PEEL n°11
Création & culture de Reims et d'ailleurs
Création & culture de Reims et d'ailleurs
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RENCONTRE CULINAIRE<br />
leurs sentiments. Ici, vous mangez,<br />
vous rigolez, vous discutez fort, vous<br />
êtes très vivants et vous partagez avec<br />
le cuisinier. La cuisine c’est beaucoup<br />
de travail, le partage est essentiel, c’est<br />
la base du plaisir. La cuisine c’est un<br />
croisement entre la clientèle et nous, un<br />
dialogue. C’est le sens de notre métier.<br />
Les produits, les fournisseurs<br />
J’aime travailler tous les produits, je<br />
n’ai pas de préférences mais j’aime particulièrement<br />
les légumes car ce sont<br />
des couleurs, des textures, des saveurs<br />
différentes. En plus c’est important<br />
pour la santé. Je me fournis chez Stan<br />
au marché du Boulingrin (La ferme<br />
des Bonnevals – Craonne), parfois<br />
je lui donne des graines de légumes<br />
japonais. Je change ma carte toutes les<br />
trois semaines, alors je parle avec lui de<br />
ce que nous allons faire, par exemple<br />
des mini céleris boulles. Stan prévoit<br />
ses plantations en fonction de ma carte.<br />
C’est important d’avoir un dialogue<br />
avec un passionné. Parfois, il m’apporte<br />
des légumes, je les cuisine et je prends<br />
des photographies pour lui montrer<br />
l’assiette obtenue, c’est important qu’il<br />
voit les finitions. Il y a beaucoup de travail<br />
de part et d’autre, il faut préparer la<br />
terre, semer, arroser avant d’arriver en<br />
cuisine où quelqu’un trie, lave, épluche,<br />
je suis au bout de toute cette chaine de<br />
travail. Il doit y avoir du respect et c’est<br />
important de montrer le résultat final<br />
à mes fournisseurs, comme ça, ils sont<br />
contents, tout simplement.<br />
Sinon, j’ai un petit jardin du côté de<br />
Rethel et comme j’aime les herbes<br />
sauvages, je vais les cueillir dans la<br />
nature juste à côté. Ce jardin est comme<br />
un paradis, il y a de la menthe, de la<br />
livèche. J’aime travailler la terre, je<br />
plante des betteraves et bien d’autres<br />
légumes, mon rêve serait de fournir<br />
mon restaurant. Je connais un restaurant<br />
en Belgique qui produit 90% de ses<br />
besoins en légumes.<br />
Pour le poisson, j’aime beaucoup les<br />
poissons d’eau douce, par exemple<br />
l’omble-chevalier, le fera ou le sandre.<br />
Il faut se singulariser car tout le monde<br />
travaille le Saint-Pierre, la sole, le turbot<br />
qui sont de bons poissons mais à la fin<br />
on mange toujours la même chose.<br />
Je travaille aussi une entrée avec des<br />
escargots qui viennent de Bourgogne,<br />
maintenant les cuisiniers n’osent plus<br />
travailler ce produit. Je travaille beaucoup<br />
avec le local mais si un produit<br />
est meilleur ailleurs, il faut aller le<br />
chercher.<br />
Les desserts<br />
Je n’aime pas trop en parler parce que<br />
je ne suis pas à l’aise avec les montages<br />
trop complexes. Pour moi, le<br />
meilleur dessert c’est un bon fruit. Par<br />
exemple, avec les fraises on peut faire<br />
une mousse, une tarte mais pour moi<br />
l’excellence, c’est la fraise à maturité et<br />
mangée nature. La fraise est naturellement<br />
équilibrée, elle est sucrée, acide,<br />
la texture est intéressante, c’est comme<br />
l’orange ou l’ananas.<br />
Donc, je n’utilise pas beaucoup<br />
de farine, juste assez pour donner<br />
un peu de moelleux. Aujourd’hui,<br />
par exemple, j’ai préparé une clémentine<br />
avec une bille chocolat fourrée<br />
à la crème de chocolat et je m’attaque à<br />
un dessert avec du sapin. Je transforme<br />
les épines en glace que je propose avec<br />
