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lusoire (31). Plus précisément, l’Europe serait le théâtre de deux traditions<br />

juridiques inconciliables, voire opposées : la tradition romaniste<br />

et la tradition de common law, chacune de ces traditions étant<br />

caractérisée par une« épistémologie propre » (32). La première,<br />

ayant pour concept central l’idée de système et privilégiant le raisonnement<br />

logique, regrouperait les droits où, selon le critère d’Alan<br />

Watson (33), le Digeste de Justinien y a été reçu à un moment ou à<br />

un autre de leur histoire comme ayant force de loi. La seconde aurait,<br />

quant à elle, toujours pensé le droit en terme de cas, privilégiant le<br />

raisonnement pragmatique et regrouperait les pays dont le droit est<br />

d’abord issu du droit anglais.<br />

Cette conception radicale apparaît toutefois aujourd’hui dépassée (34).<br />

Il semble en effet que la majorité des comparatistes conviennent actuellement<br />

que le rapport common law/civil law ne doit plus être pensé en<br />

tant que ces deux modes de pensée juridique seraient inconciliables<br />

(35).<br />

10. — Plus délicates encore sont les considérations qui ont trait à l’opportunité<br />

de codifier en Europe. Ainsi, certains auteurs, partant du postulat<br />

légitime que la richesse culturelle de l’Europe constitue l’un de ses<br />

atouts, considèrent que l’uniformisation du droit privé, ou du droit des<br />

contrats, en Europe détruirait, selon l’expression du professeur<br />

Ph. Malaurie,« la base profonde de la réalité humaine, sa pluralité<br />

culturelle » (36). Ces auteurs associent généralement le droit à la langue<br />

à laquelle est à son tour lié un riche patrimoine artistique, littéraire, philosophique<br />

et juridique, qui serait mis en péril par l’uniformisation du<br />

droit.<br />

Il convient toutefois, à notre sens, de relativiser quelque peu ces considérations.<br />

Ainsi, l’on constate que la plupart des auteurs précités<br />

sont français et s’indignent particulièrement à l’idée de mettre à mal<br />

leur Code civil qui, selon l’expression célèbre du professeur<br />

J. Carbonnier, constitue à leurs yeux « la Constitution civile de la<br />

nation » (37).<br />

L’on pourrait en effet logiquement imaginer que la question se pose en<br />

des termes différents suivant les Etats et donc suivant que le droit du<br />

(31) P. Legrand, « Sens et non-sens d’un Code civil européen », R.I.D.C.,<br />

1996, p. 781; J. Carbonnier, Droit et passion du droit sous la V e République,<br />

Paris, Flammarion, 1996, p. 175.<br />

(32) P. Legrand, « Sens et non-sens d’un Code civil européen », R.I.D.C.,<br />

1996, p. 781.<br />

(33) A. Watson, The Making of the Civil Law, Cambridge, Harvard University<br />

Press, 1981, p. 4.<br />

(34) Voy. à cet égard, A. Chamboredon, « The debate on a European Civil<br />

Code : For an Open Texture », in The Harmonisation of European Private Law,<br />

éd. Van Hoecke and Ost, Oxford - Portland Oregon, 2000, pp. 63-99; R. David,<br />

« Le droit continental, la Common Law et les perspectives d’un Jus Commune<br />

européen », in Nouvelles perspectives d’un droit commun de l’Europe, éd.<br />

M. Cappelletti, Bruylant et Le Monnier, 1978, pp. 115 et s.; W. Friedmann, « A<br />

Re-Examination of the Relations between English, American and Continental<br />

Jurisprudence - A Study of the Relations between Social Ideals and Legal<br />

Technique », Can. Bar Review, 1942, p. 188; I. Rorive, Le revirement de<br />

jurisprudence : étude de droit anglais et de droit belge, Bruxelles, Bruylant,<br />

2003.<br />

(35) Les comparatistes relèvent en effet l’apparition d’un double phénomène.<br />

D’une part, le droit britannique aurait tendance à utiliser progressivement de<br />

manière plus fréquente l’instrument législatif (statutes). D’autre part, l’effet inverse<br />

se produirait en droit continental de sorte que l’on assisterait à une influence<br />

croissante du droit jurisprudentiel dans nos pays.<br />

(36) Ph. Malaurie, « Le Code civil européen des obligations et des contrats -<br />

Une question toujours ouverte », op. cit., p. 284, n o 12; voy. égalem.,<br />

P. Legrand, « Sens et non-sens d’un Code civil européen », R.I.D.C., 1996,<br />

pp. 779-812; « European Legal Systems are not converging », International<br />

and Comparative Law Quaterly, 1996, pp. 52 et s.; « La leçon d’Appolinaire »,<br />

in Fragments on Law-as-Culture, Deventer, 1999, pp. 117 et s.; Y. Minatchy,<br />

