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2004<br />
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prescription est suspendue, en ce qu’elle ne court point contre les mineurs<br />
et les interdits, « sauf ce qui est dit à l’article 2258 du Code<br />
civil » (12) et « à l’exception des autres cas déterminés par la loi »<br />
(art. 2252, C. civ.), ne prêtait pas le flanc à la discussion. C’était sans<br />
compter l’œuvre créatrice de la doctrine et de la jurisprudence, rebaptisant<br />
tantôt certains délais de prescription en « délais préfix » insusceptibles<br />
de suspension (13), considérant tantôt qu’il suffit d’une<br />
interprétation de la volonté du législateur, et non d’un texte exprès,<br />
pour que l’on se trouve en présence d’un « autre cas » justifiant<br />
l’écartement du régime précité de suspension (14). Par hypothèse, ce<br />
n’est que trop tard et à ses dépens, que l’ex-incapable prend connaissance<br />
de ces nuances. Ces vicissitudes, et bien d’autres encore, énervent<br />
la sérénité du praticien et la sécurité du justiciable. Certes, mais<br />
même leur accumulation ne pourrait rivaliser avec l’effet dévastateur<br />
du deuxième facteur de précarisation de l’institution, à savoir l’évanescence<br />
de la loi de prescription elle-même.<br />
3. — Il n’est pas de plus grande insécurité juridique que celle résultant<br />
de l’invalidation de la loi par l’instance juridictionnelle chargée, à l’occasion<br />
d’un litige particulier, d’en vérifier la conformité à une norme supérieure.<br />
C’est pourtant le triste sort que connût la plus célèbre et la plus<br />
récurrente des prescriptions libératoires, celle de l’action personnelle<br />
tendant à l’indemnisation du préjudice causé par un fait constitutif d’infraction<br />
pénale. On n’a pas encore fini de mesurer les retombées du séisme<br />
provoqué par le brevet d’inconstitutionnalité inévitablement décerné<br />
le 21 mars 1995 par la Cour d’arbitrage à la prescription quinquennale<br />
fixée par l’article 26 ancien du titre préliminaire du Code<br />
d’instruction criminelle (15). Le vide provisoirement laissé par cette<br />
étape décisive de l’évolution fut aggravé par l’absence d’un droit transitoire<br />
jurisprudentiel cohérent (16). L’intervention du législateur au secours<br />
de la sécurité juridique était urgente.<br />
Elle se fit attendre; mais l’ampleur de la réforme éclipsa sa tardiveté.<br />
A la vérité, c’est toute la toile de la prescription libératoire tissée par<br />
près de deux siècles de pratiques et de discours, que la loi du 10 juin<br />
1998 a détricotée. Les analyses détaillées des nouveaux textes ne<br />
manquent point (17). Ces études montrent bien les quelques amélio-<br />
du Moniteur belge, p. 183; J. van Compernolle et G. Closset-Marchal (e.a.),<br />
« Examen de jurisprudence (1991 à 2001) - Droit judiciaire privé », R.C.J.B.,<br />
2002, pp. 498-499, n o 477; G. de Leval, op. cit., n os 24, 25 et 30 b); M. Regout-<br />
Masson, op. cit., pp. 55-56.<br />
(12) Selon lequel, assez paradoxalement (M. Regout-Masson, op. cit., p. 60),<br />
les courtes prescriptions des articles 2271 à 2273 ne sont pas suspendues au<br />
profit du mineur ou de l’interdit.<br />
(13) H. De Page, op. cit., n os 1135-1137 et n o 1224.<br />
(14) Voy. par ex. Cass., 1 er juin 1995, Pas., 1995, I, p. 583; adde : H. De Page,<br />
op. cit., n o 1224, ainsi que M. Buy, « Prescriptions de courte durée et suspension<br />
de la prescription », J.C.P., 1977, 2833.<br />
(15) C. Arb., arrêt n o 25/95, 21 mars 1995, M.B., 31 mars 1995, p. 8187. Les<br />
commentaires de cet arrêt furent pléthoriques: voy. P. Desmedt, « De antecedenten<br />
