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2004<br />

232<br />

B. — La jurisprudence et la doctrine<br />

Une préoccupation des artisans de la recodification fut de régler les conflits<br />

d’interprétation qui avaient, au fil des ans, opposé les différentes<br />

juridictions des tribunaux et parfois les auteurs de doctrine. Les rédacteurs<br />

ont donc cherché à identifier et à intégrer au Code des solutions<br />

prétoriennes ou encore à prendre position sur des solutions jurisprudentielles<br />

ou doctrinales incertaines, peu satisfaisantes ou incohérentes.<br />

Le Code civil du Bas-Canada s’était montré fort peu disert sur certaines<br />

questions et la doctrine comme la jurisprudence s’efforcèrent de combler<br />

ces lacunes. Les solutions avancées, malgré les avantages qu’elles<br />

offraient, laissaient parfois des zones d’obscurité susceptibles d’engendrer<br />

un inutile contentieux. Ainsi, en 1977, un arrêt de la Cour suprême<br />

était venu fixer, en s’inspirant de la doctrine, les conditions d’application<br />

de la doctrine de l’enrichissement injustifié (27). A la faveur de la<br />

révision du Code, l’enrichissement injustifié a été reconnu comme source<br />

d’obligations suivant les conditions arrêtées par la jurisprudence<br />

(1493, C.c.Q.) (28). Le ministre justifie l’introduction du nouvel article<br />

par la nécessité « [d’]éviter que ne se perpétue une certaine insécurité<br />

qui existait encore sur [l]es conditions d’exercice » (29) de cette source<br />

d’obligations.<br />

Au lieu de les entériner, le législateur a parfois décidé de rejeter des solutions<br />

acceptées par la jurisprudence. Une querelle a longtemps divisé<br />

la communauté juridique. Elle portait sur le droit de la victime d’un préjudice,<br />

lié par contrat avec la partie défenderesse, de pouvoir choisir<br />

d’appuyer son recours sur le régime de la responsabilité contractuelle<br />

ou sur celui de la responsabilité extracontractuelle. La doctrine s’était<br />

montrée plutôt défavorable à ce droit d’option, alors que la jurisprudence<br />

avait été plus réceptive. En 1981, dans un arrêt célèbre, la Cour suprême<br />

du Canada reconnut à la victime le droit d’opter pour le régime<br />

qu’elle estimait le plus approprié (30). Plusieurs auteurs réagirent en<br />

critiquant le jugement (31). Le législateur, sous l’influence de la doctrine<br />

majoritaire, a rejeté l’option des régimes (1458, al. 2, C.c.Q.), au motif<br />

que cette solution portait atteinte à la logique juridique et était de nature<br />

à engendrer des injustices envers l’une ou l’autre des parties au<br />

contrat (32).<br />

C. — Le droit comparé<br />

Le Code, selon le ministre de la Justice, n’a pas suivi de modèle législatif<br />

(33). En cela, il se distingue du Code précédent qui devait prendre<br />

modèle sur le Code Napoléon. Il ne faut certes comprendre de cette affirmation<br />

que le législateur n’a pas été influencé par le droit comparé.<br />

Au contraire, le droit comparé a exercé une influence considérable sur<br />

les travaux des rédacteurs du Code civil du Québec.<br />

Le projet de Code soumis par l’Office de révision du Code civil reconnaissait<br />

de nombreux emprunts ou sources d’inspiration au droit comparé,<br />

perçu comme un « précieux, voire un indispensable, instrument<br />

d’évolution du droit » (34). En revanche, les commentaires du ministre<br />

de la Justice sur le Code civil mentionnent fort peu de renvois au droit<br />

étranger. Il demeure que, pour plusieurs articles du Code s’inscrivant en<br />

filiation avec le projet de l’Office, il est possible de trouver leur racine<br />

dans des sources étrangères. Un relevé systématique des sources citées<br />

(35) révèle que les livres sur le droit international privé et sur la preuve<br />

(27) Cie immobilière Viger ltée c. Lauréat Giguère inc., [1977] 2 R.C.S. 67, 77<br />

(le juge Beetz).<br />

(28) Cette abréviation désigne le Code civil du Québec.<br />

(29) Commentaires du ministre de la Justice, supra, note 24, pp. 916-917.<br />

(30) Wabasso Ltd. c. The National Drying Machinery Co., [1981] 1 R.C.S. 578.<br />

(31) Pierre-Gabriel Jobin, « Wabasso : un arrêt tristement célèbre », (1982) 27,<br />

Rev. droit de McGill, 813-833.<br />

(32) Commentaires du ministre de la Justice, supra, note 24, pp. 888-889.<br />

(33) Ibid., p. viii.<br />

(34) Paul-André Crépeau, supra, note 8, p. 21.<br />

(35) H. Patrick Glenn, « Le droit comparé et l’interprétation du Code civil du<br />

Québec », in Le nouveau Code civil : interprétation et application, Montréal,<br />