« Un Code civil pour l’Europe : entre harmonisation et exception », Journ. procès,<br />

2004, n o 473, pp. 12 et s.; Y. Lequette, « Vers un Code civil européen? »,<br />

Pouvoirs, 2003, n o 107, pp. 95-126.<br />

(37) J. Carbonnier, Droit civil - Introduction, P.U.E., coll. Thémis, 26 e éd.,<br />

1999, n o 78.<br />

J.T. n° 6132 - 12/2004<br />

Larcier - © Groupe Larcier s.a.<br />

aopsomer@gbl.be / Groupe Bruxelles Lambert / aopsomer@gbl.be<br />

pays est ou non profondément ancré dans la culture. De ce point de vue,<br />

le professeur Ph. Malinvaud a classé les Etats européens en trois catégories.<br />

En premier lieu, les pays d’Europe de l’Est et d’Europe centrale, dits<br />

« en transition » à la suite de l’effondrement du régime soviétique et<br />

leur entrée dans l’Union (effective ou annoncée), qui ont complètement<br />

réformé leur droit en opérant généralement une réception, complète ou<br />

partielle, d’un modèle qui s’est avéré être souvent européen. En ce qui<br />

les concerne, l’on est autorisé à penser qu’ils seraient ouverts à l’idée<br />

d’un droit européen uniforme. En tous les cas, l’obstacle culturel ne<br />

semble pas déterminant les concernant.<br />

En deuxième lieu, l’on retrouve les Etats qui ont récemment réformé en<br />

profondeur leur Code civil tels que l’Allemagne ou les Pays-Bas et dont<br />

certains auteurs ont, à différentes occasions, rappelé que leur nouveau<br />

droit civil pourrait constituer un modèle adéquat pour le nouveau droit<br />

privé de l’Europe.<br />

Enfin, en troisième lieu, l’on regrouperait les Etats dont le droit conserve<br />

une dimension culturelle et historique importante, tel que la<br />

France. Certains auteurs dénoncent à cet égard les dangers qui pourraient<br />

résulter de la méconnaissance de cette dimension culturelle, à<br />

savoir le réveil des nationalismes, conséquence du déracinement engendré<br />

(38).<br />

III. — AVENIR DU PROJET<br />

DE CODE CIVIL EUROPÉEN<br />

11. — Ainsi que nous l’avons déjà relevé, le projet des instances<br />

européennes fait l’objet d’une littérature abondante, tantôt favorable,<br />

tantôt contraire. Toutefois, à notre estime, la plupart des auteurs discutent<br />

de la matière de façon abstraite en considérant essentiellement<br />

la question de savoir si la création d’un Code civil européen est nécessaire,<br />

possible et désirable et en concluant généralement avec des<br />

recommandations concernant ce qu’il convient de faire ou ce qu’il<br />

faut éviter.<br />

Or, la problématique de la codification, qui semble par ailleurs connaître<br />

un regain d’intérêt au sein du monde politique et scientifique actuellement,<br />

est caractérisée, à notre sens, par l’émergence de deux tendances.<br />

La première tendance privilégie la codification à droit constant de<br />

nouvelles branches du droit ayant acquis une autonomie à la suite de<br />

l’inflation législative dont elles furent l’objet, telles que le droit de l’environnement<br />

ou encore le droit de la t.v.a., et donne ainsi naissance à de<br />

nouveaux codes au contenu précis, dense et circonscrit (39). La seconde<br />

tendance est quant à elle plutôt caractérisée par l’apparition de codes de<br />

principes, ayant pour objet la mise en place du canevas général d’une<br />

matière, soit qu’ils se bornent à énoncer les bases en termes généraux<br />

de la matière visée, soit encore qu’ils constituent des codes de bonne<br />

conduite à l’usage des professionnels. Ce deuxième type de codification<br />

moderne est pour sa part généralement l’apanage d’organisation privées<br />

— émanant soit des professionnels du monde des affaires, soit des chercheurs<br />

issus du monde scientifique — ou encore d’organisations internationales.<br />

Le projet de Code civil européen ne pourrait à notre sens participer, dans<br />

son état actuel, que de la seconde tendance. En effet, si l’on s’attarde<br />

quelque peu sur le contexte actuel d’élaboration de ce Code civil européen,<br />

l’on est forcé de constater que le projet semble plus modeste que<br />

ce que l’on peut lire à son propos.<br />

(38) Voy. notam. Ph. Malinvaud, op. cit., p. 2547; Y. Lequette, op. cit., p. 113.<br />

(39) En France, a ainsi été instituée en 1989 la commission supérieure de codification<br />

chargée de la codification systématique du droit français.<br />

2004<br />

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