van de wet van 10 juni 1998 », in De herziening..., 1oc. cit., pp. 41 et s.,<br />
n os 43 et s., ainsi que P. Jadoul, op. cit., pp. 760 et s., et les multiples réf. cit.<br />
par ces auteurs.<br />
(16) C. Arb., arrêt n o 8/97, 19 févr. 1997, J.T., 1997, p. 293, obs. M. Mahieu. Sur<br />
ce sujet difficile, voy. F. Ost et S. van Drooghenbroeck, « Le droit transitoire jurisprudentiel<br />
dans la pratique des juridictions belges », in « Le droit transitoire jurisprudentiel<br />
- Perspective comparative », Rev. dr. U.L.B., vol. 26, 2002-2, pp. 1 et<br />
s., spéc. (au sujet des effets dans le temps de l’arrêt du 21 mars 1995), pp. 30-32.<br />
(17) Ici encore, l’exhaustivité ne se conçoit pas. Outre le remarquable ouvrage<br />
dirigé par le professeur H. Bocken, déjà cité, et les réf. y citées, voy. les excellentes<br />
études de A. Jacobs, « La loi du 10 juin 1998 modifiant certaines dispositions<br />
en matière de prescription », R.G.D.C., 1999, p. 10 et s., de I. Claeys,<br />
« De nieuwe verjaringswet : een inleidende verkenning », R.W., 1998-1999,<br />
pp. 378 et s. et « Een tweede blik op de nieuwe verjaringswet », in C.B.R.-Jaarboek<br />
1998-1999, Maklu, Anvers, 1999, p. 202, et encore celle de N. Denoël,<br />
« Les assurances de responsabilité et la loi du 25 juin 1992 », in Les assurances<br />
de responsabilité, éd. du Jeune barreau de Bruxelles, 1999, spéc. pp. 87-102,<br />
n os 31-73. Pour un premier bilan — quinquennal — de la loi du 10 juin 1998,<br />
voy. C. Lebon, « De nieuwe verjaringswet. 5 jaar later », N.j.W., 2003, n o 39,<br />
pp. 834 et s.; A. Van Oevelen, « Recente ontwikkelen inzake de bevrijdende<br />
verjaring in het burgelijk recht », R.W., 2000-2001, pp. 1433 et s.<br />
J.T. n° 6132 - 12/2004<br />
Larcier - © Groupe Larcier s.a.<br />
aopsomer@gbl.be / Groupe Bruxelles Lambert / aopsomer@gbl.be<br />
rations prodiguées par la réforme, mais aussi — et surtout — les nouveaux<br />
vecteurs d’insécurité qu’elle a créés. Désormais, le délai de<br />
prescription varie selon qu’il affecte une action réelle (art. 2262, C.<br />
civ.) ou une action personnelle (art. 2262bis, C. civ.) : les querelles<br />
de qualification ont de beaux jours devant elles (18). La prescription<br />
des actions personnelles fait elle-même l’objet d’un régime bicéphale<br />
(19), selon qu’il s’agit d’actions dérivées d’un contrat<br />
(art. 2262bis, § 1 er , al. 1 er , C. civ.) ou d’un quasi-délit (art. 2262bis,<br />
§1 er , al. 2 et 3, C. civ.). Ne voit-on pas là une nouvelle différence de<br />
traitement au devenir constitutionnel incertain (20), et qui, à tout le<br />
moins, cristallise une autre problématique, non moins délicate : celle<br />
du concours et du cumul de responsabilités? L’éclatement de ce qu’il<br />
faut encore appeler, faute de mieux ou par nostalgie, le « droit<br />
commun » de la prescription libératoire, ne s’arrête pas là (21). Dorénavant,<br />
le processus de prescription de l’action ex delicto, se trouve<br />
enchâssé par la combinaison de deux délais, l’un — minimal —<br />
de cinq ans (art. 2262bis, § 1 er , al. 2, C. civ.), l’autre — maximal —<br />
de vingt ans (art. 2262bis, § 1 er , al. 3, C. civ.). En soi, le mécanisme<br />
— soufflé par la Cour de cassation (22) et corroboré par l’exemple<br />
hollandais — échappe à tout reproche. Mais il échet de constater que<br />
la computation du délai quinquennal précité est livrée à l’aléa<br />
probatoire : comment, et par qui, prouver la date à laquelle la victime<br />
a eu connaissance de son dommage et de l’identité du responsable?<br />
Peut-on lui opposer qu’elle « aurait dû raisonnablement en avoir<br />
connaissance » (23) plus tôt? C’est possible, mais pas certain (24).<br />
