Décroissance sout<strong>en</strong>ableS’il est une action qui peut démarrerdès maint<strong>en</strong>ant avec un petit bout de terrain,il s’agit du compostage. Pas besoind’att<strong>en</strong>dre l’Etat. En Autriche, cep<strong>en</strong>dant,une politique très efficace a été m<strong>en</strong>ée dèsles années 1990. Peu de g<strong>en</strong>s compostai<strong>en</strong>tavant ces années et, face aux problèmesdes décharges, une politiqueambitieuse de recyclage et de compostagea été m<strong>en</strong>ée dans le pays. Les hommespolitiques se sont mis à composter devantla télé, des représ<strong>en</strong>tants de chaque villageont fait des stages de formation aucompostage payés par l’Etat, des interv<strong>en</strong>tionsdans les écoles ont <strong>en</strong>joint les élèvesà composter, des composteurs et fasciculesexplicatifs ont été distribués. Lerésultat est là : une large majorité de lapopulation autrichi<strong>en</strong>ne composte dansson jardin, et des systèmes de collectesdes matières organiques ont été mis <strong>en</strong>place dans les zones urbanisées. Quand leprogramme a démarré, au début desannées 1990, l’Autriche avait r<strong>en</strong>oncé àl’incinération. Les résultats se sont un peudégradés lorsque l’option de l’incinérationest réapparue vers 1995, le “problèmedes déchets semblait résolu”.Favorisons la réduction et la réutilisationmais, quand c’est impossible, le recyclageest une option : <strong>en</strong> développant etachetant des produits faits de fibres recyclées,<strong>en</strong> produisant <strong>en</strong> matériaux séparablesdonc recyclables (17). Bi<strong>en</strong> <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du,les produits faits de matériaux recyclésdoiv<strong>en</strong>t réellem<strong>en</strong>t remplacer les produitsfaits de ressources vierges. Il nes’agit pas d’inv<strong>en</strong>ter de nouveaux produitsou de remplacer des systèmesmeilleurs, comme ce qui s’est fait <strong>en</strong>France avec le démantèlem<strong>en</strong>t des systèmesde consigne des bouteilles <strong>en</strong> verreau profit du recyclage. Remplaçons réellem<strong>en</strong>tla décharge et l’incinération avec lerecyclage. Admettons aussi que l’on nepeut pas tout recycler tout de suite, tantque les filières n’ont pas été développées.Séparons systématiquem<strong>en</strong>t les déchets etluttons pour que le recyclage se fasse (demanière locale bi<strong>en</strong> sûr). Il serait dommaged’arrêter de séparer les déchets parceque le recyclage ne se fait pas, la solutionn’est pas de se débarrasser des déchetsdans les filières polluantes (18).Ce temps de transition dans la mise<strong>en</strong> place des filières doit être pris <strong>en</strong>compte avec la mise <strong>en</strong> place de “parkingà déchets” (19). Tant que des déchets nonréutilisables sont produits, il revi<strong>en</strong>dra àcelui qui les a produits à la base de s’occuperde leur stockage séparé, sûr et facilem<strong>en</strong>taccessible, jusqu’à ce que desfilières de recyclage optimales soi<strong>en</strong>tdécouvertes. Les frais de ce stockage et desa surveillance sont de bonnes motivationspour éviter de produire ces déchetsà la base. Comme les déchets sont séparéset classifiés de manière rigoureuse, ilssont prêts à trouver acquéreur dans desfilières locales adaptées. Les utilisateursou acquéreurs de déchets doiv<strong>en</strong>t utiliserles déchets à leurs niveaux de qualité lesplus bas pour laisser les matériaux dequalité aux filières qui <strong>en</strong> ont réellem<strong>en</strong>tbesoin. C’est une idée de base de la créationde cascades les plus longues possiblesde réutilisation et de recyclage (20).Lorsque la gestion des déchets devi<strong>en</strong>tnéo-localisée, il devi<strong>en</strong>t <strong>en</strong>visageable depr<strong>en</strong>dre <strong>en</strong> compte toute le système cascade,c’est à dire toute la chaîne de produitsliée à une ressource vierge donnée(21).Il serait important de développer desaccords internationaux sur l’immobilisationdes déchets, les déchets n’ayant pas àêtre transportés <strong>en</strong>tre régions ou pays.5 - Ajustem<strong>en</strong>t frugalLorsque les quatre premiers aspectsde l’innovation frugale ont été pris <strong>en</strong>compte, nous nous apercevons que celacoûte moins cher, que cela crée unedécroissance économique. Que va-t-onfaire avec cet arg<strong>en</strong>t économisé, acheterde nouvelles