Consulter l'étude (PDF - 338Ko) - Parc de la Villette

En fait, c'est un jeu à quatre qui est mis en scène : des interactions pouvant se produire
quasiment dans tous les sens et de façon imprévisible entre les quatre positions du système, y
compris sur des liaisons assez imprévues, comme on le voit dans l'exemple suivant.
"Quand le gardien a froissé mon passeport et m'a dit de la mettre dans la bouche avec la
kalachnikov braquée sur moi, j'ai pleuré ; je me suis identifiée peut-être pas à Vesna, mais à la
situation de la personne qu'on oblige à avaler quelque chose dans la bouche. Et il a eu l'air
surpris et m'a dit : mais qu'est-ce qu'il y a ? Et il m'a fait sortir de l'exposition et, là, j'ai discuté
avec une personne d'Amnesty qui m'a demandé pourquoi j'avais réagi comme ça et m'a
expliqué qu'il y avait des gens qui avaient, comme moi, des réactions fortes etc… Après, j'ai
eu envie de continuer quand même parce que je me disais qu'une fois mon sac vidé, ça irait
mieux pour moi. Et j'ai recommencé ; et là, le gardien a été rigolo, a fait des plaisanteries,
pour alléger l'atmosphère". (étudiante DESS, grand-mère vietnamienne réfugiée en France, un
an dans une ONG au Vietnam pour un mémoire d'étude,sur les rapatriés des camps)
Cet exemple peut se décoder de la façon suivante :
- premier acte, en quelque sorte : la jeune fille pleure, autrement dit, c'est la personne qui
réagit à une agression subie par le personnage de la part du comédien - gardien,
- deuxième acte : le comédien - gardien est surpris : "mais qu'est-ce qu'il y a ?". C'est la
personne du comédien qui prend le pas sur le rôle du gardien et qui réagit alors en tant que
personne ; il fait sortir la jeune fille,
- troisième acte : la jeune fille revient et se retrouve en tant que personnage face à lui ; mais
lui, sans quitter apparemment son rôle, rétablit avec elle une relation interpersonnelle (il
plaisante) pour qu'elle continue son parcours et dédramatise l'événement précédent.
On notera que ce jeu à quatre se complique encore pour les accompagnants des groupes
d'enfants et de jeunes (animateurs ou enseignants) qui ont, de fait, trois positions dans
l'exposition : il y a, comme pour les autres visiteurs, celle de la personne, celle du personnage
; mais il y a aussi celle de l'accompagnateur responsable d'enfants, qui continue à exister
comme tel aux yeux des enfants dans l'exposition. Ainsi des enfants s'étonnent de voir leur
institutrice se faire traiter de "sale pédé" : "mais madame, vous vous laissez injurier ?".
D'autres sont au bord des larmes quand il la voit couchée par terre les mains sur la tête. Un
animateur cherche à rectifier le tir face à des enfants de son groupe qui, à l'inverse, ricanent :
"mais non, c'est des comédiens ; ce n'est pas moi qu'ils engueulent…".
Ainsi, dans Un voyage pas comme les autres , la richesse et la dynamique du mécanisme
d'interactivité viennent de l'imbrication et des allers et retours permanents entre personnes et
personnages : à chaque instant et dans chaque situation, il y a des transferts, des glissements
d'une position à l'autre, entre personnes fictives et personnes réelles. En effet, si on examine
de façon plus global le système, il s'agit d'échanges permanents entre fiction et réalité. On
retrouve bien ici l'intention des organisateurs : intervenir sur une réalité - ce que sont et ce que
pensent les visiteurs - en les plongeant dans une situation fictive.
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