Planescape Chapitre 3 : Factions

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Planescape
Des pièces frappèrent violemment la table, sortant brusquement Tethin de sa rêverie. “Vendu ! Au type
en train de mordre ses pieds...” marmonna l’humain d’âge mûr qui l’avait accompagné toute la soirée,
un xaositecte dénommé Aboyeur Féroce. Tethin jeta un coup d’œil dans la taverne et fronça les sourcils
devant tous les signes de sa fermeture prochaine. Il avait passé l’essentiel de la journée avec le
xaositecte, ses contacts les plus fiables dans la Cage lui ayant fortement recommandé de le rencontrer.
Apparemment, Aboyeur Féroce avait le chic pour décrypter les choses obscures, parfois même les
prophéties, même si sa santé mentale laissait sérieusement à désirer. Une fois devant lui, Tethin avait
fait exactement ce qu’on lui avait dit de faire : il s’était approché avec un bol d’eau claire, y avait lâché
trois pièces de cuivre puis l’avait tendu au xaositecte en lui posant sa question. L’humain semblait avoir
pris acte de sa requête et avait plongé ses doigts dans l’eau pour tracer des lignes sur la table en bois.
Tethin avait aussitôt pensé que le xaositecte cherchait à communiquer avec lui en utilisant les trainées
humides émaillant la table ; il s’était alors assis précipitamment, avait saisi ses instruments d’écriture et
avait reporté dans son carnet les schémas qui se formaient sur le bois. Quelques heures après, il avait
fini par renoncer à chercher une quelconque signification à ces “écritures”, et le xaositecte lui-même
avait perdu tout intérêt pour le bol presque vide. Tethin, plongé dans ses pensées, se demandait
pourquoi on l’appelait Aboyeur Féroce alors qu’il n’avait pas aboyé ni même produit un son quelconque
de toute la journée. Et soudain le vacarme des pièces frappant la table le sortit de ses réflexions.
Tethin se redressa sur sa chaise et se pencha vers la table pour mieux voir la disposition des pièces
étalées devant lui. Il y en avait deux douzaines et chaque pièce d’argent était frappée du symbole d’une
faction. Il nota mentalement que l’une d’elle représentait la Dame et que certaines portaient des
symboles qu’il ne connaissait pas encore. Aboyeur Féroce se mit à déplacer les pièces de son long doigt
maigre en marmonnant dans sa barbe. Il gardait les yeux fixés sur le schéma en construction et son
regard brillait d’un éclat intense. Tethin tendit la main vers son carnet de notes mais le xaositecte
grimaça et frappa la table du poing, ce qui eut pour effet de faire voltiger les pièces en l’air et de les
faire retomber dans une petite poche en cuir. Tethin soupira et se renfonça dans sa chaise. Il repensa à
ses collègues qui avaient attentivement étudié les propriétés uniques de Sigil depuis des années mais
n’avaient pas obtenu de résultat probant. Lui-même avait échoué dans des tentatives similaires, avant de
se persuader que l’unique façon de comprendre les quartiers de la cité, qui semblaient défier toutes les
lois magiques et naturelles connues, était d’étudier les courants chaotiques qui l’enveloppaient. Ses
nombreuses recherches l’avaient convaincu qu’Aboyeur Féroce, qu’on considérait comme l’un des plus
anciens xaositectes de la ville (ca ne veut pas dire grand-chose d’ailleurs, pensa ironiquement Tethin),
constituerait un bon guide dans cette voie. Maintenant il commençait à sérieusement douter de ses
“contacts les plus fiables”.
Une fois encore, Aboyeur Féroce interrompit ses pensées en retournant sa poche au-dessus de la table,
envoyant valser son contenu. Tethin observa attentivement les pièces rebondir et tourbillonner, puis se
mit inconsciemment à calculer leur vitesse et leur angle de chute. Quelque chose le titillait sur leur
façon de bouger, mais il n’arrivait pas à trouver où était le problème malgré toute son attention. La
notion même d’arbitraire liée à ces pièces l’irritait… Il existait forcément une structure commandant
leur chute, il existait une structure commandant toute chose. Il suffisait de trouver cette structure…
Lorsque les pièces cessèrent de bouger, il nota leur position exacte sur son carnet, et remarqua
silencieusement qu’elles s’étaient vaguement organisées pour former un anneau…
Aboyeur Féroce ramassa les pièces d’un geste et les relança sur la table. Tethin se remit à étudier leur
mouvement, et ses mains grattèrent frénétiquement le papier. Le mouvement des pièces n’était pas du
tout régulier ; elles bondissaient et faisaient bien plus de bruit que des objets ayant la même taille et le
même poids. Il calcula rapidement leur vélocité, leur taux d’attraction et bien d’autres facteurs. Des
formules complexes se formèrent dans son esprit, brouillant sa vision jusqu’à ce qu’il oublie
complètement le xaositecte. La réponse était proche, il le savait, il sentait le principe sous-jacent et le
séparait de toutes les variables sans signification. Les algorithmes s’étalaient sur la table comme une
toile d’araignée, les symboles était tous liés par un enchaînement complexe d’actions et de réactions, un
enchaînement de mensonges. Tout était là, étendu devant lui sous la forme d’acronymes et de nombres.
Tout ça menait au même résultat, tout ça menait au… Tethin se redressa d’un bond, trébucha sur sa
chaise mais continua à noter précipitamment le cours de ses pensées de peur de les oublier. Attendez un
peu que ses collègues sur Méchanus voient son travail ! Il serait aussitôt promu Facteur… Et peut-être
même Factol ! Quelle serait sa première décision ? Bah, il avait bien le temps d’y réfléchir, et puis il
n’avait plus qu’à retourner au portail. La clef était encore là, quelque part sous son manteau…
Quelqu’un saisit le bras de Tethin et interrompit le cours de ses pensées. Il se retourna violemment, en
essayant instinctivement de se dégager. Aboyeur Féroce relâcha doucement son étreinte, puis remua la
tête en disant : “Répandre ce savoir toi ne pas”. Tethin grimaça devant ces paroles, et dégagea sa
manche pour sortir de la taverne. Il écrivait toujours frénétiquement dans son carnet et ne faisait pas
attention à l’endroit où il se rendait, confiant dans l’instinct qui le ramènerait chez lui. Concentré sur sa
découverte, il ne remarqua pas le silence inhabituel qui s’était mystérieusement abattu sur les rues de