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2004<br />
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famille des enfants qui lui sont étrangers, et à leur faire partager par suite<br />
les droits d’enfants légitimes... » (4).<br />
Tout le chapitre VI n’était pour le surplus qu’une explicitation de<br />
l’incapacité de la femme, et de sa subordination au mari, même lorsqu’elle<br />
était séparée de biens (5). Ce régime ne va d’ailleurs pas sans<br />
évoquer quelquefois Courteline ou Kafka, selon le registre où l’on se<br />
situe. En effet, « la femme ne peut ester en jugement sans l’autorisation<br />
de son mari... » (art. 215 anc., C. civ.) ce qui devait sans doute<br />
heurter l’épouse qui entendait engager un procès contre son mari.<br />
Très libéralement, nos légistes avaient cependant prévu qu’elle pouvait<br />
s’y faire autoriser par justice. Il n’est guère qu’un droit que les<br />
femmes pouvaient alors exercer sans entrave, celui de tester (art. 226<br />
anc., C. civ.).<br />
Quant aux articles 148 à 160 qui figurent, parmi d’autres, au chapitre<br />
premier, traitant « des qualités et conditions requises pour pouvoir contracter<br />
mariage », ils traduisent essentiellement la cohérence hiérarchique<br />
de la famille au sens large, en édictant les règles qui gouvernent les<br />
consentements parentaux. Non seulement le consentement des père et<br />
mère devait être demandé au-delà de la majorité (avec la prédominance<br />
du père, bien entendu, en cas de dissentiment) et, subsidiairement, celui<br />
des aïeux, mais encore, et sans limite d’âge, les « enfants de famille »<br />
étaient tenus de demander conseil aux mêmes par actes respectueux et<br />
formels.<br />
Même si le formalisme s’atténuait avec l’âge, il ne s’agissait pas d’une<br />
mince affaire. Il y fallait deux notaires (ou un notaire et deux témoins),<br />
et il fallait dresser procès-verbal de la réponse. Quant à l’officier de<br />
l’état civil qui se serait permis de passer outre, il était passible non seulement<br />
d’une amende, mais d’un emprisonnement « dont la durée ne<br />
pourra être moindre de six mois » à défaut de consentement, et « d’un<br />
mois » à défaut d’actes respectueux. Au fil des décennies, l’acte respectueux<br />
s’est perdu, car tout se perd. Sa dernière survivance a été supprimée<br />
par la loi du 15 janvier 1983.<br />
Quant à ceux dont le consentement devait être demandé, leur cercle<br />
s’est progressivement réduit pour ne plus requérir aujourd’hui que le<br />
consentement parental au seul mariage des mineurs. Tour à tour, on a<br />
ainsi vu s’effacer la nécessité de solliciter le consentement d’autres ascendants<br />
que le père et la mère (loi du 16 août 1887), ensuite le consentement<br />
du père et de la mère au-delà de la majorité matrimoniale, concomitamment<br />
ramenée à 21 ans (loi du 30 avril 1896), mais avec le<br />
maintien d’un recours jusqu’aux 25 ans du promis, on a vu ensuite la<br />
suppression de la prépondérance du père (loi du 14 juillet 1953) et<br />
enfin, on a soumis à l’arbitrage du tribunal de la jeunesse le dissentiment<br />
entre les parents (loi du 8 avril 1965).<br />
Le fait qu’il ne subsiste pratiquement rien du chapitre VI originaire, qui<br />
a fait place au « régime primaire » instauré par la loi du 14 juillet 1976,<br />
et qu’il ne reste guère davantage des dispositions coulées dans les<br />
articles 148 à 160, révèle à quel point le caractère familial et hiérarchisé<br />
du mariage s’est effacé pour faire place à un modèle où le couple luimême<br />
est privilégié parce qu’il est censé se construire seul, sur des<br />
bases égalitaires et débarrassées d’interventions perçues comme parasitaires.<br />
* * *<br />
Le premier des huit chapitres qui composent le titre V du Code Napoléon<br />
prévoit explicitement cinq conditions pour pouvoir contracter<br />
mariage :<br />
(4) J.-M. Boileux, Commentaire sur le Code civil, Bruxelles, 1838.<br />
(5) A l’occasion du centenaire du Code civil, Jules Destrée, à la Chambre, dénonça<br />
ce régime patriarcal : « On a pu dire que le Code civil des Français<br />
n’était pas le Code civil des Françaises, car il assurait la domination du père sur<br />
sa fille, du mari sur l’épouse. Je n’ai pas à rappeler ici certaines de ses dispositions<br />
barbares qui semblent, de plus en plus, pour les consciences contemporaines,<br />