de la banane pour le côté gras, un morceau<br />
caramélisé, l’autre pistaché<br />
et du chocolat. Sinon, j’aime travailler<br />
le gingembre. Un dessert classique pour<br />
moi, c’est gingembre, ananas et yuzu.<br />
Tout doit rester simple.<br />
Trouver sa propre voie<br />
Pour reconnaître un bon produit, il faut<br />
tout goûter, comme pour les vins et les<br />
champagnes. Parfois, il y a des marques<br />
de références, mais il ne faut pas le penser<br />
à priori, mon travail est de trouver<br />
le goût qui me correspond et tant pis si<br />
je ne travaille pas avec les fournisseurs<br />
de tel ou tel grand restaurant. Mes deux<br />
attentions vont vers les saveurs et le<br />
prix pour offrir un large choix à ma<br />
clientèle.<br />
Je n’aime pas les catégories comme<br />
« cuisine française ou cuisine japonaise<br />
» parce que ça n’évolue pas,<br />
je ne veux pas me mettre une étiquette,<br />
c’est trop réducteur, je fais de la bonne<br />
cuisine c’est tout ce que je sais.<br />
Un restaurant c’est comme un livre, un<br />
film ou un tableau, derrière le titre il y<br />
a des histoires différentes qui inspirent<br />
des sentiments différents, c’est le client<br />
qui décide de ce qu’est ma cuisine.<br />
D’ailleurs, il faut souvent se mettre à la<br />
place du client « si j’étais assis dans ce<br />
restaurant, que penserais-je ? ».<br />
Il faut que tout soit soigné, la taille des<br />
légumes, les assaisonnements, chaque<br />
détail compte, il faut toujours donner<br />
le petit plus. J’aime beaucoup aussi<br />
les mises en bouche et les mignardises.<br />
Elles ne sont pas inscrites sur les<br />
menus, elles sont reçues comme des<br />
cadeaux par les clients, c’est un atout<br />
majeur.<br />
Mémoire et sentiment<br />
La mémoire fonctionne en mettant en<br />
valeur les plats très bons ou très mauvais,<br />
les très mauvais on s’en souvient<br />
aussi (rires). Les clients cherchent,<br />
je cherche. Il faut se singulariser,<br />
il faut trouver les éléments qui vont<br />
faire progresser une recette, ça peut être<br />
le dressage, le goût et même l’ambiance<br />
du restaurant. Je suis content quand les<br />
gens ont des frissons, mais c’est difficile.<br />
Quand je cuisine, j’ai déjà tout dans<br />
la tête, je goûte très peu, c’est ma<br />
femme qui goûte (sourire). En fait,<br />
je mélange et je goûte dans ma tête,<br />
je vois même les finitions. J’imagine<br />
toujours une progression des formes et<br />
des goûts dans l’assiette, le doux, l’amer,<br />
l’aigre-doux, le piquant, c’est pourquoi,<br />
j’aime les petits restaurants, car dans<br />
les grands restaurants quand il faut<br />
envoyer 60 plats, le sentiment est divisé<br />
en 60 portions. Quand j’étais en restaurant<br />
trois étoiles, j’étais fier de rôtir<br />
60 pigeons, maintenant je suis passé à<br />
autre chose. Nous sommes des artisans,<br />
nous avons nos deux mains, nous<br />
finissons chaque assiette avec minutie<br />
et quand j’envoie quatre assiettes le sentiment<br />
est divisé par quatre, c’est plus<br />
agréable. Ma seule question aujourd’hui<br />
est « Est-ce que je peux mettre tous les<br />
sentiments dans tous les produits ? ».<br />
r e s t a u r a n t r a c i n e<br />
8 r u e c o l b e r t 5 1 1 0 0 r e i m s<br />
0 3 2 6 3 5 1 6 9 5<br />
w w w . r a c i n e . r e<br />
Sous une bonne étoile :<br />
Cuisine moderne, créative, gastronomique<br />
: c’est vif, savoureux, très soigné,<br />
et d’autant meilleur que les produits<br />
utilisés sont de qualité. Dans sa livraison<br />
de février 2017, le guide Michelin vient de<br />
décerner sa première étoile à Kazuyuki<br />
Tanaka. Sur la route de la voie lactée…<br />
_© Kazuyuki Tanaka