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2004<br />

244<br />

l’on entrevoit des possibilités. L’Union s’est en effet dotée de différents<br />

mécanismes lui permettant de faire face aux situations qu’elle n’avait<br />

pas expressément envisagées au moment de l’adoption de ses Traités<br />

constitutifs. La difficulté réside dès lors essentiellement dans la nécessité<br />

d’une volonté politique forte et d’un consensus entre les Etats membres.<br />

Or, ce sont précisément ces éléments qui restent sensibles.<br />

B. — Considérations d’ordre économique<br />

7. — Les considérations d’ordre économique sont à la base du débat<br />

sur l’opportunité de codifier le droit privé, ou même « simplement »<br />

le droit des contrats, en Europe. Ce sont en effet, des arguments de<br />

type essentiellement économique qui sont avancés par les défenseurs<br />

du projet ainsi que par les instances européennes pour justifier l’entreprise.<br />

Ainsi, la justification théorique du projet consiste à dire que, dans la mesure<br />

où la construction européenne serait principalement basée sur l’établissement<br />

progressif d’une zone de libre-échange au sein d’un vaste<br />

marché unique, la présence d’une pluralité de droits nationaux, avec lesquels<br />

il est pour l’instant impératif de jongler tant bien que mal, constituerait<br />

un frein, si pas matériel, à tout le moins psychologique, au développement<br />

des transactions transfrontières. Les agents économiques,<br />

ignorant dans la majorité des cas le prescrit des droits étrangers, seraient<br />

confrontés à des difficultés supplémentaires à l’occasion des transactions<br />

transfrontières, ce qui engendrerait une insécurité juridique accrue<br />

et une augmentation des coûts (23).<br />

Cette conception est vivement critiquée par les opposants au projet. Les<br />

différentes critiques formulées à cet égard peuvent, à notre sens, être<br />

rassemblées en une critique principale : cette affirmation n’est pas vérifiée!<br />

Ainsi, à l’encontre de la justification économique généralement avancée,<br />

l’on fait notamment valoir le fait que l’absence de droit civil unifié<br />

aux Etats-Unis ou au Canada n’a pas fait obstacle à la constitution d’un<br />

marché intérieur vaste et dynamique (24).<br />

Par ailleurs, un certain nombre d’auteurs sont convaincus que la justification<br />

économique avancée est non seulement non vérifiée, mais également<br />

inexacte. Ainsi, le professeur V. Heuze relève que le recensement<br />

des sentences rendues sous l’égide de la Chambre de commerce internationale<br />

entre 1995 et 2001 révèle que seulement 3% des litiges ont été<br />

soumis aux principes d’Unidroit relatifs aux contrats du commerce international<br />

(25) et, parmi ces décisions, seulement deux (soit moins de<br />

deux pour mille) à la demande des parties.<br />

Dans le même ordre d’idées, C. Jamin cite une étude sociologique<br />

réalisée dans le nord de la France sur le comportement des consommateurs<br />

dans les régions transfrontalières belges, anglaises et françaises,<br />

qui révélerait que l’élément déterminant de l’achat du bien de<br />

consommation serait formé, non par la connaissance éventuelle que<br />

les consommateurs peuvent avoir du droit de la vente du pays où ils<br />

contractent, mais par les différences de prix qui peuvent exister entre<br />

les produits (26).<br />

Enfin, il est également régulièrement relevé le fait que, loin de diminuer<br />

les coûts de transaction, l’introduction d’un Code civil européen entraî-<br />

(23) Voy., O. Lando et H. Beale, Principles of European Contract Law, vol. I,<br />

1995, p. XV.<br />

(24) Voy. notam. Y. Lequette, « Vers un Code civil européen? », op. cit., p. 101;<br />

Ph. Malinvaud, « Réponse – hors délai – à la Commission européenne : à propos<br />

d’un Code européen des contrats », op. cit., pp. 2549-2550.<br />

(25) C’est-à-dire à une législation uniforme du type de celle qui est envisagée<br />

dans la communication de la Commission comme l’une des options possibles.<br />

(26) Etude menée par le Centre régional de la consommation, Comportements<br />

d’achats transfrontaliers, décembre 1996, p. 76, citée par C. Jamin, « Un droit<br />

européen des contrats », op. cit., p. 52.<br />

J.T. n° 6132 - 12/2004<br />

Larcier - © Groupe Larcier s.a.<br />

aopsomer@gbl.be / Groupe Bruxelles Lambert / aopsomer@gbl.be<br />

nerait des coûts supplémentaires résultant du fait qu’un tel droit uniforme<br />