Une chose l’est en revanche : la porte s’ouvre à la subjectivité, et<br />
donc, une fois encore, à l’insécurité, dans un domaine qui se doit<br />
pourtant d’être le plus cartésien du droit civil. Et que dire enfin du<br />
véritable imbroglio créé par le régime transitoire des nouvelles dispositions<br />
(art. 10 et 11 de la loi du 10 juin 1998), encore compliqué<br />
par la survivance de l’« ancien » délai trentenaire de prescription<br />
(25)? Malheureusement, l’on ne pourra nourrir l’espoir d’un regain<br />
(18) C. Lebon, op. cit., N.j.W., 2003, pp. 837-838.<br />
(19) Au passage, l’on pourrait se demander ce qu’il en est de la prescription des<br />
actions nées d’un quasi-contrat. S’agit-il ou non d’une « action en réparation<br />
d’un dommage fondée sur une responsabilité extracontractuelle »?<br />
(20) Voy. d’ailleurs l’avis du Conseil d’Etat du 14 avril 1997, in Doc. parl., Ch.<br />
des repr., s.o. 1996-1997, 1087/1-96/97, p. 16. Adde : I. Claeys, « Een tweede<br />
blik... », op. cit., loc. cit., pp. 218-220.<br />
(21) Sur ces difficultés, voy. en particulier N. Denoël, op. cit., spéc. pp. 83 et<br />
s., n os 22 et s.<br />
(22) Cass., 13 janv. 1994, J.T., 1994, p. 291, note R.O. Dalcq; R.C.J.B., 1995,<br />
pp. 429 et s., note J.-L. Fagnart. Par l’évocation de cet arrêt, autre « temps<br />
fort » de deux siècles d’évolution, on tient aussi à saluer l’œuvre complétive du<br />
droit dont s’acquitte la Cour de cassation, spécialement dans les matières régies<br />
par les textes, souvent très sobres, du Code civil.<br />
(23) Voy. la version initiale du texte dans le projet de loi: Doc. parl., Ch. repr.,<br />
s.o. 1996-1997, n o 1087/1-96/97, p. 21.<br />
(24) I. Claeys, « Een tweede blik... », op. cit., loc. cit., p. 226<br />
(25) Admettons-le : même pour le juriste qui s’est abondamment documenté<br />
sur le sujet, le calcul de l’échéance d’une prescription qui a pris cours avant<br />
l’entrée en vigueur de la loi du 10 juin 1998 (i.e. le 27 juillet 1998) relève d’un<br />
« casse-tête », susceptible d’aboutir à des réponses divergentes. L’exercice se<br />
heurte à de nombreuses incertitudes ou, au mieux, à plusieurs options. A la réflexion<br />
(comp. notre étude in J.T., 1998, p. 708, n os 7-8), les solutions les plus<br />
convaincantes nous paraissent avoir été proposées par P. De Smedt,<br />
« Toepassing in de tijd van de gewijzigde verjaringstermijnen », in De herziening...,<br />
loc. cit., pp. 141 et s. et par A. Jacobs, op. cit., R.G.D.C., 1999, pp. 31-<br />
33 (dans le même sens encore, L. Schuermans, op. cit., p. 532, note 77. Ces solutions<br />
sont consolidées en jurisprudence par C.Arb., arrêt n o 81/99, 30 juin<br />
1999, R.W., 1999-2000, p. 1555, spéc. considérant B.6.3., par Gand, 1 er oct.<br />
1999, R.W., 1999-2000, p. 1165 par Pol. Bruges, 10 févr. 2000, R.W., 2000-<br />
2001, p. 562, par Pol. Malines, 20 avril 2001, Dr. circul., 2001, p. 364, ou encore<br />
par Liège, 10 juin 2003, R.G., n o 2001/RG/382, inédit). Ces auteurs et décisions<br />
considèrent à juste titre, que les actions « virtuellement » (mais non déclarées)<br />
prescrites par application de l’article 26 ancien du titre préliminaire du<br />
Code d’instruction criminelle avant l’entrée en vigueur de la loi du 10 juin<br />
1998, ne sont pas concernées par le régime transitoire institué par les articles 10<br />
et 11 de ladite loi, en sorte que, par répercussion de la déclaration d’inconstitutionnalité<br />
contenue dans l’arrêt de la Cour d’arbitrage du 21 mars 1995, la prescription<br />
de ces actions reste soumise au délai trentenaire de l’ancien<br />
article 2262 du Code civil. Par deux arrêts du 29 septembre 2000, et du 22 mai