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Mémoire sur SIMENON 2

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multiplie les petites notations dissonantes au sein de cette nouvelle existence. La<br />

première n’est pas des moindres : dès le début de son voyage, il note <strong>sur</strong> un petit carnet<br />

tous de ses faits et gestes, non pour se réjouir de sa nouvelle apparence, ni pour<br />

s’affirmer, mais au contraire pour faire le point, vérifier chaque aspect de sa nouvelle<br />

personnalité d’ « affranchi ». Cette distance, en soi, est déjà un indice : Popinga ne vit<br />

pas son affranchissement, il le regarde seulement se développer en lui comme une<br />

excroissance inconnue, qu’il tente maladroitement d’accepter. Ce qui donne des<br />

superpositions pour le moins comiques :<br />

A la frontière française, il descendit <strong>sur</strong> le quai, demanda si la buvette était ouverte, dut<br />

faire un détour, à cause de la douane, et but un grand verre de cognac, inscrivit en hâte<br />

dans le carnet :<br />

Je constate que l’alcool ne me fait aucun effet. 90<br />

En quelques secondes, nous sommes fixés : l’auteur vient de prendre son personnage<br />

en flagrant délit de tricherie. La « hâte » avec laquelle il s’empresse d’écrire son<br />

« triomphe » <strong>sur</strong> l’alcool est révélatrice : Popinga n’est pas cet homme délivré des<br />

apparences, il joue, sans s’en rendre compte, le rôle qu’il s’est assigné quand, ayant eu<br />

la révélation que son patron avait « trahi les apparences », il a pu croire que tout était<br />

permis. Et lorsque, après avoir refermé son carnet, il se laisse aller à une rêverie <strong>sur</strong> ce<br />

que sera son entrée dans Paris (qui avait alors, pour le bourgeois nordique des années<br />

30, la réputation d’être le « mauvais lieu » de l’Europe ), il « force » son rôle, anticipe<br />

<strong>sur</strong> son encanaillement futur avec la gourmandise du cabotin sûr de ses effets : « Il se<br />

voyait déjà dans une salle abondamment garnie de glaces [celle du Moulin Rouge],<br />

avec des banquettes de velours pourpre, un seau à champagne <strong>sur</strong> la table, de belles<br />

filles décolletées à ses côtés…Il resterait calme ! Le champagne n’aurait pas plus<br />

d’effet <strong>sur</strong> lui que le genièvre ou le cognac. Et il se donnerait le malin plaisir de<br />

prononcer des phrases que ses compagnons ne pourraient pas comprendre… » 91 Le<br />

lecteur devine, naturellement, ce qu’il adviendra de cette illusion.<br />

Dans sa course au mal, Kees Popinga se révèle donc trahi par ses propres<br />

insuffisances, rattrapé précisément par ce qu’il croyait avoir laissé derrière lui, comme<br />

une mue : sa propre médiocrité de bourgeois hollandais. La formidable liberté, le<br />

cynisme prodigieux dont de Coster lui avaient fait don dans un accès de magnanimité se<br />

dilapident dans des fantasmes étriqués d’encanaillement, des crimes commis comme<br />

90 Ibid., p.67.<br />

91 Ibid., p.67-68.<br />

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