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LES QUASI-CONTRATS<br />

Livre III - Titre IV - Chapitre I<br />

Diderot conseillait à une jeune actrice : « Méfiez-vous de la chaleur de<br />

votre tête ... et du premier mouvement de votre cœur facile, qui vous<br />

conseillera de bonnes actions indiscrètes ». Quelques années plus tard,<br />

Talleyrand disait plus sobrement : « Il ne faut jamais suivre le premier<br />

mouvement : c’est le bon » (1). Cette parole, d’un personnage ambigu<br />

s’il en fut, traduit toute l’ambiguïté du Code civil lorsqu’il traite des<br />

quasi-contrats, et plus spécialement de la gestion d’affaires. Intervenir<br />

volontairement pour rendre service à autrui sans qu’il vous en ait requis,<br />

c’est bien, mais attention : n’oublions pas qu’avant tout le droit civil<br />

« manifeste de la sympathie pour l’argent et une défiance consécutive<br />

pour l’altruisme » (2), et si l’initiative du gérant n’est pas franchement<br />

découragée, il lui en coûtera néanmoins de se montrer maladroit ou inconstant.<br />

Sur les quatre articles que le Code consacre à la gestion d’affaires,<br />

un seul traite des obligations du maître, et trois de celles du<br />

gérant : « Il doit se charger ... », « Il se soumet ... » (1372), « Il est obligé<br />

... » (1373), « Il est tenu ... » (1374). C’est tout dire. Les auteurs qui<br />

se sont penchés le plus récemment sur le gestion d’affaires n’en ont pas<br />

moins mis l’accent sur l’importance et la nécessité d’une intention<br />

altruiste dans le chef du gérant, allant même jusqu’à suggérer la création<br />

d’une nouvelle source d’obligations — qui ne serait pas pour autant<br />

l’enrichissement sans cause (voy. infra) — à la charge de la personne<br />

qui se serait enrichie par le fait et au détriment d’une autre, mais sans<br />

intention de celle-ci (3). Suggestion qui n’a pas eu de suite, semble-t-il,<br />

mais qui révèle ou confirme le constant ballottage qu’a connu le droit<br />

des quasi-contrats, entre son fondement moral (4) et son aspect objectif,<br />

matérialiste, où l’on vise surtout à rétablir l’équilibre entre les patrimoines,<br />

avec les obligations « à caractère contractuel » qu’implique cette<br />

recherche d’équivalence (5).<br />

La répétition de l’indu n’a pas suscité les mêmes considérations morales,<br />

puisqu’aussi bien le seul fait de recevoir ce qui n’est pas dû engendre<br />

pour l’accipiens l’obligation de rembourser le solvens. La discussion,<br />

ici, a surtout porté sur le rôle de l’erreur du solvens, dont on<br />

a fait une condition légale de la répétition et qui ne joue en réalité<br />

qu’un rôle probatoire. De Page y a consacré d’importants développements<br />

(6).<br />

Gestion d’affaires, paiement indu : je n’ai pas vérifié, mais j’imagine<br />

que peu de chapitres du Code civil sont restés aussi immuables que celui<br />

qui est consacré à ces deux quasi-contrats « spéciaux ». Les onze articles<br />

qu’il comprend n’ont pas été modifiés d’un iota. Est-ce par manque<br />

d’intérêt pour cette catégorie hybride, coincée entre les contrats et<br />

l’article 1382? Ou parce que ces articles ont été jugés satisfaisants et<br />

adaptés aux nécessités actuelles? Ni l’un, ni l’autre, semble-t-il : pendant<br />

ces deux siècles, les quasi-contrats n’ont cessé d’éveiller l’intérêt<br />

de la doctrine, fût-ce pour critiquer le principe même de leur existence<br />

(7) ou le caractère lacunaire de leur réglementation (8). Et la jurispru-<br />

(1) Cité par X. Martin, « Fondements politiques du Code Napoléon »,<br />

R.T.D. civ., 2003, pp. 247 et s., notes 115 et 127.<br />

(2) P. Martens, Théories du droit et pensée juridique contemporaine, Larcier,<br />

2003, p. 117.<br />

(3) Voy., la thèse de R. Bout, La gestion d’affaires en droit français contemporain,<br />

L.G.D.J. 1972.<br />

(4) Que ce soit, pour parler de la gestion d’affaires, dans le chef du gérant ou<br />

dans celui du maître, lequel ferait preuve d’ingratitude en ignorant le service<br />

rendu.<br />

(5) On a comparé à juste titre les obligations du gérant à celles du mandataire.<br />

L’analogie entre le mandat et la gestion d’affaires n’a certainement pas échappé<br />

au législateur de 1804.<br />

(6) Traité, t. III, n os 13 et 14.<br />

(7) Vizioz, Planiol : voy. à ce sujet, Carbonnier, Droit civil, P.U.F. 1957, p. 695;<br />

