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4. — Les biens des cohabitants légaux<br />

11. — L’article 1478 dispose en son premier alinéa que chacun des cohabitants<br />

légaux conserve les biens dont il peut prouver qu’ils lui appartiennent,<br />

les revenus que procurent ces biens et les revenus de son travail.<br />

Mais aussitôt, le deuxième alinéa dispose que les biens dont aucun des<br />

cohabitants légaux ne peut prouver qu’ils lui appartiennent, ainsi que les<br />

revenus que ceux-ci procurent sont réputés être en indivision. Cette présomption<br />

légale d’indivision peut être considérée comme l’apport majeur<br />

de la nouvelle loi en matière patrimoniale. Selon certains, l’introduction<br />

de cette présomption doit être approuvée parce que, en obligeant<br />

les cohabitants à plus de rigueur dans la conservation des preuves<br />

de leur propriété, elle accroîtrait la sécurité juridique.<br />

On peut craindre, au contraire, que la grande majorité des cohabitants<br />

légaux ne songent nullement à se constituer pareille preuve. Ils risquent<br />

dès lors d’être, le jour où la cohabitation légale prendra fin, en butte aux<br />

revendications de leur partenaire ou des héritiers de celui-ci, voire du<br />

fisc (droits de succession), par exemple quant aux avoirs déposés en<br />

banque à leur nom ou au mobilier garnissant un autre immeuble que le<br />

logement commun.<br />

Ils pourraient bien entendu renverser cette présomption légale, notamment<br />

par une présomption inverse contenue dans leurs conventions de<br />

vie commune (mais combien songeront-ils à en établir?).<br />

5. — Les conventions de vie commune<br />

12. — Ayant ainsi réglé, mais de manière supplétive, le régime des biens<br />

des cohabitants, le législateur de 1998 a entendu laisser à ceux-ci une<br />

large liberté dans l’établissement de conventions qui « règlent les modalités<br />

de leur cohabitation légale » (art. 1478, quatrième alinéa). Ces<br />

conventions, qui sont à la déclaration de cohabitation légale ce que le<br />

contrat de mariage est à la célébration du mariage, constituent un complément<br />

conventionnel et facultatif au statut organisé par le législateur.<br />

Sur le plan formel, il suffira de signaler ici que la convention doit être<br />

reçue par notaire, qu’elle peut être conclue avant ou après la déclaration<br />

de cohabitation déposée à l’état civil et qu’elle doit être mentionnée au<br />

registre de la population.<br />

6. — Le règlement judiciaire des conflits entre cohabitants<br />

13. — Aucune juridiction ne se voit attribuer, dans le Code judiciaire,<br />

de compétence particulière pour trancher les litiges liés à la rupture de<br />

la cohabitation entre concubins. Le législateur de 1998, s’inspirant de<br />

l’article 223 du Code civil relatif aux relations entre époux, dispose<br />

dans l’article 1479, alinéa 1 er , que le juge de paix ordonne « les mesures<br />

urgentes et provisoires relatives à l’occupation de la résidence commune,<br />

à la personne et aux biens des cohabitants et des enfants, et aux obligations<br />

légales et contractuelles des deux cohabitants ».<br />

Il a donc donné aux cohabitants légaux — et certains ont considéré que<br />

c’était le seul intérêt véritable de la législation nouvelle — un juge compétent<br />

pour l’ensemble des litiges qui peuvent les opposer.<br />

14. — Mais il faut remarquer immédiatement les limites de la solution<br />

légale : les mesures prises par le juge cessent de produire leurs effets au<br />

jour de la cessation de la cohabitation légale (art. 1479, deuxième alinéa),<br />

de sorte que pour s’y soustraire du jour au lendemain, il suffit au<br />

cohabitant de déposer à l’état civil une déclaration de cessation! Certes,<br />

le troisième alinéa de l’article 1479 permet au juge, après la cessation<br />

de la cohabitation légale, d’ordonner les mesures urgentes et provisoires<br />

justifiées par cette cessation. Mais c’est pour ajouter aussitôt que la<br />

durée de validité de ces mesures ne peut excéder un an.<br />

J.T. n° 6132 - 12/2004<br />

Larcier - © Groupe Larcier s.a.<br />

aopsomer@gbl.be / Groupe Bruxelles Lambert / aopsomer@gbl.be<br />

III. — BILAN ET PERSPECTIVES D’AVENIR<br />

15. — On l’aura compris à la lecture de cette analyse : le contenu effectif<br />

