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2004<br />

264<br />

De proche en proche, le système avait ainsi lentement tourné à l’usine à<br />

gaz : autour d’un principe fondateur de légitimité qui ne convainquait<br />

plus, mais que l’on n’osait attaquer de front, le législateur avait créé<br />

mille exceptions et autres voies de contournement de la vielle idole toujours<br />

debout.<br />

Ainsi, « l’innovation la plus spectaculaire de la loi du 10 février<br />

1958 a consisté à permettre que dans certaines hypothèses privilégiées<br />

la filiation adultérine d’un enfant soit établie par une reconnaissance<br />

volontaire » (20) : c’est ce que l’on nommait les enfants<br />

« adultérins techniques », termes dont la rencontre paraît, avec le recul,<br />

surprenante.<br />

De même, la loi du 21 mars 1969 avait introduit dans notre droit une<br />

institution nouvelle, la légitimation par adoption (21), dont un des buts<br />

au moins était de ramener au statut idéal d’enfant légitime les enfants<br />

adultérins « non techniques ».<br />

Certes, le plus éminent auteur belge, Henri De Page, défendait encore<br />

le principe de légitimité, en ces termes : « On voit par ce qui précède<br />

que, tant que le droit successoral des enfants naturels subsistera,<br />

le système de l’action alimentaire non déclarative de filiation est le<br />

seul possible. Et lorsqu’on approfondit la question, on s’aperçoit<br />

aisément que toute l’erreur consiste précisément dans le fait d’avoir<br />

reconnu ce droit successoral. Tant qu’une société est strictement monogamique,<br />

l’enfant naturel ne devrait avoir droit qu’à des aliments<br />

(22). Tout autre droit, lui permettant de s’introduire dans la famille<br />

légitime ou de s’assimiler à elle, devrait être rigoureusement proscrit.<br />

Tout le reste n’est que sentimentalisme, et faux humanitarisme.<br />

Malheureusement, une pareille réforme, la seule qui soit vraiment<br />

saine (23) et favorable à l’union régulière, paraît impossible à l’heure<br />

actuelle. Elle heurterait trop d’esprits superficiels. L’opinion publique,<br />

la jurisprudence et même certains juristes favorisent trop, au<br />

nom d’une vague pitié romantique, l’enfant naturel et l’union libre.<br />

Lorsqu’on rapproche cet état d’esprit du fait que les enfants naturels<br />

ont déjà conquis le droit successoral, en concours avec les enfants légitimes,<br />

et de la facilité avec laquelle la jurisprudence admet de nos<br />

jours le divorce, on ne peut s’empêcher de craindre que le crépuscule<br />

de la famille légitime ne descende lentement sur nos sociétés<br />

contemporaines » (24), mais la lance brisée en sa faveur par le dernier<br />

paladin de l’antique ordre social paraissait bien surannée.<br />

* * *<br />

Un tel système ne pouvait subsister, et le coup fatal lui fut donné par le<br />

célèbrissime arrêt Marckx, rendu le 13 juin 1979 par la Cour européenne<br />

des droits de l’homme (25).<br />

Reprenant l’ensemble du régime discriminatoire mis en place par le<br />

droit belge pour un enfant naturel « simple », tel que relaté ci-avant<br />

(26), la Cour en concluait que les articles 8 (protection de la vie familiale),<br />

14 (principe de non-discrimination) de la Convention européenne<br />

des droits de l’homme et 1er du Protocole additionnel à la Convention<br />

(protection des droits patrimoniaux), combinés entre eux, avaient été<br />

violés.<br />

(20) F. Rigaux, Les personnes, t. I, « Les relations familiales », Larcier,<br />

Bruxelles, 1971, n o 2825, p. 687.<br />

(21) Cette dualité de formes d’adoption subsiste actuellement dans notre droit,<br />

sous les noms d’adoption simple et d’adoption plénière.<br />

(22) En italiques dans le texte.<br />

(23) Idem.<br />

(24) H. De Page, Traité élémentaire de droit civil belge, t. I er , 3 e éd., Bruylant,<br />

