25.06.2013 Views

Mémoire sur SIMENON 2

Mémoire sur SIMENON 2

Mémoire sur SIMENON 2

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

Ainsi, lorsqu’il retrouve Félicie, sa mémoire ne peut s’empêcher de faire un parallèle<br />

avec la femme pour laquelle, jadis, il s’était endetté et avait commis un meurtre :<br />

Il était malheureux. Elle ne se rendait pas compte du prix qu’il la payait.<br />

– Tu es jaloux ? Il ne faut pas…<br />

Elle tendait ses lèvres humides.<br />

Depuis qu’il l’avait possédée en rêve, il ne retrouvait plus la simple<br />

jouissance de leur première étreinte. Cela s’était fait si naturellement !<br />

Maintenant, ils cherchaient une place. Félicie s’installait.<br />

– Attends… Là… Viens, maintenant… Ne me serre pas si fort…<br />

Un jour, Zézette lui avait dit en soupirant :<br />

– C’est bien ma veine… Je voulais m’offrir un gigolo et, avec toi, je suis<br />

tombée <strong>sur</strong> un faux miché… […]<br />

Le lendemain, elle lui demanda :<br />

– Tu vas vraiment rester longtemps ici ?<br />

– Pourquoi ? dit-il à son tour.<br />

Ils échangeaient si peu de mots et cependant c’était encore trop, puisque,<br />

quand ils parlaient, les mots ne collaient pas.<br />

– Je ne sais pas… Moi, j’aimerais mieux vivre en ville, ou quelque part dans<br />

la banlieue de Paris… Un petit appartement de trois pièces, où on est<br />

tranquille… Une place où on touche son argent tous les samedis… […]<br />

Exactement comme Zézette, qui, un beau soir, lui avait annoncé :<br />

– J’ai trouvé un appartement…<br />

Et il avait dû le louer ! Et cet appartement avait été comme le point de départ<br />

de ce qui était arrivé, parce qu’il avait fallu emprunter de l’argent le jour même !<br />

– On sera chez nous, comme tu le désires tant…<br />

– Oui… On sera chez nous… 127<br />

Le « montage temporel » effectué ici renforce la désillusion de Jean quant à la « vie<br />

comme neuve » qu’il lui semblait vivre à la ferme, avant que la laideur du monde ne le<br />

rattrape. Il y a ici deux « zones » narratives juxtaposées : Jean avant son premier crime,<br />

alors qu’il vivait encore avec Zézette, et Jean auprès de Félicie. Or, loin de coexister, ces<br />

deux zones vont, sous l’effet de ressemblances troublantes, si bien interagir que la<br />

situation de Jean avant son premier crime devient indissociable de celle, actuelle, de sa<br />

vie dans la ferme. Le héros, loin d’échapper à son destin de criminel, paraît au contraire<br />

y revenir, par le biais du personnage de Félicie, qui fusionne dans sa mémoire avec celui<br />

de Zézette, la première prononçant des phrases que la seconde eût pu dire (ainsi,<br />

lorsqu’elle dit « On sera chez nous, comme tu le désires tant... », Simenon ne précise<br />

pas que c’est bien à elle que la phrase échappe, de sorte qu’il y a ambiguïté, confusion<br />

temporelle). Surtout, Jean se met à songer à la valeur de Félicie : « Elle ne se rendait<br />

pas compte du prix qu’il la payait ». Cette phrase, qui restitue presque directement la<br />

pensée du personnage, pourrait s’appliquer à Zézette, demi-mondaine entretenue, et<br />

achève de « brouiller » la situation. Par cette insertion étroite d’un passé significatif dans<br />

127 G. Simenon, op. cit., p.202 à 295.<br />

82

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!