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Mémoire sur SIMENON 2

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poignée de romans qui, pour être minoritaires dans l’œuvre de Simenon, ont, tout au<br />

moins, le mérite d’exister.<br />

Un signe avant-coureur de cette perspective positive était déjà perceptible dans Le<br />

Testament Donadieu (1937). Livre innovant à plusieurs titres chez son auteur : d’une<br />

part, par sa longueur inhabituelle dans l’œuvre de Simenon (près de cinq cents pages),<br />

d’autre part, parce que le héros n’y était « mené » que par sa seule ambition. Jeune<br />

homme pauvre et décidé à devenir « quelqu’un », il s’introduisait dans une puissante<br />

famille bourgeoise de La Rochelle et réussissait à se hisser au plus haut rang social ;<br />

mais son arrivisme ne le rendait guère sympathique, ici manipulant les pires défauts de<br />

son entourage, là encourageant le meurtre d’un millionnaire pour s’enrichir, et seule sa<br />

femme parvenait, en le tuant, à arrêter la machine infernale du « parvenir à tout prix ».<br />

En outre, Simenon n’était pas satisfait de l’ouvrage, parlant à Gide de sa « petite<br />

tentative ratée des Donadieu » 96 . Quatre ans, plus tard, dans Le Voyageur de la<br />

Toussaint, il concilie à nouveau, et avec plus de bonheur, les longueurs de la fresque<br />

avec la figure du jeune homme pauvre qui gravit les échelons de la société – mais la<br />

naïveté et la valeur de Gilles Mauvoisin en feront un personnage bien plus intéressant<br />

que son prédécesseur Philippe Dargens (au nom si prédestiné).<br />

Curieusement, la figure du héros volontaire va aussi trouver son prolongement dans<br />

des ouvrages plus courts et en apparence moins ambitieux, comme Le Fils Cardinaud ;<br />

un héros plus effacé, plus soumis à l’identité sociale que Hubert Cardinaud, s’avérera,<br />

dans l’épreuve, un homme décidé à défendre ses valeurs, fussent-elles limitées et<br />

« petites-bourgeoises », face à l’univers dont il a été « chassé » lorsque sa femme l’a<br />

quitté. Or, Cardinaud n’est pas un être jeune qui a besoin, à l’instar de Gilles Mauvoisin<br />

ou de Philippe Dargens, de conquérir sa place au soleil. Il est l’homme le plus<br />

matériellement installé qui soit, si bien installé, du reste, que sa vie ressemble à un de<br />

ces bureaux trop bien rangés, où chaque chose est à sa place. On a vu, pour reprendre<br />

une métaphore chère à Jean Starobinski, que le monde où évoluait Cardinaud était un<br />

monde de la transparence, où chaque signe était lisible, où rien n’accrochait le regard<br />

scrupuleux de cet homme fier de son rang, fier d’appartenir à une certaine bourgeoisie.<br />

Le départ de sa femme Marthe, avec un jeune voyou amoureux d’elle, jette brutalement<br />

un voile, un obstacle <strong>sur</strong> cet univers. Voile d’incompréhension de la part du personnage,<br />

dont l’auteur nous restitue le point de vue douloureux et terrifié, mais aussi obstacle<br />

suscité par un monde soudain hostile, ricanant, humiliant : lorsque Cardinaud demande à<br />

96 Lettre de décembre 1938 de G. Simenon à A. Gide, op. cit., p.20.<br />

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