Mémoire sur SIMENON 2
Mémoire sur SIMENON 2
Mémoire sur SIMENON 2
Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
ce sont eux, qui, au contraire, vont par la suite se dérober et faire basculer le personnage<br />
dans la crise et le doute.<br />
2.2 : …et leur envers vertigineux.<br />
« Le bloc ras<strong>sur</strong>ant et limpide » de ce beau dimanche ne va pas tarder, en effet, à se<br />
fis<strong>sur</strong>er – précisément parce que ce qui offre l’apparence d’un bloc, chez Simenon,<br />
repose <strong>sur</strong> l’enchaînement des multiples notations, les unes reliant et complétant les<br />
autres : le réalisme simenonien est produit par concaténation. Tout l’art de Simenon,<br />
pour annoncer la crise que va vivre le personnage, réside justement dans la rupture<br />
progressive de cette chaîne, par le biais, une fois de plus, de courtes notations, mais<br />
dissonantes. Toute l’ouverture écrite du point de vue d’un Cardinaud heureux d’être lui-<br />
même est en elle-même annonciatrice de la crise : elle invite le lecteur à bien faire<br />
attention à ce qui se prépare. La messe terminée, Cardinaud et son jeune fils rentrent<br />
chez eux à pied, effectuant – ah, la force de l’habitude, du rituel ! – « le tour du<br />
Remblai » 48 – et Simenon, <strong>sur</strong> la démarche de Cardinaud, laisse échapper un : « Il<br />
marchait toujours, comme dans une procession » 49 ; l’ironie est ici patente, qui débusque<br />
le personnage dans la ritualisation instinctive à laquelle il obéit, et prépare l’instant de<br />
son « déraillement ». Le héros s’attend bien évidemment à ce que la chaîne d’habitudes<br />
ne s’interrompe pas, au point, même, qu’il anticipe <strong>sur</strong> les prochaines minutes : le<br />
déjeuner, préparé par sa femme, sera servi. « Il sait que vont l’accueillir l’odeur du rôti,<br />
le grésillement des pommes frites dans l’huile bouillante ; il sait… » 50 Ici, l’interruption<br />
tranche l’idylle, avec une sécheresse révélatrice : l’instant du basculement est proche. Et<br />
de fait, la porte de la maison à peine franchie, les sens extraordinairement aiguisés de<br />
Cardinaud perçoivent une tout autre réalité :<br />
48 Ibid., p.12.<br />
49 Ibid., p. 12.<br />
50 Ibid., p.14.<br />
– Marthe ! appelle-t-il.<br />
Cela ne sent pas le rôti, mais le rôti brûlé, et une vapeur bleue sort de la cuisine.<br />
En outre, on devine un courant d’air, là-haut, dans les chambres. Pourquoi les<br />
chambres seraient-elles ouvertes ?<br />
– Marthe ?… Avance, Jean !…<br />
Il ne veut pas encore se précipiter. Et même il fredonne. Il accroche son chapeau<br />
de paille au porte-manteau. Il se voit un instant dans la glace et il est satisfait de<br />
son image. […]<br />
La salle à manger est vide. La table n’est pas mise. Le bébé n’est pas dans son<br />
berceau. Qu’est-ce qui pourrait, un dimanche ?…<br />
28