choses ? Non bi<strong>en</strong> sûr, onne veut pas d’effet rebond, et c’est à cepoint que nous <strong>en</strong>trons dans l’innovationfrugale de type 5.C’est l’ajustem<strong>en</strong>t frugal qui consisteà mettre à niveau notre espace deconsommation par rapport à nosdémarches personnelles ou collectivesplus écolo-sociales. C’est la dernièremesure pour éviter l’effet rebond quiferait que les gains de nos actions seretrouverai<strong>en</strong>t perdus à nouveau. Il s’agitréellem<strong>en</strong>t que nous consommionsmoins. Or si nous consommons moins,nous avons aussi besoin de moins produireet de moins travailler pour gagner del’arg<strong>en</strong>t. Ceci nous amène à l’ajustem<strong>en</strong>téconomique qui implique cette trilogie :• réduction de la consommation, ou de cequ’on appelle le « vouloir d’achat »,(17) Tromp, O.S. (1995) “Toward sustainable quality- A methodological principle for sustainable managem<strong>en</strong>tof material use”. Thèse de doctorat : RijuniversiteitGroning<strong>en</strong>, Pays-Bas, 1995, 243 p.(18) Frosch, R.A. et Gallopoulos, N.E. (1989),“Strategies for manufacturing”. Sci<strong>en</strong>tific american,1989, Vol. 261, n° 3, pp 94-102.(19) Braungart, M. et Engelfried, J. (1992), “ Anintellig<strong>en</strong>t product system to replace waste managem<strong>en</strong>t.Fres<strong>en</strong>ius <strong>en</strong>vironm<strong>en</strong>tal bulletin, 1992, Vol. 1,pp 613-619.(20) Sirkin, T. et Hout<strong>en</strong>, M. (1994), “The cascadechain - A theory and tool for achieving resource sustainabilitywith application for product design”.Resource, conservation and recycling, 1994, Vol. 10,p.213-277.(21) François Schneider, thèse de doctorat, « Analysedes réemplois, recyclages, valorisations de déchets parl’étude de systèmes cascade », INSA de Lyon, 1997,318 pp.SILENCE N°340 Novembre 200618
DRParking vélos à Portland (Orégon- Etats-Unis).• réduction de la production,• baisse et partage du temps de travailrémunéré.Si nous consommons moins, nousavons besoin de moins produire, et sinous produisons moins, nous avonsbesoin de moins consommer, mais il fautpartager le temps de travail pour éviterque certaines personnes ne se retrouv<strong>en</strong>tmarginalisées. Partageons le travail et lesrev<strong>en</strong>us, mais à un niveau de consommationmoindre.L’ajustem<strong>en</strong>t doit se faire au niveautant individuel que local et global.Ainsi au niveau économique, quandune innovation permet de réduire nosdép<strong>en</strong>ses, alors nous pouvons <strong>en</strong> profiterpour réduire nos rev<strong>en</strong>us et travaillermoins. Si on a des transports qui consomm<strong>en</strong>tmoins, alors nous pouvons réduir<strong>en</strong>os coûts et nous permettre de gagnermoins <strong>en</strong> réduisant notre temps de travail.Si une politique est m<strong>en</strong>ée pourréduire l’usage des voitures, alors nousréduirons les budgets de voirie, les budgetsliés aux accid<strong>en</strong>tés de la route et lescoûts de nombreux dégâts écologiques.De façon à promouvoir dans le mêmetemps l’équité et l’assouvissem<strong>en</strong>t desbesoins de base, deux mesures représ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>tdes pistes complém<strong>en</strong>taires dans lecadre de l’ajustem<strong>en</strong>t économique: l’instaurationd’un rev<strong>en</strong>u minimum garantiuniversel et d’un rev<strong>en</strong>u maximum acceptable(RMA) (22).Mais l’ajustem<strong>en</strong>t n’est pas seulem<strong>en</strong>téconomique : tous les bi<strong>en</strong>faits des technologieset nouveaux modes d’organisation,nous les retrouvons réellem<strong>en</strong>t parune décroissance.Nous allons pouvoir ajuster notretemps.Quand une innovation nous permetde gagner du temps tant au niveau individuelque collectif, il s’agit d’ajuster letemps que nous dédions à la consommationpour <strong>en</strong>fin avoir du temps libre, pourlibérer l’emprise du collectif sur les individus.Pour finalem<strong>en</strong>t avoir du tempspour les relations avec les autres, pour lat<strong>en</strong>dresse, du temps pour apprécier labeauté de la nature, pour construire unimmédiat qui ne soit plus conditionné àdes volontés extérieures.