De <strong>la</strong> mère au nourrisson<strong>Les</strong> antidépresseurs <strong>durant</strong><strong>la</strong> <strong>grossesse</strong> : <strong>des</strong> risques calculésL’état <strong>des</strong> connaissances sur l’impact <strong>des</strong> antidépresseurs sur le développement fœtal a grandement évolué ces 10 dernières années.Cette somme croissante d’informations, conjuguée aux difficultés d’interprétation <strong>des</strong> méthodologies de recherche employées et auxrésultats parfois contradictoires <strong>des</strong> étu<strong>des</strong>, peut constituer un véritable casse-tête pour le pharmacien qui doit pourtant conseiller sespatientes enceintes et renseigner l’équipe médicale. Cet article vise à faire une synthèse <strong>des</strong> données publiées à ce jour sur l’innocuité<strong>des</strong> antidépresseurs <strong>durant</strong> <strong>la</strong> <strong>grossesse</strong>.Texte rédigé par Brigitte Martin, B. Pharm.,M.Sc., Centre IMAGe, CHU Sainte-Justine,et Martin Saint-André, MD, CM, FRCPC,psychiatre, CHU Sainte-Justine.Texte original soumis le 7 janvier 2009.Texte final remis le 7 février 2009.Révision : Marie-Julie Cimon, MD, FRCPC,psychiatre, CHUL, Centre mère-enfant.Bien que complémentaire à <strong>la</strong> prescriptiond’antidépresseurs <strong>durant</strong> <strong>la</strong> <strong>grossesse</strong>, <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce<strong>des</strong> thérapies non pharmacologiques ne serapas examinée dans ce texte centré sur les donnéesfactuelles <strong>des</strong> agents pharmacologiques.Le lecteur qui désire compléter son étude dusujet est référé à <strong>des</strong> sources d’informationsrécentes qui abordent cet aspect 1 .Cas cliniqueKarine se présente à <strong>la</strong> pharmacie pourrenouveler son ordonnance de ven<strong>la</strong>faxine.Elle reçoit ce traitement depuis deux anspour une récidive de dépression majeure.Ses symptômes sont bien maîtrisés actuellement.Elle vous demande conseil au sujetd’une <strong>grossesse</strong> éventuelle : peut-elle poursuivrece médicament sans risque ? Elle neprend aucun autre médicament.<strong>Les</strong> troubles anxieux et dépressifsen période périnatale :quelques éléments de contexteLa prévalence <strong>des</strong> troubles dépressifs est d’environà 7 % à 13 % <strong>durant</strong> <strong>la</strong> <strong>grossesse</strong>, et 2 %à 6 % <strong>des</strong> femmes enceintes répondent auxcritères de dépression majeure 2 . Ces chiffresse comparent à ceux observés dans <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tiongénérale : <strong>la</strong> <strong>grossesse</strong> ne semble ni protéger<strong>des</strong> troubles dépressifs, ni les exacerber.Pour <strong>la</strong> future mère, une psychopathologienon traitée peut signifier une décompensationpsychiatrique, une entrave au suivi prénatalet à <strong>la</strong> préparation à l’arrivée du nouveau-né,<strong>des</strong> conflits exacerbés avec <strong>la</strong> familleet l’entourage, un recours plus fréquent à l’alcool,au tabac et aux médicaments 1 . Pour l’enfantà naître, les troubles dépressifs et le stressmaternels ont été associés à une augmentationdu risque d’avortements spontanés, deprééc<strong>la</strong>mpsie, de prématurité, de petit poids à<strong>la</strong> naissance, de complications néonatales, <strong>des</strong>cores APGAR diminués et de niveaux decortisol élevés 2 . Une dépression <strong>durant</strong> <strong>la</strong><strong>grossesse</strong> augmente le risque de dépressionpostnatale et, conséquemment, peut compromettrele développement du lien mèreenfant.