Bruxelles, 1962, n o 1121, p. 1180.<br />

(25) R.T.D.F., 1979, p. 227.<br />

(26) Voy. notam., les points 14 à 17 de l’arrêt.<br />

J.T. n° 6132 - 12/2004<br />

Larcier - © Groupe Larcier s.a.<br />

aopsomer@gbl.be / Groupe Bruxelles Lambert / aopsomer@gbl.be<br />

La réforme législative, mise en chantier quelques années auparavant<br />

sous le vocable de « projet 305 » (27), se mit alors lentement en marche.<br />

Celle-ci devait aboutir à la loi du 31 mars 1987, laquelle, reversant tout<br />

l’édifice antérieur, contient l’énoncé du principe d’égalité suivant :<br />

« Quel que soit le mode d’établissement de la filiation, les enfants et<br />

leurs descendants ont les mêmes droits et les mêmes obligations à<br />

l’égard des père et mère et de leurs parents et alliés, et les père et mère<br />

ont les mêmes droits et mêmes obligations à l’égard des enfants et de<br />

leur descendance » (28).<br />

Cependant, si les termes de « légitime » de « naturel » et d’« adultérin »<br />

ont effectivement disparu du Code, l’article 334 était loin de dire toute la<br />

vérité.<br />

Tout d’abord, l’égalité proclamée n’existe qu’au niveau des effets de la<br />

filiation, non de son établissement.<br />

Quant à celle-ci, on observe une différence très nette entre la maternité,<br />

désormais placée sous la bannière frappée de l’adage mater semper certa,<br />

et la paternité, dont l’établissement est, en dehors du mariage, soumis<br />

à d’importants aléas.<br />

Pour ne prendre que deux exemples imagés, considérons d’une part un<br />

enfant trouvé, devenu adulte et riche. Voit se présenter à sa porte deux<br />

mendiants, qui sont ses père et mère qui le veulent reconnaître et lui demander<br />

des aliments.<br />

Le fils pourra sans danger claquer la porte au nez de son géniteur (29),<br />

tandis que sa mère triomphera sans obstacle, à tout le moins dans sa volonté<br />

de reconnaître tardivement son enfant (30).<br />

D’autre part, imaginons une mère qui désire élever son enfant en<br />

amazone, mais avec le secours, strictement limité aux finances, du<br />

géniteur.<br />

Il peut, nous l’avons vu, diriger contre lui une action alimentaire non<br />

déclarative de filiation (31), reprise de la loi du 6 avril 1908, et en<br />

même temps, si le défendeur désire alors assumer la totalité de son<br />

rôle paternel, refuser son consentement à la reconnaissance de son<br />

enfant (32).<br />

Mais, même quant aux effets de la filiation, l’article 334 est pris en défaut,<br />

notamment par les dispositions qui le suivent immédiatement, et<br />

qui portent des règles particulières pour l’« enfant conçu pendant le mariage<br />

par l’un des époux et une autre personne que son conjoint », qui<br />

n’est cependant plus « adultérin » (33), tout comme le père du bourgeois<br />

gentilhomme n’était point marchand de drap, mais amateur<br />

d’étoffes, dont il faisait profiter ses amis, pour de l’argent...<br />

Une condamnation de la nouvelle loi par la Cour de Strasbourg était<br />

probable à terme, quand « un jeune et talentueux auteur » (34) signala à<br />

l’attention des juristes belges une piste plus proche et plus aisée : celle<br />

de la Cour d’arbitrage.<br />

(27) Doc. parl., Sénat, 1977-1978, n o 305.<br />

(28) Article 334 du Code civil.<br />

(29) Article 319, § 2.<br />

(30) Article 313.<br />

(31) Articles 336 et s.<br />

(32) Article 319, § 3.<br />

(33) Voy., la critique de la nouvelle terminologie par M. Hanotiau, « Les effets,<br />

en matière successorale, de la loi du 31 mars 1987 sur la filiation », Rev. dr.<br />

U.L.B., 1990, p. 38, note 3.<br />

(34) Il s’agit de F. Tulkens, « La filiation paternelle hors mariage, éléments de<br />

jurisprudence », Journ. procès, 1990, p. 14, et l’expression, on l’aura deviné,<br />

de J. De Gavre, dans l’article qu’il signe sous le titre « Le principe d’égalité<br />

dans le droit de la filiation : limites, exceptions et contrôle » à la Rev. dr.<br />

U.L.B., 1990, n o 3, p. 15.

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