énonciation référentielle et fictionnelle au sein du même texte dans Le pacteautobiographique : « Je ne suis pas sûr du statut théorique de mon entreprise, ce n'est pas àmoi d'en décider, mais j'ai voulu très profondément remplir cette "case" que votre analyselaissait vide, et c'est un véritable désir qui a soudain lié votre texte critique et ce que j'étaisen train d'écrire » 39 .D’autre part, la reconfiguration de certains traits de sa personnalité à travers ses<strong>personnage</strong>s témoigne d’un désir plus profond de l’écrivain. Sa fictionnalisation lui permetde faire partie de son œuvre. Dans le Plaisir du texte 40 , Barthes évoque le fantasme desauteurs qui souhaitent intégrer l’univers de leur fiction : « Un certain plaisir est tiré d'unefaçon de s'imaginer <strong>comme</strong> individu, d'inventer une dernière fiction, des plus rares : le fictifde l'identité ».Le genre de l’autofiction semble pouvoir exaucer ce désir. Contrairement au roman,l’auteur n’est plus simplement le metteur en scène qui orchestre la destinée de ses<strong>personnage</strong>s. Il se situe au centre de l’intrigue. Toutefois, à la différence del’autobiographie, l’auteur autofictif ne se constitue pas <strong>comme</strong> sujet, mais <strong>comme</strong> acteur deson récit. La réflexion sur la fonction du comédien proposée par Diderot éclaireparticulièrement ce rapprochement : « L’acteur est las, et vous tristes ; c’est qu’il s’estdémené sans rien sentir, et que vous avez senti sans vous démener. S’il en était autrement,la condition de comédien serait la plus malheureuse des conditions ; mais il n’est pas le<strong>personnage</strong>, il le joue et le joue si bien que vous le prenez pour tel : l’illusion n’est que pourvous ; il sait bien, lui, qu’il ne l’est pas. » 41 En tant que mise en scène de soi, l’identité quese forge l’auteur dans l’autofiction n’est qu’une « illusion ». En ce sens, la personnalitévéritable de l’auteur importe aussi peu que celle de l’acteur, puisque l’écriture devient lelieu d’une métamorphose. L’enjeu de l’écriture autofictive consiste à interpréter un rôle,<strong>comme</strong> en témoigne l’affirmation de Philip Roth dans La Contrevie 42 : « Ce qu’on enviechez le romancier, ce n’est pas les choses que le romancier trouve en lui-même si enviables,mais les idées remarquables que s’accorde l’auteur, son irresponsableincarnation/désincarnation, la délectation qui ne procède pas du « moi », même si çaimplique d’accumuler sur soi d’imaginaires afflictions. Ce qu’on lui envie, c’est le don de39 Lettre du 17 octobre, in Philippe Lejeune, Moi aussi, p.63.40 Barthes, Roland, Le plaisir du texte, Paris, Seuil, coll. « Points », 1973, p. 98.41 Diderot, Denis, Paradoxe sur le comédien, Paris, GF Flammarion 2000, p.24.42 Roth, Philip, La Contrevie, Gallimard, 1989, p.248.
l’auto transformation théâtrale […] » L’entreprise autofictionnelle trouve donc sajustification dans la conquête de l’altérité. Il s’agit de « devenir autre que soi » 43 . DansOperation Shylock, l’espace romanesque devient le lieu où l’auteur peut jouer une multitudede rôles. L’écrivain propose deux versions de sa personnalité aussi factices l’une que l’autre: un « moi » idéalisé, complètement modifié par l’écriture, qui s’oppose à sa répliquemonstrueuse, caractérisée par son idéologie politique révoltante. La présence de ce doubledans le récit détient une fonction bien précise. Le sosie du narrateur permet à l’écrivain des’inventer non pas une, mais deux vies distinctes. Les existences des deux Philip Roth sontd’ailleurs interchangeables, p.252 :« […] if he could disguise himself as the writer, I could pretend to be detective. »« […] si lui se faisait passer pour l’écrivain, je pouvais bien faire semblant d’être ledétective. »Le « faux » Philip Roth n’est pas le seul à usurper l’identité d’autrui. En effet, la version« véridique » de l’écrivain envahit elle aussi la vie de son artéfact. Par un stratagèmemachiavélique, il décide de se faire passer pour Pipik afin de séduire sa petite amie.Si la fiction permet à Philip Roth de s’inventer un destin à travers des variantesfictives de lui-même, Colette joue le rôle d’un individu bien réel dans La naissance du jour.Elle construit son <strong>personnage</strong> en s’inspirant du modèle maternel. L’histoire d’amour avortéeentre la narratrice et Vial est directement liée à la conception de l’amour de Sido. Dans lapremière partie de l’œuvre, Colette rend compte de son admiration pour le choix de sa mèrequi s’est résolue à vivre seule. Dès lors, le lecteur comprend que sa décision de repousserVial ne relève pas du libre arbitre ; son choix est conditionné par l’exemple de Sido. Lethème de la frustration engendrée par l’insatisfaction du désir apparaît de manièrerécurrente tout au long du récit, par exemple p.130 :« […] je mis à profit, pour le mieux voir, la sournoise résurrection d’un ancien« double » qui s’éveillait en moi avec le jour, un double âpre à l’échange physique,expert à traduire en promesses la forme d’un corps »43 Expression empruntée à Vincent Colonna dans Autofiction & autres mythomanies littéraires, (Tristram,2004, p. 167.)
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