supposerait, pour être efficace, la création d’une juridiction ad hoc<br />

(ou éventuellement l’extension des missions de la Cour de justice des<br />

Communautés européennes), ce qui en soi entraînerait des coûts conséquents<br />

ainsi que du fait qu’une modification d’une telle ampleur provoquerait<br />

une grave insécurité juridique, au moins dans un premier temps,<br />

engendrant également des frais supplémentaires et donc une augmentation<br />

du coût des transactions (27).<br />

Ces quelques réflexions révèlent à quel point le discours des partisans<br />

du Code civil européen peut parfois mettre mal à l’aise dès lors que, à<br />

l’examen, l’on observe qu’il repose dans une certaine mesure sur une<br />

série de présupposés qui apparaissent plutôt comme un discours de légitimation<br />

du projet. Il semble en effet, ainsi que le relève à bon escient<br />

à notre estime le professeur Ph. Malinvaud (28), que ce dont se plaignent<br />

les opérateurs économiques ce n’est pas tant la diversité des droits<br />

que l’incertitude du droit applicable et la difficulté de le connaître. Or,<br />

la création, en sus des législations existantes, d’un nouveau droit privé<br />

apparaît à première vue plutôt comme un facteur d’insécurité juridique<br />

supplémentaire que comme un remède à l’incertitude des agents économiques.<br />

C. — Considérations d’ordre culturel<br />

8. — La dimension culturelle du projet de Code civil européen fait<br />

également couler beaucoup d’encre et suscite des réactions passionnées.<br />

Généralement, la pluriculturalité caractérisant l’Europe est présentée<br />

comme constituant un obstacle à l’élaboration d’un droit civil<br />

européen. Ainsi, des considérations d’ordre culturel sont avancées<br />

tant pour justifier l’infaisabilité du projet que pour condamner son<br />

opportunité.<br />

9. — S’agissant de la question de la faisabilité d’un droit privé européen,<br />

le débat semble s’inscrire autour de la problématique de l’existence<br />

d’un ius commune européen moderne.<br />

Un certain courant doctrinal se prononce en effet en faveur de la réactualisation<br />

d’un droit commun européen. Selon les partisans de ce<br />

courant doctrinal (29), le droit commun européen plongerait ses racines<br />

dans le ius commune du Moyen Age et des temps modernes qui<br />

n’aurait, en réalité, jamais complètement disparu, et ce, même au<br />

plus profond du XVIIIe et du XIXe siècle, âge d’or du nationalisme.<br />

L’on aurait toujours pu constater en effet la présence d’un substrat de<br />

culture juridique commune fondée sur les principes du ius commune<br />

médiéval (30) ainsi que sur la philosophie des Lumières. Cette philosophie<br />

juridique commune, en transcendant les droits positifs, créerait<br />

un canevas harmonisant susceptible de mettre en place les conditions<br />

nécessaires au développement de la démocratie et du commerce<br />

intracommunautaire.<br />

Inversement, certains auteurs s’appliquent à démontrer que la diversité<br />

culturelle européenne rendrait toute tentative de codification il-<br />

(27) Y. Lequette, « Vers un Code civil européen? », op. cit., p. 103; J. Huet,<br />

« Nous faut-il un “ euro »-droit civil? ”, Dalloz, 2002, p. 2613.<br />

(28) Ph. Malinvaud, op. cit., p. 2549.<br />

(29) Voy. le colloque qui eut lieu en 1977 à l’Institut européen universitaire de<br />

Florence, dont les travaux ont été publiés sous la direction de M. Cappelletti,<br />

Nouvelles perspectives d’un droit commun de l’Europe, Stijthoff-Bruylant,<br />

1978; la conférence réunie en 1991 à la Faculté de droit de Maastricht, dont les<br />

travaux furent publiés sous la direction de B. De Witte et C. Forder, Le droit<br />

commun de l’Europe et l’avenir de l’enseignement juridique, Kluwer, 1992;<br />

M. Delmas-Marty, Vers un droit commun de l’humanité - Entretien avec Philippe<br />

Petit, éd. Textuel, Paris, 1996; R. Schulze, « Le droit privé commun<br />

européen », R.I.D.C., 1995, pp. 7-32; R. Knütel, « L’unité du droit en Europe<br />

et le droit romain », Revue d’histoire des Facultés de droit et de la science juridique,<br />

1998, n o 19, pp. 125-169<br />

(30) Constitué de principes issus du droit romain et du droit canon.

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