3°) Elle conduit ensuite à se poser la question –fort controversée- durelativisme ou de l’absolutisme dans l’Histoire des Sciences .Dit autrement : l’évolution des théories , des disciplines, des sciences va-t-elledans le sens de productions supérieures , meilleures dans l’absolu que celles qui lesont précédées ; ou sont-elles« incomparables » dans l’absolu, chacune répondant aux besoins et aux possibilitéspropres à l’époque et au milieu où elles ont été élaborées et utilisées ?Mark Blaug, dans son célèbre ouvrage de Méthodologie Economique(Economica) aborde d’emblée cette question .Par exemple, peut-on dire que leTableau de Quesnay est « inférieur » au modèle walrasien ? .Certains diront que oui, dans la mesure où le système d’Economie Pure repose sur des concepts, desdémonstrations hypothético-déductives beaucoup plus élaborés et plus cohérents.Les détracteurs diront que non, dans la mesure où le docteur Quesnay 7 écrivaitdans un contexte différent ( système agrarien), dans un esprit différent ( expliquerpourquoi ce système était facteur de richesses , de produit net) ; de plus , lestechniques et les méthodes de démonstration étaient différentes (Walras se fit aiderpar un collègue mathématicien).Au demeurant, la conception relativiste est d’autant plus confortée enéconomie politique que les problèmes à résoudre (« politiques » au sens large)évoluent dans le temps 8 ; la conception absolutiste est alors retenue par les tenantsde l’économie pure, hypothético-déductive, qui considèrent que les modèles ont uneportée universelle et atemporelle : en ce sens, les modèles de l’ « économieexpérimentale » seraient « supérieurs » aux modèles de la théorie des jeux.Concernant les sciences dites « dures » , voire « exactes », les auteurs fontmalheureusement référence à des théories trop générales , trop larges ; ainsi , Kuhnprend ses exemples dans les conceptions ptoléméennes, coperniciennes etnewtoniennes du Monde , pour évoquer la notion de « paradigme » ou de« révolution scientifique » . On sait que ces deux dernières notions sont définies defaçon très vague, suscitant des controverses , notamment sur la conceptionabsolutiste ou relativiste de leur auteur –celui-ci ne contribuant pas à éclaircir ledébat. Dans « La Tension Essentielle » (NRF , Bibliothèque des Sciences Humaines–en fait un ensemble d’articles) Kuhn fait référence à l’herméneutique, c’est-à-dire àl’activité d’interprétation de textes , en les resituant dans leur contexte , mais aussi ens’interrogeant sur le sens actuel de textes écrits à une autre période. Dans la préfaceau même ouvrage, Kuhn réfute l’objection selon laquelle il n’aurait pas tenu comptedu poids des facteurs et acteurs , on dirait de nos jours, de la « Société civile » , dansle processus de changement de paradigme .S’il « ne sous-estime pas cetteinfluence » , il estime que les sciences physiques en sont bien plus protégées que7 A titre anecdotique : Quesnay est un nom normand , ou de pays d’oil (comme Duquesnoy… ou Chesnay, ouDuchesnay ) qui signifie la « chênaie » .La famille Keynes est d’origine normande, et ce nom a la mêmeétymologie : les étudiants qui confondent Keynes et Quesnay (cela arrive…) seront donc à moitié pardonnés !8 Comme le rappelle Mouchot, nombre de modèles, présentés dans les manuels comme « universels » , sont enfait très datés : on passe ainsi du modèle ricardien des avantages comparatifs au modèle millien axé sur lademande des produits, puis au modèle H.O.S. , lui-même remis en cause par le paradoxe de Léontiev, lui-même,etc. Ce qui n’empêche pas , comme l’a montré Joseph Stiglitz , le FMI de faire référence à ces modèles« éternels »…8
d’autres disciplines , telles que « l’art de l’ingénieur , la médecine, le droit et les arts« à l’exception, peut-être (sic) de la musique » (p. 19) 9Pour conclure rapidement sur ce débat : bien que la notion « kuhnienne »(selon sa propre expression) de « paradigme » ne brille pas par sa clarté (Kuhn enrelève au moins deux de sa main –ce dont il s’excuse- mais une « exégète desexégètes » en a relevé …21 en économie !), celle-ci est fréquemment utilisée pourse référer aux « révolutions scientifiques » et autres paradigmes en économie .Onpeut donc toujours se demander si le « paradigme keynésien » est « supérieur ounon » au paradigme néo-libéral, ou si leur valeur relative n’est pas tributaire ducontexte historique d’élaboration et de mise en œuvre .Le propos vaut tout autant pour les paradigmes en sciences de gestion,notamment ceux (en fait des modèles) proposés en management stratégique .Ainsi ,se demander si SWOT est « meilleur » que BCG , ou si l’approche de « corecompetence » est intrinsèquement supérieure à celle en termes de SBU, seraconsidéré comme un problème pertinent pour les uns, et pour une stupidité par lesautres…§ 3) L’épistémologie , comme étude des théories « scientifiques »Par « théorisation » , il faut entendre deux types de problèmes :- Comment une discipline scientifique s’organise en sous-disciplines , encourants disciplinaires , en modèles , théories, etc.- Quelles méthodes sont utilisées pour mener à bien le processus devalidation des hypothèses10 .On sait que pour Karl Popper, les« conjectures » doivent être, et réfutables, et audacieuses.On reviendra sur ces deux ordres de problèmes .Il est important de soulignerici que les problèmes de méthodes ne sont pas uniquement de caractère technique.Ils sont intimement liés aux choix , aux options, aux valeurs retenues en amontPar exemple, le choix d’une certaine méthode statistique de vérificationempirique du fonctionnement d’un marché laisse entendre que le chercheur « a laconviction » que ce marché fonctionne a priori selon certaines lois qui en fondent larationalité. Or, on a pu faire apparaître le paradoxe suivant, appelé « paradoxe deMoore » : les chercheurs utilisent telle loi statistique, alors qu’ils sont convaincus quele marché étudié ne fonctionne pas selon cette loi 11 ! On retrouve l’image de l’ivrogneet du réverbère : cette loi a le mérite d’exister…Le choix entre induction et déduction représente sans doute le cas le plustypique d’une telle interaction.9 Ainsi , l’abandon du « paradigme phlogistique » , évoqué dans la « Structure des Révolutions Scientifiques »,ne serait dû qu’au sentiment d’insatisfaction théorique, pour déboucher sur les théories de Lavoisier, plusconvaincantes, conduisant dès lors à « se coiffer d’un type différent de chapeau pensant », selon l’expression deKuhn. C’est négliger le « poids médiatico-politique » des Sociétés savantes de l’époque, autour desencyclopédistes !10 Puisque, pour reprendre l’aphorisme célèbre de Henri Poincaré « Il n’est de science que d’hypothèse »11 La théorie des marchés financiers a longtemps supposé que la loi normale pouvait s’appliquer.9
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