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2004<br />

318<br />

Il faudra attendre la dernière décennie du XXe siècle pour que le législateur<br />

accorde une protection cohérente au bail de résidence principale<br />

du preneur par la loi du 20 février 1991, modifiée par celle du 13 avril<br />

1997.<br />

La protection du bail de résidence principale s’inscrit dans le courant<br />

d’idées d’une reconnaissance du droit au logement. La Déclaration universelle<br />

des droits de l’homme (5) disposait déjà que « toute personne a<br />

droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et<br />

ceux de sa famille, notamment pour le logement » (6). Une résolution<br />

du Parlement européen du 16 juin 1987 demande « que le droit à l’habitat<br />

soit garanti par des textes législatifs, que les membres le reconnaissent<br />

comme un droit fondamental, et qu’il n’y a pas d’expulsion sans relogement<br />

de la personne ou de la famille concernée ». Enfin, l’article 23<br />

de la Constitution belge coordonnée le 17 février 1994 énumère, parmi<br />

les droits fondamentaux, le droit de chacun « de mener une vie conforme<br />

à la dignité humaine. A cette fin, la loi, le décret ou la règle visée à<br />

l’article 134 garantissent, en tenant compte des obligations correspondantes,<br />

les droits économiques, sociaux et culturels, et déterminent les<br />

conditions de leur exercice. Ces droits comprennent notamment ... « le<br />

droit à un logement décent ». Cependant si le droit du bail touche de<br />

près le droit au logement, il faut se garder d’assimiler l’un à l’autre. Le<br />

législateur est conscient que ce n’est pas uniquement au travers du droit<br />

du bail que l’on peut mener une politique du logement garantissant ce<br />

droit au logement décent (7).<br />

Le droit du bail ne concerne en effet que les rapports de droit privé entre<br />

propriétaire-bailleur et preneur.<br />

Le bailleur confère au preneur un droit de jouissance et d’usage à titre<br />

temporaire. Il lui confère donc le droit de jouir de sa propriété pendant<br />

une période donnée et limite en conséquence le droit de jouissance du<br />

propriétaire sur cette propriété. Or la Constitution garanti que nul ne<br />

peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique, dans le<br />

cas et de la manière établis par la loi, et moyennant une juste et préalable<br />

indemnité (Constit., art. 16), tandis qu’aucune peine de confiscation des<br />

biens ne peut être établie (Constit., art. 17). Pas question donc que la<br />

protection du droit de bail ne dégénère en une privation de la propriété.<br />

Le droit du bail, doit donc respecter tant le droit de propriété du bailleur<br />

qu’assurer la protection au preneur. Le législateur doit donc trouver un<br />

juste équilibre entre le respect de l’un et l’autre de ces droits.<br />

Réglementer le droit du bail, c’est tenter de concilier le droit d’usage du<br />

preneur avec le droit de propriété : exercice difficile, politiquement très<br />

délicat, car trop souvent fortement chargé émotionnellement, et où dé-<br />

(5) Approuvée et proclamée par l’assemblée des Nations unies le 10 décembre<br />

1948 (art. 25, résolution 217 (III) A.<br />

(6) Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels,<br />

adopté par l’Assemblée générale des Nations unies le 16 décembre 1966, dispose<br />

que « les Etats, parties au présent pacte, reconnaissent le droit de toute<br />

personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris<br />

une nourriture, un vêtement et un logement suffisants, ainsi qu’à une amélioration<br />

constante de ses conditions d’existence. Les Etats parties prendront les mesures<br />

appropriées pour assurer la réalisation de ce droit et ils reconnaissent à<br />

cet effet l’importance essentielle d’une coopération internationale librement<br />

consentie » (art. 11.1). La Charte sociale européenne, signée à Turin le<br />

18 octobre 1961, dispose qu’en vue d’assurer l’exercice effectif du droit des<br />

travailleurs immigrants et de leur famille à la protection et à l’assistance sur le<br />

territoire de toute autre partie contractante, les parties contractantes s’engagent<br />

