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Josseline Bidard<br />
un lien étroit entre la personnalité de certains conteurs et le langage<br />
qu'ils utilisaient dans leur conte. Le clerc ou l'homme de loi, par<br />
exemple, emploient de termes savants, voire techniques, révélant ainsi<br />
l'importance de leur formation intellectuelle ou de leur profession.<br />
D'autres personnages, au contraire, émaillent leur récit d'expressions<br />
familières, parfois même vulgaires, qui trahissent la médiocrité de leur<br />
origine. C'est le cas, entre autres, de Harry Bailey ou de la commère<br />
de Bath. Parfois, encore, Chaucer s'est amusé à glisser quelques traits<br />
dialectaux qui lui permettent de différencier les personnages et de<br />
créer une impression de réalisme. Ce procédé apparaît clairement dans<br />
«The Reeve's Tale », par exemple.<br />
Dans ces conditions, on pouvait s'attendre à retrouver la même<br />
richesse et la même variété dans le lexique de la parole. Or, il n'en est<br />
rien, bien au contraire. Chaucer utilise presque toujours les mêmes<br />
mots et choisit de préférence les termes les plus courants et les plus<br />
génériques. On trouve essentiellement des verbes comme to say, to<br />
tell, to speak ou bien, pour introduire les citations, la forme quod,<br />
forme aujourd'hui disparue. 3 Uniformité et monotonie semblent la<br />
règle. Nous nous proposons donc, dans cette communication, de<br />
chercher les raisons d'une telle sobriété de moyens. Fallait-il pour cela<br />
étudier tous les contes ou bien n'en choisir qu'un, parmi les plus<br />
significatifs? Nous avons opté pour la seconde solution et notre choix<br />
s'est porté sur le prologue et le conte de la commère de Bath. Deux<br />
raisons surtout justifient cette démarche : d'une part la personnalité de<br />
la conteuse, d'autre part le nombre impressionnant d'occurrences des<br />
verbes mentionnés ci-dessus. La commère de Bath sait se servir de la<br />
parole mieux que quiconque ; une fois lancée, c'est un véritable torrent<br />
verbal que rien ne peut arrêter. Elle en est tout à fait consciente et<br />
l'avoue sans détour ni complaisance. Evoquant ses démêlés avec son<br />
3 . La ponctuation étant encore très aléatoire dans les manuscrits du XIV e siècle,<br />
lorsque les auteurs employaient le style direct, ils introduisaient les paroles de<br />
leurs personnages par des formules du type quod he ou quod she sans que cet<br />
emploi soit véritablement significatif.