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social. On sait combien le Code civil, faisant table rase des coutumes,<br />

privilèges et statuts diversifiés de l’Ancien Régime, a réussi à niveler le<br />

corps social autour des principes d’égalité, d’autonomie de la volonté et<br />

de propriété souveraine.<br />

Enfin, et cela se vérifie particulièrement dans le cas du Code Napoléon,<br />

un code est aussi un élément important de l’identité nationale.<br />

Ph. Malaurie n’hésite pas à écrire à cet égard que le Code civil aura été<br />

un facteur décisif de l’unité et de la culture françaises, au même titre que<br />

la législation de Jules Ferry sur l’école primaire obligatoire (9).<br />

Cet idéal codificateur — et le cortège de fantasmes qu’il suscite — doit<br />

être très profondément associé à la raison juridique, car on ne cesse de<br />

le voir renaître, même au cours des plus récentes années, pourtant caractérisées<br />

par la diffraction des pouvoirs et la prolifération des normes.<br />

En France, tout particulièrement, la codification est récemment apparue<br />

comme un instrument privilégié de la réforme de l’Etat : relancée en<br />

1989, par Michel Rocard, cet objectif est régulièrement rappelé par les<br />

gouvernements qui se succèdent depuis. Ainsi, en 1995, la Commission<br />

supérieure de codification s’est risquée à élaborer un plan général de<br />

codification : « démarche exhaustive, du type de celle qui s’était déroulée<br />

sous l’empire », note J.-L. Silicani, commissaire à la réforme de<br />

l’Etat : « il s’agit de substituer aux quelque 8.000 lois et 80.000 décrets<br />

en vigueur une cinquantaine de Codes » (10).<br />

Une circulaire Juppé du 30 mai 1996 (11) précisant la méthodologie de<br />

cette entreprise aux ambitions pharaoniques s’inscrit dans le droit fil de<br />

l’imaginaire codificateur que nous avons rappelé (12). Ici encore, comme<br />

à la grande époque, il s’agit de « rassembler en un corps un ensemble<br />

de règles éclatées ». Ces textes « seront classés dans un sens logique »,<br />

et le Code « sera pleinement conforme à la hiérarchie des normes ». On<br />

y adoptera notamment l’articulation entre « Code pilote et Code<br />

suiveur ». On proposera les modifications nécessaires « pour mettre le<br />

corps des règles en harmonie » et on « constatera » les abrogations, de<br />

façon à ne retenir que les normes valides et en vigueur. La réalisation de<br />

cet objectif ambitieux « doit permettre aux citoyens, aux élus, aux fonctionnaires,<br />

aux entreprises, de mieux connaître leurs droits et<br />

obligations ». Par ailleurs, on attend également de ce travail de réécriture<br />

qu’il « fournisse aux auteurs de projets de réforme une base de textes<br />

clairs, ordonnés et en vigueur », de façon à « préparer la réforme et<br />

la simplification ultérieure des textes ».<br />

Et voilà ressuscité le phénix de la lex perfecta : rien que des textes<br />

clairs, logiquement articulés, dépourvus de lacunes et d’antinomies et<br />

dotés d’une validité incontestable... des textes gravés dans le marbre, à<br />

la portée du citoyen ordinaire, des textes qui diraient la grandeur de<br />

l’Etat et, assurément, celle des Rocard - Portalis et autres Juppé - Napoléon.<br />

Ce nouvel engouement pour l’idéal de la codification classique est<br />

d’autant plus singulier que l’incontestable réussite du Code Napoléon<br />

n’est pourtant jamais parvenue à faire taire les critiques et objections à<br />

l’égard de ce mode de production du droit particulièrement rationaliste<br />

et centralisateur. Du reste, à l’époque du Directoire, Portalis lui-même,<br />

en bon disciple de Montesquieu, se déclarait hostile à la codification :<br />

« Renonçons, disait-il en 1797, à la dangereuse ambition de faire un<br />

Code civil » (13). L’auteur de L’Esprit des lois n’avait-il pas écrit, quant<br />

à lui, « il y a de certaines idées d’uniformité qui saisissent quelquefois<br />

les grands esprits, mais qui frappent infailliblement les petits » (14). A<br />

la codification on n’a jamais cessé de reprocher de « décontextualiser »<br />

(9) Ph. Malaurie, « L’enjeu de la codification », in L’Actualité juridique - Droit<br />

administratif, 20 sept. 1997, p. 642.<br />

(10) J.-L. Silicani, « La codification : instrument de réforme de l’Etat en<br />

France », in L’Actualité juridique - Droit administratif, 20 sept. 1997, p. 640.<br />

(11) J.O., 5 juin 1996, p. 8263.<br />

(12) D. de Bechillon, « L’imaginaire d’un Code », in Droits - La codification,<br />

n o 27, 1998, pp. 171 et s.<br />

(13) Cité par Ph. Malaurie, « Les enjeux de la codification », op. cit., p. 645.<br />