À plus long terme, certaines recherchesrelient également <strong>la</strong> présence de stress etde symptômes dépressifs <strong>durant</strong> <strong>la</strong> <strong>grossesse</strong> à<strong>des</strong> troubles de développement chez l’enfant(difficultés tempéramentales, impulsivité,etc.) 2,3 . Soulignons que toutes les étu<strong>des</strong> n’ontpas relevé ces risques et que plusieurs facteursde confusion peuvent intervenir dans cesrésultats. <strong>Les</strong> mères qui lisent les résultats deces étu<strong>des</strong> ont souvent tendance à se sentirinquiètes et très culpabilisées, ce qui devraitamener le pharmacien à exercer sa prudenceen transmettant ces informations à <strong>des</strong> mèresfragilisées. On sait par ailleurs que le cerveaudu bébé présente une grande neurop<strong>la</strong>sticitéet que, cliniquement, <strong>la</strong> récupération de certainsbébés exposés in utero à <strong>des</strong> stress importantss’est avérée excellente 2,3 .En dépit de ces données, une grande proportion<strong>des</strong> femmes préfèrent cesser leurtraitement lorsqu’elles apprennent leur<strong>grossesse</strong>, et <strong>la</strong> majorité d’entre elles le fontpar crainte <strong>des</strong> effets nocifs sur le développementde leur enfant 4 . Il importe doncpour les pharmaciens de bien connaître lesdonnées d’innocuité <strong>des</strong> antidépresseurspour guider le plus justement possible leurspatientes et pour conseiller judicieusementl’équipe médicale sur les options pharmacologiquesdisponibles.Tératogenèse structurelle<strong>Les</strong> antidépresseursLe tableau I recense les observations <strong>des</strong>principales étu<strong>des</strong> publiées sur les effetsd’une exposition anténatale aux antidépresseurspour l’embryon, le fœtus et le nouveauné.Il s’agit d’un résumé condensé d’un sujetcomplexe : le lecteur intéressé par un aspectprécis de <strong>la</strong> question est invité à examiner defaçon plus approfondie les étu<strong>des</strong> citées dansle tableau. La bibliographie complète dutableau peut être consultée sur le site Webwww.monportailpharmacie.ca (archives dejuillet-août de Québec Pharmacie).De façon générale, les antidépresseurs necomportent pas de risques tératogènes majeurs,16 Québec Pharmacie vol. 56 n° 5 septembre 2009
<strong>Les</strong> antidépresseurs <strong>durant</strong> <strong>la</strong> <strong>grossesse</strong> : <strong>des</strong> risques calculésbien que <strong>la</strong> somme et <strong>la</strong> qualité <strong>des</strong> donnéesétayant cette thèse varie d’une molécule àl’autre. Dans le cas <strong>des</strong> médicaments plusrécents ou moins souvent utilisés, les donnéesne permettent pas d’exclure tous les risques.La paroxétine<strong>Les</strong> récentes mises en garde de Santé Canadaau sujet d’un lien possible entre <strong>la</strong> paroxétineet les malformations congénitales, et notamment<strong>des</strong> anomalies du septum cardiaque,ont a<strong>la</strong>rmé les cliniciens et leurs patientes.<strong>Les</strong> données actuellesUne récente méta-analyse ne décèle pas derisques augmentés de malformations cardiaques5 . En effet, le taux de malformations cardiaquescalculé à partir <strong>des</strong> six étu<strong>des</strong> decohorte retenues est de 1,14 % pour lesenfants exposés à <strong>la</strong> paroxétine au premier trimestre,alors que celui <strong>des</strong> groupes de comparaisonest de 1,09 %. La différence n’est passtatistiquement significative et ces valeurscorrespondent aux incidences mesurées dans<strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion générale. De plus, <strong>la</strong> combinaison<strong>des</strong> trois étu<strong>des</strong> cas-témoins retenuespermet de calculer un rapport de cote de 1,18(intervalle de confiance [IC] 95 % 0,88-1,59)pour les malformations cardiaques.Depuis <strong>la</strong> parution de cette méta-analyse,deux autres publications