Par exemple, les décisions pratiques d’un chef d’entreprise ne sont pasnécessairement guidées par la logique des choix.-Les savoirs fondés sur une réflexion concernant le degré de rationalité , cequ’il appelle la Raison pratique .Celle-ci fait notamment appel à des techniques, desoutils ,(la tecné) que l’on appellerait maintenant de diagnostic et d’aide à la décision(Kant cite explicitement le juriste et le comptable).Ainsi , les décisions du chef d’entreprise pourront être évaluées à l’aune deleur « rationalité »-Mais, pour juger de cette « rationalité » , il faut aller beaucoup plus en amont ,et s’interroger sur ce qui la fonde, en procédant à une formalisation. Ce sera laRaison pure . Celle-ci doit permettre de dégager des « lois naturelles » , présentant,selon l’expression fameuse, un « caractère nécessaire et universel » . Cettethéorisation (teoria) nécessite un effort d’abstraction , et, notamment, deréductionnisme .On retrouve ici le célèbre principe dit « du rasoir d’Occam » 32 :exclure toutes les variables qui ne sont pas utiles à la démonstration – la fameuseclause ceteris paribus (toutes choses égales par ailleurs)- dont on sait que l’analyseéconomique a fait, depuis Ricardo, le plus ample usage..Ainsi, après avoir observé des entreprises « concrètes » , la Raison pratiquetente de développer des « généralisations empiriques » .Par exemple, on va spécifierles différents types d’organisation . Mais, pour en décrypter la rationalité économique( gestion optimale des ressources afin d’en maximiser la valeur) , il convient del’épurer , en théorisant sur un concept de firme représentative – la fameuse , et sicritiquée , « boîte noire » , dans laquelle l’entreprise se réduit à une combinaison defacteurs de production , dans le but de maximiser le profit . Pour un « kantien purjus » , il importe de se fonder sur des hypothèses « irréalistes » : ainsi, l’adjonctiond’un troisième facteur de production ( par exemple, la « fonction d’entrepreneur »n’apporte rien de plus à la démonstration de la logique des choix). C’est pourquoi ,dans le système walrasien , l’entrepreneur est exclu de l’ « économie pure ».Mais , si par la suite les néo-kantiens vont privilégier la méthode hypothéticodéductive, Kant lui-même s’avère plus circonspect. Il note que , dès lors que laformalisation pure semble déconnectée des problèmes soulevés en pratique, ilconvient de reconsidérer le système formel , quitte à en proposer un autre .2°) De la figure du philosophe « curieux » à celle du savant « génial »Le second apport de Kant réside , en ce qui concerne l’activité de recherche« scientifique », dans la « promotion » du libre-arbitre du chercheur . Pourparaphraser Goethe , le « Prométhée enchaîné » , soumis aux lois divines,transcendantes et « irréfutables » (indiscutables), se libère de ses chaînes. Lechercheur va exercer son entendement et sa faculté de jugement , tout en sesoumettant au seul diktat qu’il puisse s’imposer, celui de la Raison .32Du nom d’un moine polonais thomiste .Le précepte s’énonce : « Entia non sunt multiplicanda praeternecessitatem », soit, en latin médiéval : « Les données ne doivent pas être multipliées au-delà de ce qui estnécessaire ».20
Ainsi va se dessiner une figure nouvelle , au-delà des « sectes » , groupes depersonnes épris de « curiosités » , comme les Physiocrates , ou les Encyclopédistes,sans que les disciplines telles que nous les connaissons aient été mises en place .Ainsi, les Physiocrates sont avant tout des médecins (Quesnay était médecinde la Marquise de Pompadour à Versailles) des ecclésiastiques (Abbé Mably) , despropriétaires fonciers (Mirabeau, Mercier de la Rivière) , des industriels ( Dupont deNemours, qui s’exilera aux Etats-Unis, pour fonder l’entreprise de poudres etexplosifs) ,etc.Tout au long du siècle suivant, va se conforter la figure du savant solitaire, qui,dans son cabinet , étudie et découvre pour le Bien Public (Pasteur est à l’évidence lepersonnage le plus représentatif du mythe) 33 . Walras , compte- tenu des problèmesde reconnaissance qu’il eut à connaître 34 , peut être considéré comme une figure du« savant économiste ».Le chercheur , le « savant » , donc, perçoit et enregistre les phénomènes .Il luiappartient d’entamer le processus de formalisation , de rationalisation, en ayantrecours aux « catégories de l’entendement » , à l’intuition du temps et de l’espace ,afin de déboucher sur des concepts , lesquels relèvent du monde de la Raison Pure,sous forme de « noumènes » .A l’instar de Smith qui écrit la Richesse des Nations en 1776 , avant que laRévolution Industrielle ne se déclenche après 178O , Kant ne dispose , dans sonenvironnement , que d’un appareil technico-scientifique en voie d’émergence (lesgrandes lois de la chimie et de la physique arriveront un peu plus tard).Le système kantien est fondamentalement statique et hypothético-déductif: entémoignent les théories fortement inspirées de sa pensée , élaborées par Ricardo ,Cournot , Walras et les marginalistes . En revanche, le courant anglais , héritier del’empirisme (Bacon, Hume) , s’efforce de prendre en compte les forces économiqueset sociales en mouvement , comme on le voit chez les Mill ( James, et John-Stuart),Jevons et Marshall.C ) La filiation hégélienne : entre historicisme et holismeLà encore, il n’entre pas dans nos compétences de présenter Hegel.Soulignons seulement le fait que la pensée de Hegel a influencé une certaine visionde la pensée économique sur les points suivants :-Alors que l’édifice « nouménal » édifié par Kant reste statique, Hegel introduitce que l’on peut appeler la « dynamique longue » , au travers du sens de l’Histoire,conçue comme entité « idéelle ». Celle-ci évolue selon une trajectoire dialectique(héritée de la philosophie grecque). Cette trajectoire a un sens :elle doit conduirevers la « Fin de l’Histoire » , à savoir la « fin de l’esclave » -entendons, le33Cette construction du mythe du créateur solitaire (évidemment « génial ») apparaît également dans l’art .Ainsi, Norbert Elias (Mozart, Sociologie d’un Génie . Seuil La Librairie du XX° siècle) voit en Mozart lapréfiguration de l’ « artiste » , à la fois créateur et entrepreneur, comme le modélisera le romantisme (VictorHugo sur son Rocher de Guernesey). Au plan politique , on songe évidemment au mythe napoléonien, mis à malpar Henri Guillemin.34 Mal vu sous le Second Empire pour ses convictions socialisantes , mais aussi pour son « mathématisme » , ilse vit refuser un poste universitaire (notamment à Montpellier) et ne dut qu’à son amitié avec le Ministre del’Education , Victor Duruy, de trouver un poste à Lausanne : ce qui fait que les Américains pensent que le maîtrede l’Ecole de Lausanne était suisse …21
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