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Mémoire sur SIMENON 2

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à peu le caractère du personnage, ou plutôt sa destinée 16 . Faisant une coupe dans<br />

l’existence d’un certain type d’homme, il choisit donc de concentrer le roman <strong>sur</strong> une<br />

durée temporelle limitée, un moment-clé où une vie se joue (et se perd, le plus souvent).<br />

Le personnage était assoupi dans sa routine – à tout le moins dans une existence trop<br />

linéaire ; un choc va le réveiller et le précipiter dans une remise en cause générale de ce<br />

qui faisait son existence. Il prouve, en somme, son intérêt en tant que personnage, aux<br />

yeux du lecteur comme à ceux de l’auteur, en réagissant à ce choc initial et aux<br />

événements qui en découlent. Dès lors, le monde social et psychologique initial, dans<br />

lequel le héros se mouvait avec aisance, est tenu à distance, questionné, ausculté par lui,<br />

et le plus souvent rejeté dans son aspect dérisoire, le personnage se rendant compte qu’il<br />

lui a été, plus ou moins, imposé par les circonstances. Il y a disjonction d’un Moi social<br />

par-rapport à un Moi plus profond, difficile à cerner parce qu’instinctif, et tout le travail<br />

du romancier sera de rendre compte, par petites touches et sans recours à aucune<br />

idéologie, de la ré<strong>sur</strong>gence de ce Moi souterrain. Lorsque le héros aura fait la lumière<br />

<strong>sur</strong> ce qu’il est réellement, il pourra agir : soit il reviendra à son point de départ, mais<br />

sans illusion, soit il refusera de s’avouer battu et fuira son identité passée – par la<br />

violence s’il le faut.<br />

Le roman simenonien obéit donc à une structure de crise ; en tant que tel il est limité<br />

dans le temps : l’intrigue se déroule de quelques semaines à trois mois (le temps pour le<br />

héros de réagir face à cette crise), et comporte une ouverture et une fermeture nettes (ce<br />

qui n’exclut pas cependant une suggestion des événements futurs). Le plus souvent<br />

simple compte-rendu de cette crise, le roman suit pas à pas l’évolution mentale du<br />

personnage – et le style de l’auteur n’est que le vecteur de restitution de cette évolution,<br />

avec ses alinéas, ses interruptions, ses reprises qui évoquent parfois le stream of<br />

consciousness cher à Virginia Woolf, mais aussi son langage fruste et accessible à tous.<br />

Quant à la fameuse « atmosphère » simenonienne, elle n’est pas autre chose qu’un<br />

climat de crise : devant une pensée et un intellect qui se dérobent ou qui l’ont trompé en<br />

l’incitant à coller au plus près de son identité sociale, le personnage se raccroche à la<br />

sensation, à la netteté des impressions – de là ce sentiment du lecteur de se trouver dans<br />

une sorte de zone neutre, où il n’est plus vraiment de décor, de milieu social, plus<br />

vraiment de temps : passé et présent commencent à se chevaucher dès l’instant où le<br />

16 Il s’en explique très bien dans l’ouverture des Trois crimes de mes amis (1938), un de ses ouvrages les<br />

plus originaux dans la me<strong>sur</strong>e où l’intrigue chemine entre la description de personnes ayant réellement<br />

existé (Simenon les a bien connus au cours de sa jeunesse liégeoise, et donne leur véritable nom) et la<br />

nécessité de les transformer en héros de roman – donc de supprimer la linéarité de leur vie afin que cette<br />

dernière prenne sens.<br />

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