1995, p. 701.<br />

(38) Arrêt n o 66/2003, numéro de rôle 2433.<br />

(39) Attendu B.7.2.<br />

(40) Voy., sur la motivation de ces arrêts, notre étude : « Le raisonnement de la<br />

Cour d’arbitrage en droit de la filiation : cohérences et argumentations », in<br />

« La Cour d’arbitrage et le droit privé », Rev. dr. U.L.B., 2002, n o 25, p. 129.<br />

(41) Attendu B.2.2.<br />

(42) Attendus B.7.2 et B.8.<br />

J.T. n° 6132 - 12/2004<br />

Larcier - © Groupe Larcier s.a.<br />

aopsomer@gbl.be / Groupe Bruxelles Lambert / aopsomer@gbl.be<br />

capable de manifester sa volonté, le représentant de l’enfant puisse<br />

agir en annulation de la reconnaissance pour des motifs d’opportunité.<br />

On doit ainsi constater que la Cour ne rencontre pas sa propre jurisprudence,<br />

dans l’arrêt où elle se prononçait déjà — mais dans un sens contraire<br />

à celui que la Cour désire à présent promouvoir — sur le pouvoir<br />

du représentant d’un enfant mineur, de s’opposer à la reconnaissance de<br />

cet enfant.<br />

Certes, aucune règle n’établit le stare decisis à la Cour d’arbitrage.<br />

S’agissant d’une juridiction qui a le pouvoir d’annuler ou de rendre<br />

inefficaces des normes légales, un tel revirement de jurisprudence — et<br />

spécialement un revirement qui n’est pas proclamé comme tel — devrait<br />

pourtant être envisagé avec une particulière gravité, compte tenu<br />

de l’impact négatif très considérable qu’il doit nécessairement avoir sur<br />

la sécurité juridique élémentaire.<br />

Pour ce qui est de la lacune, la Cour proclame (43) « qu’il n’appartient<br />

pas à la Cour de décider la forme que devrait prendre la possibilité de<br />

contrôle, par l’autorité judiciaire, de l’intérêt de l’enfant de moins de<br />

quinze ans ou de l’enfant non doué de discernement à l’occasion de sa<br />

reconnaissance par son père ».<br />

Elle transfère donc la « patate chaude » au législateur.<br />

Mais elle indique immédiatement qu’« Il lui revient, en revanche, de<br />

constater que l’absence de toute possibilité, pour le juge, d’exercer un<br />

contrôle de l’intérêt de l’enfant âgé de moins de quinze ans en cas d’établissement<br />

de la filiation paternelle par reconnaissance, est contraire<br />

aux articles 10 et 11 de la Constitution ».<br />

En d’autres termes, la cour balise d’ores et déjà le contenu de la future<br />

législation belge en matière de filiation.<br />

Qu’il se contente de tenter d’adapter la loi à la jurisprudence de la Cour<br />

d’arbitrage (44), ou qu’il décide de mettre à plat tout le droit de la filiation<br />

et de recréer ex nihilo un nouveau système, il semble en effet que<br />

les jours de la loi du 31 mars 1987 soient comptés.<br />

Le commentateur de l’évolution du droit de la filiation sur les deux<br />

cents ans du Code civil — et ce sera notre remarque finale — ne peut<br />

qu’être saisi de l’accélération des choses : le premier système, celui de<br />

la légitimité, avait régné cent quatre-vingt-trois ans, celui actuellement<br />

en place semble, après dix-sept ans seulement, déjà énervé...<br />

Alain-Charles VAN GYSEL<br />

Chargé de cours à l’U.L.B. - Avocat au barreau de Bruxelles<br />

(43) Attendu B.8.<br />

(44) Voy. en ce sens, la proposition de loi de Th. Giet et K. Lalieux, « modifiant<br />

des dispositions du Code civil relatives à l’établissement de la filiation et aux<br />

effets de celle-ci », déposée le 1 er avril 2003 à la Chambre des représentants,<br />

s.o. 2002-2003, doc. 50, n o 2415/001.<br />

2004<br />

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