• Ajuster notre consci<strong>en</strong>ce écologiqueQuand nous réussissons à consommermoins de produits polluants et plus deproduits écologiques, profitons-<strong>en</strong> pouraméliorer réellem<strong>en</strong>t notre <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>tet celui d’autrui <strong>en</strong> ajustant notreconsci<strong>en</strong>ce écologique. Nous allons avoirune nature préservée. Quand des politiquesprév<strong>en</strong>tives des pollutions sontm<strong>en</strong>ées, il ne s’agit pas qu’elles justifi<strong>en</strong>td’autres politiques créant de nouvellespollutions. Grâce à la consommation depapier recyclé, on a un produit qui polluemoins ; si, <strong>en</strong> plus, la consommation depapier diminue, cela débouche vraim<strong>en</strong>tsur un gain écologique.• Ajuster le danger acceptableQuand nous parv<strong>en</strong>ons à réduire notreutilisation de produits et d’<strong>en</strong>gins dangereux,profitons-<strong>en</strong> pour créer un universmoins dangereux autour de nous <strong>en</strong> ajustantle danger acceptable pour soi et pourles autres. Quand des actions collectivesréduis<strong>en</strong>t l’usage de bi<strong>en</strong>s dangereux,ajustons-y les nouvelles normes de dangerpour bénéf<strong>ici</strong>er réellem<strong>en</strong>t d’un <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>tmoins dangereux.• Ajuster le nocif acceptableEnfin, quand nous réussissons à réduirela quantité de produits nocifs de notreliste de produits, utilisons cette opportunitépour réduire la nocivité que nousjugeons acceptable pour soi et les autres.Quand les politiques m<strong>en</strong>ées réduis<strong>en</strong>t laproduction de produits nocifs, ajustonsles normes de nocivité pour jouir d’un<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t réellem<strong>en</strong>t moins nocif.• Ajuster notre espace dédié à la consommationQuand nous réussissons à moins posséderd’objets <strong>en</strong>combrants, profitons-<strong>en</strong> pourréduire la taille des logem<strong>en</strong>ts, pour favoriserleur partage.De façon générale, il s’agit de réduire salimite pour s’ajuster à sa nouvelleconsommation <strong>en</strong> <strong>en</strong> tirant vraim<strong>en</strong>t lesbénéfices pour soi et les autres.Dans la joieet la bonne humeurIl est diff<strong>ici</strong>le d’imaginer un systèmeéconomique décroissant. Pourtant, à unniveau local dans un site <strong>en</strong> autarcie, oncompr<strong>en</strong>d très bi<strong>en</strong> que consommermoins va nous apporter moins de problèmes.Il nous faut <strong>en</strong>core inv<strong>en</strong>ter cesystème économique. Il devra être largem<strong>en</strong>tbasé au niveau local. Pour y arrivernous avons besoin de coopération etd’échange.Au niveau individuel, de nombreusespersonnes parvi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t à vivre des expéri<strong>en</strong>cesde décroissance, mais ceci ne sefait pas sans difficulté. La simpl<strong>ici</strong>tévolontaire n’est pas facile, contrairem<strong>en</strong>tà ce que de nombreuses personnes t<strong>en</strong>t<strong>en</strong>tde sout<strong>en</strong>ir. La perte du statut socialest une donnée importante. Il existe auniveau collectif de nombreuses choses àinv<strong>en</strong>ter et à développer.La décroissance sout<strong>en</strong>able, c’est de lamesure dans ce qui décroît par le partage,et de la démesure dans ce qui croît quandon le partage.DRCuiseurs solaires <strong>en</strong> Afrique.Les émotions, la joie, la bonnehumeur, la santé, la convivialité, la beauté,tout cela augm<strong>en</strong>te avec le partage,donc dans un monde qui voudrait êtreéquitable il n’y a pas d’hésitation à développercela dans la démesure.La soumission à l’idée de croissancecorrespond à de la servitude volontaire,car on affirme qu’il n’y a pas d’autrechoix. Comme le dit Schumacher (23) :« un grand cri de triomphe s’élève àchaque fois que quiconque a trouvé un<strong>en</strong>ouvelle évid<strong>en</strong>ce – <strong>en</strong> physiologie oupsychologie ou sociologie ou économiqueou politique – de la non-liberté, de plusamples indications que les g<strong>en</strong>s ne peuv<strong>en</strong>ts’empêcher d’être ce qu’ils sont etfaire ce qu’ils font. » Sortons donc decette soumission volontaire.François Schneider ■www.decroissance.org/francoisR&D -Recherche et DécroissanceBP 52 – 81602 Gaillac Cedex(22) Sophie Divry, « Un SMID <strong>en</strong> plus du SMIC », LaDécroissance, n° 30, page 6, février 2006.(23) Schumacher, Small is beautiful, a study of economicsas if people mattered, éd. Abacus ISBN 0-349-13132-5.SILENCE N°34019Novembre 2006