QUI EST VRAIMENT ANGELA MERKEL? - La Tribune
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4<br />
L’ÉVÉNEMENT<br />
59 % c’est la<br />
proportion d’Allemands qui<br />
voteraient Angela Merkel si l’élection du<br />
chancelier se faisait au surage direct, selon le<br />
sondage DeutschlandTrend de la chaîne ARD<br />
du mois de mai. Son concurrent, Peer<br />
Steinbrück, ne recueillerait que 28 % des voix.<br />
FLORENCE AUTRET<br />
Il fallait s’y attendre. Le virus<br />
germanophobe qui frappe le<br />
sud de l’Europe est en train<br />
d’atteindre la France via la rue<br />
de Solferino. Après avoir été<br />
accusée de manquer de leadership<br />
européen, Angela Merkel se voit<br />
taxer d’« intransigeance égoïste »<br />
par les ténors du PS.<br />
Même si le parti socialiste prétend<br />
n’attaquer qu’une politique « de<br />
droite », celle de la coalition dirigée<br />
par la chancelière, il vise tout autant<br />
l’Allemagne, ses excédents insolents<br />
et son taux d’emploi à faire pâlir<br />
d’envie. Quel intérêt peut bien présenter<br />
la charge du PS, sinon de<br />
flatter une germanophobie latente ?<br />
On est désormais très au-delà des<br />
slogans du candidat Hollande<br />
quand il annonçait qu’il allait renégocier<br />
le traité budgétaire demandé<br />
par Berlin et signé par Nicolas<br />
Sarkozy. À l’époque, le PS n’avait<br />
pas été capable d’écrire la première<br />
ligne du « mémorandum » sur le<br />
fondement duquel il entendait discuter.<br />
Pas de substance, juste le slogan<br />
du « pacte pour la croissance »<br />
auquel les économistes n’accordent<br />
aucune portée concrète.<br />
<strong>La</strong> chancelière n’a certes aucune<br />
anité particulière avec la France<br />
et cela ne rend pas la tâche de Paris<br />
facile. Entre Hollande et Merkel se<br />
joue l’éternel malentendu francoallemand,<br />
dans les formes, autant<br />
que sur le fond. Le président a tenté<br />
en vain de la convier à un dîner en<br />
tête à tête. À chaque rencontre, il<br />
butte sur sa redoutable sachlichkeit,<br />
cette manière bien à elle d’être<br />
concrète et pratique. Quand il<br />
arrive avec un propos politique, elle<br />
le reçoit avec une liste soigneusement<br />
préparée de demandes et de<br />
sujets qu’elle coche méthodiquement<br />
au fur et à mesure de l’entretien.<br />
Ce n’est pas que le dialogue<br />
entre elle et le nouveau président<br />
ait été rompu : il n’a jamais été établi.<br />
Jamais en tout cas au niveau<br />
d’ambition et de… sachlichkeit qui<br />
serait nécessaire pour aborder le<br />
sujet légitimement soulevé par les<br />
socialistes : la conciliation du<br />
désendettement et de la croissance.<br />
Paris serait bien avisé de se demander<br />
pourquoi le concert européen<br />
qui se joue à Bruxelles a fini par<br />
ressembler à une finale de la Ligue<br />
© POOL / BERTRAND LANGLOIS/AFP<br />
des champions comme celle qui<br />
opposera fin mai le Bayern et le<br />
Borussia Dortmund, à Wembley au<br />
Royaume-Uni.<br />
<strong>La</strong> chancelière a fait il y a longtemps<br />
le constat que la gouvernance<br />
européenne ne fonctionnait<br />
pas, parce qu’elle forçait à se porter<br />
garant de pays sans maîtrise sur<br />
leurs choix politiques. Pour cette<br />
raison, elle a rapatrié les pouvoirs à<br />
Berlin, faisant du Bundestag un<br />
Parlement européen bis. Que le<br />
reste du continent trouve la situation<br />
déplaisante est assez compréhensible.<br />
En même temps, qui a mis<br />
une idée sur la table pour sortir de<br />
cette impasse, sinon, encore, Angela<br />
Merkel avec son traité budgétaire ?<br />
L’ÉLYSÉE <strong>EST</strong> DÉSEMPARÉ<br />
DEVANT L’ÉNIGME <strong>MERKEL</strong><br />
Les technostructures se parlent<br />
encore, certes. Au ministère des<br />
Finances à Berlin, on s’amuse du<br />
fait que Wolfgang Schäuble passe<br />
plus de temps à parler avec son<br />
homologue Pierre Moscovici<br />
qu’avec aucun des ministres de la<br />
coalition noire-jaune à laquelle il<br />
appartient. Mais les liens étroits qui<br />
avaient été noués entre 2008<br />
et 2012 se sont défaits au hasard des<br />
mutations et de l’alternance. Du<br />
quadrige Musca (ex-secrétaire<br />
général de l’Élysée de Sarkozy),<br />
Fernandez (directeur du Trésor),<br />
Asmussen (ex-secrétaire d’État aux<br />
Finances désormais à la BCE),<br />
Weidman (ex-conseiller écono-<br />
«L’amitié franco-allemande<br />
est indispensable pour<br />
redonner un nouvel élan au<br />
projet européen et trouver les<br />
voies du retour de la croissance. »<br />
TWEET DE JEAN-MARC AYRAULT.<br />
mique de Merkel parti à la Bundesbank),<br />
il ne reste que le deuxième<br />
