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Mémoire sur SIMENON 2

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L’identification avec le héros – et partant, avec son propre univers littéraire – est<br />

patente. Elle l’est au point que Simenon, grand arpenteur de l’Afrique, des pays du<br />

Nord, de l’Amérique et observateur d’un grand nombre de civilisations, prolonge ses<br />

expériences sociales ou ses rencontres de voyage de manière romanesque, cueillant non<br />

pas le « petit fait vrai » stendhalien, mais la scène fondatrice, l’être capital à partir<br />

desquels il pourra enrichir son univers littéraire. Mais il refuse le pittoresque extérieur,<br />

le « documentaire », tout ce qui met à distance l’observation. Parce que, ainsi que l’a<br />

constaté Bernard de Fallois à propos de Simenon, « le propre du roman est de faire plus<br />

vivant que la vie » 35 , l’auteur, loin de se limiter et de limiter le champ de vision de son<br />

roman, l’anime au contraire en insérant des détails du réel « pris <strong>sur</strong> le vif » par le regard<br />

du romancier, mais dont la charge sémantique est prise en charge par le héros. C’est lui,<br />

et lui presque seul, fait avancer le livre, de la force de son seul point de vue <strong>sur</strong> les<br />

événements qu’il subit – et tant pis, si, parfois, l’intrigue dans laquelle l’auteur l’a placé<br />

le contraint à déplacer ce point de vue <strong>sur</strong> un autre pourvu qu’il revienne, comme la<br />

limaille de fer <strong>sur</strong> l’aimant, <strong>sur</strong> le personnage choisi – élu, pour ainsi dire 36 .<br />

1.2. Un héros en crise.<br />

De ces postulats éthiques et esthétiques résulte une narration indirecte, où le temps<br />

du récit est, très souvent, l’imparfait plus que le passé simple : Simenon, tout autant<br />

qu’une continuité événementielle, décrit un état – état physique, état d’esprit, et il<br />

choisit par conséquent un temps qui puisse se mettre au diapason de la conscience du<br />

héros, de sa sensibilité : « On entendait toujours des bruits d’eau et des heurts de cristal<br />

dans la salle de bains, si bien qu’il continuait à rôder dans le salon comme des roseurs<br />

de chair soignée, des lambeaux de nudité entrevus tout à l’heure, quelque chose<br />

d’intime, de chaud, de très délicat et de très cru tout ensemble qui faisait penser à<br />

l’amour charnel pour lequel cette maison était faite » 37 , note par exemple le romancier<br />

dans Le Voyageur de la Toussaint, et cette remarque traduit la sensation de malaise<br />

éprouvée par Gilles Mauvoisin égaré dans l’hôtel particulier d’une demi-mondaine.<br />

35 B. de Fallois, Simenon, Gallimard, NRF, « La Bibliothèque Idéale », 1961 (p.48).<br />

36 Ainsi, dans Le Blanc à lunettes (1937), Simenon est-il contraint, le temps d’un chapitre, d’offrir au<br />

point de vue de Ferdinand Graux, installé dans une plantation au Congo, le contrepoint de celui de sa<br />

future femme, restée à Moulins. Mais ce changement, loin de rendre le roman confus, accentue le<br />

déséquilibre du personnage principal, Graux : il faut qu’à ce point de la crise, même le lecteur le perde de<br />

vue ; ce dernier n’a plus de sa conduite et de ses mobiles que le point de vue d’Emilienne, qui ne<br />

comprend pas, qui n’arrive pas à comprendre.<br />

37 G. Simenon, Le Voyageur de la Toussaint, Gallimard, « Folio » (n°932), 1977, p.207.<br />

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