(...) à garantir à ces travailleurs se trouvant légalement sur leur territoire, pour<br />

autant que ces matières sont régies par la législation ou la réglementation ou<br />

sont soumises au contrôle des autorités administratives, un traitement non<br />

moins favorable qu’à leurs nationaux en ce qui concerne les matières<br />

suivantes : ... c) le logement (art. 19.4, partie II).<br />

(7) Projet de loi visant à renforcer la protection du logement familial; exposé<br />

introductif du vice-premier ministre et ministre de la Justice et des Classes<br />

moyennes; rapport fait au nom de la commission de la justice de la Chambre<br />

par MM. Maeyeur et Herman, Doc. parl., Chambre, sess. 1990-1991, n o 1357/<br />

10, p. 3.<br />

J.T. n° 6132 - 12/2004<br />

Larcier - © Groupe Larcier s.a.<br />

aopsomer@gbl.be / Groupe Bruxelles Lambert / aopsomer@gbl.be<br />

fenseurs des uns et des autres s’affrontent dans les débats publics rarement<br />

sereins et objectifs.<br />

Il est de notoriété publique que les aspirations des uns et des autres sont<br />

bien souvent opposées. Les bailleurs — qu’ils soient investisseurs occasionnels<br />

ou professionnels — désirent obtenir le meilleur rendement<br />

du capital investi, ce qui implique l’obtention d’un loyer le plus élevé<br />

possible. Les preneurs, par contre, désirent obtenir la jouissance du bien<br />

à moindre frais, ce qui implique le payement du loyer le plus bas et l’imposition<br />

au bailleur de la charge d’entretien la plus large possible.<br />

Quant à la durée du bail qui concerne directement la garantie du droit<br />

d’usage dans le temps pour le preneur et la limitation corrélative de<br />

l’exercice du droit de propriété par le bailleur, l’attitude des deux parties<br />

est ambiguë. Le preneur désire obtenir la jouissance du bien loué aussi<br />

longtemps qu’il lui convient, ce qui implique la garantie d’une durée<br />

minimale du bail mais, d’autre part, il désire pouvoir quitter le bien dès<br />

qu’il ne désire plus en faire usage, ce qui implique beaucoup de souplesse<br />

dans la possibilité de résiliation unilatérale et/ou de cession du bail.<br />

Quant au bailleur, il désire lui aussi que le bail ne soit pas de trop courte<br />

durée, car tout changement de locataire implique des pertes de temps et<br />

des frais. D’autre part, une durée trop longue signifie l’impossibilité<br />

d’augmentation du loyer (mis à part l’indexation). La conclusion d’un<br />

nouveau bail permet — en particulier en cas de forte demande — d’augmenter<br />

le loyer.<br />

Il s’agit donc toujours de concilier l’eau et le feu. Trouver un juste équilibre<br />

entre droits du propriétaire-bailleur et du preneur en fonction de la<br />

protection visée : continuité de l’exploitation agricole, valeur du fonds<br />

de commerce de détail en contact avec le public, protection du logement<br />

principal. Dans les trois cas de baux où le législateur est intervenu de<br />

manière impérative, la réglementation, bien que s’attaquant aux mêmes<br />

aspects du droit du bail, est différente. Les solutions imposées résultent<br />

de la particularité propre à chacun de ces contrats, mais aussi et peutêtre<br />

plus encore, du poids des groupes de pressions défendant les intérêts<br />

des preneurs en cause. Il est clair aujourd’hui que le preneur d’un<br />

bien rural profite d’une protection maximale avec pour corrolaire une<br />

limitation maximale des droits du propriétaire-bailleur. La protection du<br />

commerçant-détaillant est la moins forte.<br />

Que reste-t-il des dispositions du Code de 1804? Celles qui sont toujours<br />

en vigueur aujourd’hui se retrouvent dans la première section du<br />

Code actuel contenant les dispositions générales relatives aux baux des<br />

biens immeubles. Ces textes, toujours de caractère supplétif, s’appliquent<br />

aujourd’hui aux baux non réglementés de manière impérative.<br />

Somme toute peu de baux : ceux de locaux industriels, de commerce de<br />

gros ou semi-gros ou de détail lorsque la situation du commerce n’est<br />

pas un élément essentiel de la valeur du fonds de commerce, et aussi<br />

ceux de résidence secondaire. Ces dispositions s’appliquent également<br />

aux rapports bailleur - locataire assujettis à un régime impératif, dans<br />

tous les cas où le législateur n’y a pas dérogé par des dispositions impératives<br />

particulières.<br />

C’est dire que le domaine d’application des dispositions datant de 1804<br />

s’est réduit en 2004 à une peau de chagrin.<br />

Y. MERCHIERS<br />

Professeur émérite

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