Les éditions Thémis Inc., 1993, p. 175, à la page 189.<br />

J.T. n° 6132 - 12/2004<br />

Larcier - © Groupe Larcier s.a.<br />

aopsomer@gbl.be / Groupe Bruxelles Lambert / aopsomer@gbl.be<br />

sont les plus perméables aux sources étrangères, avec la présence de<br />

telles sources pour 84% et 67% de leurs articles. Dans les autres livres<br />

du Code, le pourcentage des citations de sources étrangères est plus<br />

faible : les obligations (25%), les successions (17%), les biens (17%),<br />

les personnes (11%), la prescription (8%), les priorités et les hypothèques<br />

(7%), la publicité (7%) et la famille (2%). L’origine des sources<br />

varie sensiblement. Les sources françaises demeurent importantes, de<br />

même que celles qui viennent des juridictions de common law. A ces<br />

sources, où a traditionnellement puisé le droit civil québécois, s’ajoutent<br />

des instruments internationaux ou transnationaux (1468, 1469 et<br />

1473, C.c.Q.) et plusieurs codes ou projets de codes dont ceux de<br />

l’Allemagne, de la Belgique, de l’Éthiopie, de l’Italie, du Liban, de la<br />

Suisse ou de la Pologne.<br />

L’uniformisation des pratiques commerciales en Amérique du Nord explique<br />

que le droit des sûretés mobilières soit marqué par l’influence de<br />

la législation développée par les provinces canadiennes soumises à la<br />

common law et par les Etats américains. Le Code civil a donc adopté des<br />

solutions apparentées à celles retenues par la loi sur les sûretés mobilières<br />

(36) qui régit ce droit dans la province voisine de l’Ontario. Ce faisant<br />

le droit québécois s’est distancé du droit français.<br />

3. — La forme du Code<br />

Le travail de recodification a amené une révision de la terminologie de<br />

l’ancien Code qui a engendré son lot de critiques de la part de juristes<br />

opposés à un exercice jugé inutile. Cette révision visait d’abord et avant<br />

tout à rajeunir l’expression de la loi. La notion de dommage a ainsi été<br />

remplacé par « préjudice » (1457, C.c.Q.), celle d’exécuteur testamentaire<br />

par « liquidateur de la succession » (783, C.c.Q.) et celle d’enregistrement<br />

par « publicité » (2934, C.c.Q.) (37).<br />

Les rédacteurs du Code civil du Bas-Canada s’étaient montrés très réservés<br />

à l’inclusion de définitions. Pour sa part, le nouveau Code est<br />

nettement plus réceptif. Le législateur s’est, en effet, efforcé de décrire<br />

avec précision le contenu de dizaine de concepts juridiques. A titre<br />

d’exemple, il définit la clause abusive (1437, C.c.Q.), la propriété superficiaire<br />

(1110, C.c.Q.) et le contrat de consommation (1384, C.c.Q.).<br />

La doctrine a souligné le risque que pouvait entraîner la fixité du contenu<br />

des concepts de droit civil (38).<br />

Une des transformations importantes au droit civil réside dans le recours<br />

marqué à des notions floues comme la force majeure (1470,<br />

C.c.Q.), la clause abusive (1437, C.c.Q.), le préjudice sérieux (1420,<br />

C.c.Q.) ou l’intérêt général (1417, C.c.Q.). A plusieurs endroits, il utilise<br />

des qualificatifs tels « raisonnable » (art. 1392, 1436 et 1849),<br />

« déraisonnable » (7, 1437 et 1901, C.c.Q.), « excessive » (7, 1406 et<br />

2629, C.c.Q.), « légitime » (2230, 2261 et 2568, C.c.Q.) ou « justes »<br />

(1927 et 1967, C.c.Q.). Ces notions confèrent un large pouvoir d’appréciation<br />

au tribunal. Cette orientation est tout à fait compatible avec les<br />

nombreux pouvoirs d’intervention que le Code accorde au tribunal dans<br />

plusieurs circonstances. En droit de la famille, lorsque les époux ne parviennent<br />

pas à s’accorder sur l’exercice de leurs droits ou l’accomplissement<br />

de leurs obligations, le tribunal peut statuer (400, C.c.Q.). De<br />

même, en droit de la location, lorsqu’il existe un désaccord entre le locateur<br />

et le locataire sur des travaux majeurs à un logement, le tribunal<br />

(36) Loi sur les sûretés mobilières, L.R.O., 1990, c. p. 10.<br />

(37) Sur la question de la terminologie, voy., Louise Langevin et Denise Pratte,<br />

« Du Code civil du Bas-Canada au nouveau Code civil du Québec : l’influence<br />

de la codification française », in H. Patrick Glenn (dir.), Droit québécois et<br />

droit français : communauté, autonomie, concordance, Cowansville, Les éditions<br />

Yvon Blais inc., 1993, p. 63, aux pages 85-89.<br />

(38) John E.C. Brierley, « Les langues du Code civil du Québec », in Le nouveau<br />

Code : interprétation et application, Montréal, Les éditions Thémis,<br />

1993, p. 134.

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