de la loi est, eu égard à son objectif proclamé (la protection juridique<br />

du couple non marié) particulièrement mince. Pour s’en tenir au droit<br />

civil, on n’y trouve ni véritable protection du logement commun, ni dispositions<br />

relatives à un devoir d’assistance et de secours mutuel, ni dispositions<br />

protégeant le partenaire survivant. Les deux situations les plus<br />

critiques rencontrées par deux personnes qui vivent ensemble sans être<br />

mariées (les conséquences financières de la rupture du couple pour le<br />

partenaire démuni et les difficultés rencontrées par le partenaire survivant)<br />

ne sont même pas abordées. C’est pourquoi un des premiers commentateurs<br />

de la loi a pu qualifier celle-ci de « coquille vide de tout vrai<br />

lien juridique et humain ».<br />

16. — Par ailleurs, l’autre objectif de la loi (non avoué celui-là, pour des<br />

raisons évidentes tenant aux équilibres politiques de l’époque) — à savoir<br />

la reconnaissance sociale de la légitimité du concubinage homosexuel<br />

— est aujourd’hui dépassé, puisque les couples homosexuels ont<br />

accès au mariage depuis la loi du 13 février 2003. On pourrait donc a<br />

priori s’attendre à ce que la cohabitation légale ne reste dans l’histoire<br />

de notre droit civil qu’une curiosité, un objet d’étude, l’exemple d’une<br />

législation-spectacle mal pensée, mal écrite, et n’ayant aucune effectivité<br />

faute, pour ses destinataires, de trouver le moindre intérêt dans le<br />

statut qu’elle crée. La réalité sera sans doute tout autre, en raison de la<br />

décision du législateur fiscal, dans les trois Régions du pays, de supprimer<br />

en matière de taux de droits de succession toute discrimination entre<br />

couples mariés et cohabitants légaux. C’est pourquoi on aperçoit<br />

déjà — mais les seules statistiques disponibles sont encore partielles —<br />

une augmentation sensible du nombre de déclarations de cohabitation<br />

légale.<br />

17. — Que faut-il espérer du législateur civil? Il semble que les initiatives<br />

visant à améliorer la loi vont se multiplier. On parle de créer<br />

un « régime patrimonial » secondaire de type communautaire pour<br />

les cohabitants légaux, voire d’instaurer un régime patrimonial primaire<br />

pour les cohabitants de fait (en attendant sans doute de créer<br />

dans notre droit, à côté du mariage, de la cohabitation légale et de la<br />

cohabitation de fait réglementée, un quatrième statut, qui serait celui<br />

de ceux qui désirent vivre ensemble sans qu’aucune conséquence juridique<br />

ne puisse être attachée à leur choix de vie — ce qui serait<br />

après tout leur droit... ).<br />

Est-il trop tard pour se demander si, au lieu de formaliser ainsi une<br />

série de statuts différents parmi lesquels le citoyen, sinon le juge,<br />

aura beaucoup de difficultés à trouver ses repères, il n’est pas préférable<br />

d’envisager les situations concrètes rencontrées par des couples<br />

qui vivent une relation durable et de créer directement, par exemple<br />

dans le droit des aliments ou celui des successions, des protections<br />

légales dont pourraient se prévaloir ceux qui rempliront le critère objectif<br />

d’une vie commune partagée pendant un certain nombre d’années?<br />

Il est à craindre que cette voie modeste ne soit pas dans l’air<br />

du temps, puisqu’il paraît qu’aujourd’hui, c’est d’image qu’il faut se<br />

préoccuper avant tout, en faisant de son mieux, dans les meilleurs des<br />

cas, pour que le contenu suive.<br />

Jean-François TAYMANS<br />

Chargé de cours à l’U.C.L.<br />

2004<br />

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