de fâcheux anachronismes », J.T., 1904, p. 386.<br />
J.T. n° 6132 - 12/2004<br />
Larcier - © Groupe Larcier s.a.<br />
aopsomer@gbl.be / Groupe Bruxelles Lambert / aopsomer@gbl.be<br />
1) une condition d’âge (art. 144 et 145);<br />
2) un consentement libre et éclairé (art. 146);<br />
3) l’absence de liens persistants d’un mariage antérieur (art. 147);<br />
4) le consentement des ascendants ou leur consultation (art. 148 à 160);<br />
5) l’inexistence d’empêchements dérivant de la parenté ou de l’alliance<br />
(art. 161 à 164).<br />
D’autres conditions expresses figuraient parmi les effets du divorce.<br />
On ne pouvait se remarier avec celui dont on avait divorcé (art. 295<br />
anc.), ni avec le complice de l’adultère (art. 298 anc.). A cela s’ajoutaient<br />
des empêchements temporaires, l’un constituant à lui seul le<br />
chapitre 8 du mariage — le délai de viduité, destiné à éviter les<br />
« confusions de parts » — (art. 228 anc.), l’autre figurant encore parmi<br />
les effets du divorce, qui interdisait à ceux qui avaient divorcé par<br />
consentement mutuel de contracter un nouveau mariage avant trois<br />
ans.<br />
Hors ces conditions explicites, une autre qualité demeurait inexprimée,<br />
signe qu’elle allait sans dire : il était requis que les conjoints fussent de<br />
sexe différent, ce qui impliquait que la chose existât et fût identifiable.<br />
De toutes ces qualités et conditions, deux seulement (la deuxième et la<br />
troisième) figurent encore dans nos Codes, dans leur formulation originaire.<br />
Le noyau dur s’est réduit à cela : qu’il s’agit d’un contrat librement<br />
consenti (6), d’une part, marqué du sceau de l’exclusivité, d’autre<br />
part.<br />
La condition d’âge, quant à elle, jusqu’il y a peu et conformément à<br />
l’ancien droit, fut toujours affectée d’une connotation sexuée, la nubilité<br />
féminine étant constamment jugée plus précoce. Le Code Napoléon<br />
majora les conditions d’âge en fixant à 18 ans celui où les jeunes<br />
gens pouvaient accéder au mariage et à 15 ans celui où les jeunes<br />
filles pouvaient cesser de rêver. C’était un premier signe que la nubilité<br />
n’était plus seulement perçue comme une donnée technique<br />
mais intégrait dans une certaine mesure une notion de maturité. On<br />
sait qu’aujourd’hui, cet âge est uniformément fixé, comme celui de<br />
la majorité, à 18 ans.<br />
De tout temps, un motif grave permettait de solliciter une dispense<br />
d’âge. A l’origine, il fallait à cette fin s’adresser « au gouvernement »<br />
(Code Napoléon), puis « au Roi » et, aujourd’hui, au tribunal de la jeunesse<br />
(loi du 19 janvier 1990).<br />
Pour ce qui est de l’inceste et de ses succédanés, l’évolution fut mince.<br />
A l’origine, la prohibition visait, outre les ascendants et descendants et<br />
leurs alliés, les frères et sœurs, les beaux-frères et belles-sœurs, l’oncle<br />
et la nièce, la tante et le neveu. La première modification — mais on disputa<br />
de sa régularité et de son caractère obligatoire — se traduisit par<br />
une extension de la prohibition au grand-oncle et à la petite-nièce ainsi<br />
qu’à la grand-tante et au petit-neveu en vertu d’une décision impériale<br />
du 7 mai 1808. Il ne semble pas qu’elle ait jamais trouvé application en<br />
Belgique et, en dépit des adaptations législatives de la matière, elle n’a<br />
jamais été reprise dans le Code.<br />
Quant à la prohibition entre beaux-frères et belles-sœurs, elle fut partiellement<br />
gommée par une loi du 11 février 1920 qui la fit cesser dans<br />
l’hypothèse du décès de l’époux qui était cause de l’empêchement,<br />
avant d’être levée par la loi du 27 mars 2001.<br />
Curieusement, la loi du 13 février 2003, qui a ouvert le mariage aux personnes<br />
de même sexe, a calqué les prohibitions de mariage sur les inter-<br />
(6) Ce n’est pas le lieu d’évoquer ici la spécificité des vices du consentement<br />
en la matière. On relèvera cependant un mouvement doctrinal qui a pris de<br />
l’ampleur au fil des années en faveur de l’admission du dol et de l’erreur portant<br />
sur des qualités substantielles (Rép. not., « Le mariage en droit civil »,<br />
n o 107 et réf. cit.; J.-P. Masson, « L’annulation du mariage - Législation, doctrine,<br />
jurisprudence », in Le droit belge en mutation, actes du quatrième colloque<br />
de l’Association famille et droit, Story-Scientia, 1996, pp. 184 et s., n os 15<br />
et 16).