cheval. Depuis l’alternance française,<br />
l’attelage n’existe plus.<br />
L’Élysée est désemparé devant<br />
l’énigme Merkel. Et Merkel ellemême<br />
est embarrassée de cette<br />
incompréhension. « Au moins, à<br />
vous, ce n’est pas la peine d’expliquer<br />
l’Allemagne », aurait-elle dit au Premier<br />
ministre Jean-Marc Ayrault<br />
lors de leur rencontre, fin 2012. C’est<br />
peu flatteur pour les autres. Et que<br />
peut Ayrault face au ressentiment<br />
qui monte ? Or, il va probablement<br />
falloir compter avec elle encore<br />
quelque temps. Elle a connu trois<br />
présidents français, autant de Premiers<br />
ministres britanniques. Tous<br />
passent. Elle reste. Candidate aux<br />
élections du 22 septembre 2013, elle<br />
part ultra-favorite. Non que son<br />
parti, la CDU, soit au mieux de sa<br />
forme. Les démocrates-chrétiens<br />
ont accumulé les défaites depuis<br />
cinq ans aux élections régionales.<br />
Mais la popularité de leur présidente<br />
est intacte et même renforcée<br />
par les bourdes de son adversaire<br />
social-démocrate Peer Steinbrück.<br />
Tenue par l’arithmétique parlementaire,<br />
elle ne choisira pas<br />
forcément son allié de gouvernement,<br />
mais l’option la plus probable<br />
reste une nouvelle grande coalition<br />
avec les sociaux-démocrates. Une<br />
immense majorité d’Allemands,<br />
même de gauche, veut garder<br />
Merkel. Il serait peut-être temps de<br />
décrocher son téléphone. <br />
1<br />
LA TRIBUNE VENDREDI 17 MAI 2013<br />
Sortie du nucléaire<br />
Le 6 juin 2011, Angela Merkel décide<br />
pour l’Allemagne d’une sortie<br />
unilatérale du nucléaire, dès 2022. En<br />
octobre 2010, elle avait décidé de<br />
prolonger la durée de vie des centrales<br />
atomiques. Entre-temps, la catastrophe<br />
de Fukushima a modifié son point de vue.<br />
MOI, <strong>ANGELA</strong> <strong>MERKEL</strong>,<br />
Angela Merkel, une Allemande<br />
(presque) comme les autres<br />
« Sur la façade jaune pâle d’une maison patricienne de<br />
Templin, où elle a grandi, dans la plaine monotone du<br />
Brandebourg, on peut lire cette maxime attribuée à Saint<br />
François d’Assise : “Commence par faire le nécessaire, puis<br />
fais ce qu’il est possible de faire et tu réaliseras l’impossible<br />
sans t’en apercevoir.” […] » Tout Angela Merkel est résumé<br />
dans cette phrase citée par notre correspondante à<br />
Bruxelles, qui signe Angela Merkel, une Allemande<br />
(presque) comme les autres, publié chez Tallandier en ce<br />
mois de mai. Alors que plusieurs biographies paraissent<br />
en Allemagne, notamment sur le passé aux Jeunesses<br />
communistes de la jeune Angela Kasner dans l’ex-RDA des années 1970,<br />
la lecture du livre de Florence Autret, dont nous publions en exclusivité<br />
quelques extraits, permet de mieux comprendre le parcours exceptionnel<br />
de cette femme politique aujourd’hui la plus puissante d’Europe.<br />
© DR<br />
Angela Kasner, petite fille, en 1958.<br />
Ses parents ont quitté Hambourg pour l’Allemagne<br />
de l’Est quand elle n’avait que quelques mois.<br />
[ULLSTEIN BILD / ROGER-VIOLLET]<br />
L’ENFANCE<br />
AUX JEUNESSES<br />
COMMUNISTES<br />
Grandir fille de pasteur dans la RDA anticléricale<br />
des années 1960 n’était pas une<br />
sinécure. Pour obtenir la reconnaissance à<br />
laquelle ses excellents résultats scolaires<br />
lui donnent droit, la jeune Angela développe<br />
des talents de stratège et convainc ses<br />
parents de la laisser s’inscrire aux Jeunesses<br />
communistes.<br />
«En septembre 1961, quand le Mur est érigé,<br />
Angela a sept ans. Elle entre en primaire.<br />
L’école Goethe de Templin n’a pas encore<br />
été rebaptisée “Hermann Matern”, en souvenir de<br />
ce politicien social-démocrate devenu résistant<br />
antinazi puis membre du parti communiste estallemand<br />
et qui mourra en 1971. C’est une enfant<br />
visiblement douée pour apprendre. Son excellence<br />
scolaire va de pair avec une maladresse tout aussi<br />
extraordinaire qui confine, pour tout dire, à l’infirmité.<br />
Elle se qualifie elle-même de “petite idiote du<br />
mouvement”. […] Marcher sur un terrain en pente,<br />
emprunter un escalier restera pendant des années<br />
une source d’embarras. Cela ne posait pas vraiment<br />
de problème en famille où la performance sportive<br />
n’était pas vraiment une valeur suprême. Mais à<br />
l’école, il en allait tout autrement. L’État est-allemand<br />
avait fait sienne la maxime mens sana in corpore<br />
sano. Il exigeait, en matière sportive, de réelles<br />
performances de ses futures élites. <strong>La</strong> gaucherie<br />
d’Angela aurait pu lui coûter très cher. “Même à