J. Honorat, « Rôle effectif et rôle concevable des quasi-contrats en droit<br />

actuel », R.T.D.civ., 1969, pp. 65. et s.<br />

J.T. n° 6132 - 12/2004<br />

Larcier - © Groupe Larcier s.a.<br />

aopsomer@gbl.be / Groupe Bruxelles Lambert / aopsomer@gbl.be<br />

dence n’est pas en reste, on le constate tous les jours (9). Cette pérennité<br />

des articles 1371 à 1381 s’explique mieux par un motif qui leur est extrinsèque<br />

et qui tient au fait que le plus utilisé des quasi-contrats, le plus<br />

discuté aussi, celui dont on a dit qu’il ouvrait la voie à « la plus romantique<br />

des actions », celui-là n’est pas exprimé dans le Code : c’est l’enrichissement<br />

sans cause. La chose y est (10), mais pas le mot. Il n’était<br />

donc pas nécessaire de modifier ce qui existait déjà (11), et le législateur<br />

a laissé la jurisprudence dessiner elle-même les contours de l’action de<br />

in rem verso qu’elle avait créée (caractère déterminant de l’absence de<br />

cause, subsidiarité de l’action). En somme, écrit J. Honorat, « l’absence<br />

complète de réglementation des quasi-contrats, autres que la gestion<br />

d’affaires et le paiement de l’indu, qui caractérise le système du Code<br />

civil, a l’avantage de laisser aux tribunaux toute latitude pour définir le<br />

régime des obligations nouvelles auxquelles ils croiraient devoir attribuer<br />

une telle qualification » (12).<br />

Et l’avenir? Même si on lui a reproché d’être fondée sur une erreur<br />

historique, la notion de quasi-contrat — couronnée par l’enrichissement<br />

sans cause qui, même non codifié, en constitue la théorie générale<br />

— a largement fait ses preuves (13). On peut cependant se demander<br />

si une tendance ne se fait pas jour, qui aboutirait en fait à revenir<br />

à la classification romaine d’avant le Digeste où l’on se bornait à distinguer<br />

les obligations contractuelles au sens large (14) et les obligations<br />

délictuelles qui découlaient d’un fait illicite (15). C’est du moins<br />

la question que je me pose à la lecture du projet de « Code européen<br />

des contrats » récemment élaboré par l’Académie des privatistes<br />

européens (16), où, parmi les définitions, à côté du contrat<br />

« classique », il est prévu que « l’accord se forme aussi à travers des<br />

actes concluants actifs ou omissifs pourvu qu’il soit conforme à une<br />

volonté précédemment exprimée, ou aux usages ou à la bonne foi »<br />

(art. 1 er , al. 2). Mais peut-être un mot d’explication suffira-t-il pour<br />

dissiper les craintes que fait naître cette formulation baroque et un peu<br />

floue?<br />

J’allais oublier de rappeler, avant qu’on en vienne aux quasi-délits, un<br />

article qui n’est guère cité parce qu’il est plus didactique que normatif,<br />

et qui précède le chapitre des quasi-contrats. C’est l’article 1370, qui introduit<br />

le titre IV en énumérant les sources des obligations autres que<br />

contractuelles. Il distingue les engagements « qui résultent de l’autorité<br />

seule de la loi » (17) et ceux « qui naissent d’un fait personnel à celui<br />

qui se trouve obligé » : ces derniers comprennent, d’une part les quasicontrats,<br />

d’autre part les quasi-délits ou, pour reprendre la terminologie<br />

de Carbonnier, d’un côté les faits juridiques profitables, de l’autre les<br />

faits juridiques dommageables, tant il est vrai que, par son fait et en<br />

dehors de toute convention, « l’homme peut procurer un avantage à<br />

(8) A propos de la gestion d’affaires, voy., R. Bout, op. cit., p. 470.<br />

(9) Voy. par ex., toujours à propos de la gestion d’affaires, les développements<br />

relatifs à la réparation du préjudice subi par l’auteur d’un acte de sauvetage,<br />

P. Legros et F. Glansdorff, note sous Civ. Bruxelles, 20 févr. 1970, R.C.J.B.,<br />

1974, pp. 55 et s.; R. Bout, loc. cit.<br />

(10) Notamment par le biais de la répétition de l’indu, qui n’est que la sanction<br />

d’un enrichissement sans cause d’une nature particulière.<br />

(11) Sauf à supprimer tout simplement les deux quasi-contrats spéciaux que<br />

sont la gestion d’affaires et la répétition de l’indu pour ne laisser subsister que<br />

le seul principe général d’enrichissement sans cause, comme ce fut le cas aux<br />

Etats-Unis (J. Honorat, op. cit., p. 655).<br />

(12) Op. cit., p. 661.<br />

(13) « La lointaine erreur commise par les juristes de la fin du VI e siècle débouche<br />

finalement sur un résultat utile. C’en est assez semble-t-il pour la<br />

légitimer » (op. cit., p. 677).<br />

(14) A savoir toutes les obligations dont l’origine était licite, ce qui englobe les<br />

quasi-contrats.<br />

(15) J. Honorat, op. cit., pp. 662 et s.<br />

(16) Appelée aussi « Groupe de Pavie » : voy. Gaz. Pal., 21 févr. 2003, pp. 3 et s.<br />

(17) Parmi lesquels les engagements « entre propriétaires voisins ». Il y avait<br />

aussi les engagements « des tuteurs et des autres administrateurs qui ne peuvent<br />

refuser la fonction qui leur est déférée », mais ce passage a été supprimé par la<br />

loi du 29 avril 2001.<br />

2004<br />

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