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Mémoire sur SIMENON 2

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Ce fut la première <strong>sur</strong>prise qu’il donna à ceux qui l’avaient vu les jours<br />

précédents. Il gardait un maintien modeste, humble presque, mais on n’en sentait<br />

pas moins que sa décision était prise. 108<br />

En une scène, tout est dit : Gilles refuse la dichotomie loup-mouton (de même que<br />

Cardinaud s’opposait à diviser le monde entre apparence idéalisée et réalité sordide), il<br />

ne sera ni humiliant, ni humilié : tout en continuant à faire preuve de courtoisie, et même<br />

de timidité, envers son interlocutrice, il manifeste une volonté et un sentiment<br />

d’appartenance de soi et de ce qui l’entoure qui lui permettent d’échapper à toute<br />

manipulation. Il se peut, d’ailleurs, que sous cette force modeste de l’humble se cache la<br />

profession de foi de l’auteur, et que l’attitude de Gilles Mauvoisin résulte de<br />

l’expérience personnelle de Georges Simenon, issu d’une famille de commerçants et<br />

d’as<strong>sur</strong>eurs liégeois, affilié à une petite-bourgeoisie modeste, et donc soumis très tôt aux<br />

humiliations des « mieux-nés ». Et de fait, l’intrigue du Voyageur de la Toussaint révèle<br />

peu à peu, dans ses nombreuses péripéties, la revanche des humbles, l’étrange solidarité<br />

qui les fait se reconnaître et s’aider les uns les autres ; à chaque fois que la position de<br />

Gilles Mauvoisin sera fragilisée, ce n’est pas de la haute bourgeoisie rochelaise à<br />

laquelle il est censé s’identifier que viennent les secours, mais de « petites gens »,<br />

d’humbles employés, de domestiques fidèles, de la grosse Jaja, hôtelière haute en<br />

couleur qui lui communique les ragots de la petite ville, à M. Lepart, son beau-père, qui<br />

l’aidera à gérer ses affaires avec fidélité, en passant par sa tante Colette. Et lorsque<br />

Gilles finit par acquérir la maîtrise de cet univers sans pitié, le triomphe de sa modeste<br />

mais ferme volonté apparaîtra comme le triomphe des « petits » <strong>sur</strong> la logique des<br />

« grands » si bien résumée par Babin : « Vous n’êtes pas de taille […] Fatalement, vous<br />

serez écrabouillé… » 109 Le résumé que l’on peut lire <strong>sur</strong> la quatrième de couverture de<br />

l’édition « folio » du Voyageur de la Toussaint (celle de 1977) n’a donc pas tort de<br />

décrire le roman comme « un roman de l’énergie où pour une fois les bons triomphent<br />

des méchants et les faibles des forts » : si le livre emprunte tout aussi bien au roman<br />

d’apprentissage (c’est-à-dire qu’il dépeint le passage d’un jeune homme à l’âge adulte à<br />

travers de multiples péripéties) et au roman populaire (l’héritage tombé du ciel, les<br />

bourgeois abjects, doucereux et combinards qui se pressent autour du héros pur, naïf et<br />

sans défense), il offre aussi au personnage simenonien la chance (assez rare dans<br />

l’œuvre fondamentalement pessimiste de son créateur) de <strong>sur</strong>monter la crise qu’il<br />

traverse en réaffirmant sa propre personnalité à la face d’une société d’abord hostile,<br />

108 Ibid., p.75-76.<br />

109 Ibid., p.212.<br />

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