ont re<strong>la</strong>ncé <strong>la</strong> controverse.Une étude comptant 3000 enfants aconstaté que l’exposition in utero à un inhibiteursélectif du recaptage de <strong>la</strong> sérotonine(ISRS) n’augmente pas le risque général <strong>des</strong>urvenue d’une anomalie majeure 6 . Cependant,le taux de malformations du septum cardiaqueest augmenté de 0,21 % en termes absolus.La paroxétine ne fait pas l’objet d’uneanalyse séparée, mais elle constitue plus du tiersde l’échantillon. Une autre étude a observé unrisque augmenté de malformations majeures,notamment cardiovascu<strong>la</strong>ires, avec <strong>la</strong> paroxétineet <strong>la</strong> fluoxétine par rapport au groupe decomparaison (malformations majeures : 5,2 %c. 4,7 % c. 2,5 %, respectivement) 7 .Ainsi, les données épidémiologiques actuellesne permettent pas de résoudre <strong>la</strong> controverse.Notons cependant quelques élémentssupplémentaires plutôt en défaveur d’un risquetératogène : les données animales nedémontrent pas de tératogenèse semb<strong>la</strong>ble àcelle soupçonnée chez l’humain, l’associationest faible dans les étu<strong>des</strong> montrant unrisque potentiel, les anomalies en question(anomalies septales) sont peu spécifiques etleur incidence de base est très variable.Des facteurs de risque ?Une étude cas-témoins a proposé un liendose-réponse entre l’exposition à <strong>la</strong> paroxétineet <strong>la</strong> survenue d’anomalies cardiaques :<strong>des</strong> doses supérieures à 25 mg par jour pendantl’organogenèse cardiaque pourraientêtre associées à un risque potentiel (rapportde cote 3,07, IC 95 % 1,00-9,42)8 . Une autreétude a également soulevé <strong>la</strong> possibilité d’uneffet tératogène synergique entre les ISRS etles benzodiazépines 6 . Ces effets potentielsconstituent <strong>des</strong> pistes d’explication pourcomprendre les résultats contradictoires <strong>des</strong>multiples étu<strong>des</strong> épidémiologiques.En résuméS’il existe effectivement un risque tératogèneassocié à <strong>la</strong> paroxétine, il reste faible :les femmes exposées au premier trimestreont un risque supplémentaire inférieur à1 % de donner naissance à un enfant présentantune malformation majeure. Ce risquesupplémentaire est probablement attribuableà une légère augmentation <strong>des</strong>malformations du septum cardiaque. Rappelonsque le risque de base d’anomaliesmajeures dans <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion générale sesitue à environ 2 % à 3 %, et celui <strong>des</strong> malformationscardiaques, à environ 1 %. <strong>Les</strong>données actuelles ne penchent pas vers uneffet de c<strong>la</strong>sse, les autres ISRS ne comportantprobablement pas ces risques.Dans <strong>la</strong> mesure du possible, on évitera <strong>la</strong>prescription de <strong>la</strong> paroxétine chez les femmesen âge de procréer ou p<strong>la</strong>nifiant une<strong>grossesse</strong>. Cependant, une femme exposéeavant de connaître sa <strong>grossesse</strong> devra êtrerassurée et informée <strong>des</strong> examens de dépistageanténatals, comme l’échocardiographiefœtale, qui pourraient lui être proposés.Complications obstétricalesAvortements spontanésDeux méta-analyses ont relevé un risqueaccru d’avortements spontanés chez lesfemmes traitées par <strong>des</strong> antidépresseurs 9,10 .Cependant, <strong>la</strong> plupart <strong>des</strong> étu<strong>des</strong> inclusesn’étaient pas conçues pour l’évaluation decette issue de <strong>grossesse</strong> et les taux observés(environ 12 %), s’ils sont supérieurs auxtaux <strong>des</strong> groupes témoins, se situent néanmoinsdans les limites attendues dans <strong>la</strong>popu<strong>la</strong>tion générale.Prématurité et poids à <strong>la</strong> naissancePlusieurs chercheurs ont observé une réductionde <strong>la</strong> durée de <strong>la</strong> <strong>grossesse</strong>, une augmentationdu taux de prématurité ou unrisque augmenté de petit poids pour l’âgegestationnel chez les enfants exposés inutero aux antidépresseurs 11-16 . D’autres étu<strong>des</strong>n’ont pas montré de tels effets 17-20 . <strong>Les</strong>conclusions de <strong>la</strong> plupart de ces étu<strong>des</strong> doiventêtre interprétées avec prudence étantdonné l’absence de contrôle pour <strong>la</strong> conditionpsychiatrique maternelle, de multiplesfacteurs de confusion ou de faibles effectifs.L’état actuel <strong>des</strong> connaissances permet depenser que le taux de prématurité est plusélevé que dans <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion générale, maisque <strong>la</strong> réduction de <strong>la</strong> durée de <strong>la</strong> <strong>grossesse</strong>est de faible amplitude, soit de quelquesjours en moyenne; rappelons égalementque <strong>la</strong> dépression est elle-même un facteurde risque pour ces complications.Complications néonatalesLa plupart <strong>des</strong> antidépresseurs ont été associésà <strong>des</strong> complications à <strong>la</strong> naissance pourles enfants exposés à <strong>la</strong> fin de <strong>la</strong> <strong>grossesse</strong>(tableau I). Il s’agit surtout d’observations cliniquesisolées pour les antidépresseurs tricycliqueset les agents plus récents, mais onreconnaît maintenant l’existence d’un syndromenéonatal d’exposition pour les ISRS etles inhibiteurs du recaptage de <strong>la</strong> sérotonineet de <strong>la</strong> norépinéphrine (IRSN) 21 . En effet, 20% à 30 % <strong>des</strong> enfants exposés dans les dernièressemaines de <strong>la</strong> <strong>grossesse</strong> manifestent <strong>des</strong>signes qui se présentent dans les heures suivant<strong>la</strong> naissance et perdurent pendant quelquesjours, et moins souvent jusqu’à une oudeux semaines 21 . Dans <strong>la</strong> grande majorité <strong>des</strong>cas, ces signes sont transitoires, ne retardentpas le congé de l’enfant à <strong>la</strong> maison et ne comportentpas de risque vital pour l’enfant 13,22 .Plus rarement, soit dans moins d’un pour cent<strong>des</strong> cas, les signes peuvent être plus graves :quelques étu<strong>des</strong> ont établi <strong>des</strong> liens entre l’expositionaux ISRS et <strong>des</strong> convulsions néonatalesou de l’hypertension pulmonaire 21,23,24 . Parcontre, une étude plus récente n’a pas déceléd’association entre <strong>la</strong> prise d’ISRS en fin de<strong>grossesse</strong> et l’hypertension pulmonaire néonatale25 . On ne connaît pas encore précisémentl’étiologie de ces manifestations, ni lesfacteurs de risque (possiblement <strong>la</strong> dose, <strong>la</strong>polythérapie, <strong>la</strong> prématurité, etc.) qui pourraientprédisposer certains enfants à cescomplications.Développement psychomoteur<strong>Les</strong> recherches commencent à peine à cernerles conséquences à long terme d’uneexposition anténatale aux antidépresseurs.Onze <strong>des</strong> 13 étu<strong>des</strong> publiées à ce jour notentque les enfants d’âge présco<strong>la</strong>ire exposésaux ISRS <strong>durant</strong> <strong>la</strong> <strong>grossesse</strong> ont un développementpsychomoteur comparable àcelui <strong>des</strong> enfants <strong>des</strong> groupes de comparaison26 . Une seule étude constate que l’expositionin utero aux ISRS est associée à uneréduction mo<strong>des</strong>te de certains scores dedéveloppement moteur <strong>des</strong> enfants entre 6et 40 mois. Une étude englobant d’autreswww.monportailpharmacie.caseptembre 2009 vol. 56 n° 5 Québec Pharmacie 17