(14) Montesquieu, De l’esprit des lois, XXIX, 18.<br />

J.T. n° 6132 - 12/2004<br />

Larcier - © Groupe Larcier s.a.<br />

aopsomer@gbl.be / Groupe Bruxelles Lambert / aopsomer@gbl.be<br />

les règles, en les coupant de leur origine historique et les privant du terreau<br />

interprétatif où elles plongent leurs racines (15). Ramenée à un<br />

foyer unique et suprême, la production codifiée du droit s’exposait aux<br />

reproches de centralisme, de formalisme et d’autoritarisme. L’école historique<br />

allemande (Savigny, Grimm) lui opposait une genèse diffuse et<br />

spontanée du droit, un droit coutumier, jurisprudentiel et principiel qui<br />

n’aurait pas perdu le contact avec les réalités historiques. Au XXe siècle,<br />

von Hayek et ses disciples néolibéraux ont poursuivi ce travail de<br />

critique du « constructivisme rationnel » des Codes, cette fois au nom<br />

de la nécessaire autorégulation du marché (16). Par ailleurs, même si sa<br />

spécificité de judge made law se réduit beaucoup aujourd’hui, le Common<br />

Law n’a jamais cessé de constituer une alternative de poids au droit<br />

codifié.<br />

Il reste évidemment, au-delà de ces critiques récurrentes, qu’il faut s’interroger<br />

sur la pertinence actuelle de la technique de codification, alors<br />

que nous sommes résolument entrés dans l’ère de la complexité et que<br />

le droit s’écrit désormais en réseau (17). « La codification », expliquait<br />

Pierre Bourdieu, « rend les choses simples, claires, communicables »<br />

(18). Mais les conditions sur lesquelles reposait cette entreprise de simplification<br />

(monisme juridique, centralisme politique, une rationalité<br />

déductive et linéaire, une temporalité prométhéenne, stable et orientée<br />

vers l’avenir) ne sont-elles pas profondément altérées aujourd’hui?<br />

Qui ne voit pas que le monisme juridique (suprématie, voire exclusivité,<br />

de la loi écrite) cède de toutes parts sous la pression de sources du droit<br />

démultipliées? Qui ne sait que le centralisme politique doit aujourd’hui<br />

composer sous la pression de pouvoirs concurrents d’ordre supranational,<br />

infranational, voire de pouvoirs privés extraterritoriaux? Ne constate-t-on<br />

pas que le mode de raisonnement formel et déductif (notamment<br />

le fameux « syllogisme judiciaire » qui plaçait toujours la loi dans<br />

la position de la majeure du raisonnement) fait place à des évaluations<br />

pragmatiques et contextualisées (dont témoignent, par exemple, le succès<br />

de la balance des intérêts et l’importance acquise par les principes<br />

de proportionnalité et de subsidiarité)? Enfin, n’assiste-t-on pas à une<br />

érosion du temps prométhéen orienté vers un futur maîtrisé par la raison<br />

et la loi dès lors que se multiplient les normes juridiques précaires et révisables,<br />

constitutives d’une temporalité aléatoire (19)? Si l’on continue,<br />

néanmoins, de parler de codification, il ne peut s’agir, dans ces<br />

conditions, que d’une codification dans un sens profondément altéré.<br />

II. — UNE TECHNIQUE QUI SE MÉTAMORPHOSE<br />

Sans doute observe-t-on encore, de-ci, de-là, l’émergence d’un grand<br />

Code classique. La Belgique s’est dotée, en 1967, d’un Code judiciaire<br />

qui pouvait répondre à ce titre; les Pays-Bas sont parvenus à réformer<br />

en profondeur leur Code civil en 1992, et le Québec en 1994. Mais au<br />

bilan, ces exemples sont plutôt exceptionnels. Ils ne sauraient masquer<br />

le phénomène, beaucoup plus répandu, d’éclatement et de banalisation<br />

de la codification, quand il ne s’agit pas tout simplement de « décodification<br />

».<br />

On note, tout d’abord, un éclatement de la codification au plan des matières<br />

traitées. Il est loin le temps où Portalis pouvait soutenir que le<br />

Code civil « régit l’universalité des choses et des personnes ». D’une<br />

part, le droit civil a cessé de bénéficier du statut privilégié de ius com-<br />

(15) B. Oppetit, « De la codification », in Recueil Dalloz-Sirey, 1996, chron.,<br />

p. 38.<br />

(16) F.-A. Hayek, Droit, législation et liberté, t. I, Paris, P.U.F., 1980, p. 113.<br />

(17) F. Ost et M. van de Kerchove, De la pyramide au réseau? Pour une théorie<br />

dialectique du droit, Bruxelles, Publications des Facultés universitaires<br />

Saint-Louis, 2002.<br />

(18) P. Bourdieu, « Habitus, code et codification », in Actes de la recherche en<br />

sciences sociales, n o 64, sept. 1986, p. 42.<br />

(19) F. Ost, Le temps du droit, Paris, Odile Jacob, 1999, pp. 251 et s.<br />

2004<br />

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