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Mémoire sur SIMENON 2

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univers étranger et hostile qu’il cherche à maîtriser passe donc par ces dialogues<br />

simultanés entre ses fantômes : les parents sans attaches et l’oncle solidement amarré à<br />

la réalité de La Rochelle – de l’avis de tous un être dur et inaccessible à la pitié, un self-<br />

made man qui s’est élevé à la force du poignet, terrorisant par des chantages la<br />

bourgeoisie traditionnelle de La Rochelle, dont il connaît mieux que personne les<br />

turpitudes. Surmonter l’épreuve, prendre la place de l’oncle avec succès serait donc,<br />

pour Gilles, une preuve de maturation d’autant plus certaine, un indice de sa « force »<br />

d’autant mieux évident que l’oncle était haï ; du reste le héros, une fois installé dans la<br />

demeure d’Octave Mauvoisin, ne peut s’empêcher de se mettre dans sa peau, par une<br />

série d’habitudes et de reconstitutions troublantes : ainsi décide-t-il, une fois installé<br />

auprès de sa tante Colette (l’héritage lui impose cette coexistence) ne rien changer aux<br />

habitudes de la maison ; puis, dans ce vaste hôtel particulier où chacun a son « coin », il<br />

s’installe au second étage – qui est précisément celui où travaillait son oncle. Plus tard<br />

encore dans le livre, lorsque l’enquête policière prend le pas <strong>sur</strong> toute les autres formes<br />

de roman, le point capital de l’intrigue devient la reconstitution d’une journée d’Octave<br />

Mauvoisin, que Gilles effectue avec minutie, aidé d’un inspecteur dévoué. Il y a donc,<br />

insensiblement, un phénomène d’identification du héros à son oncle, comme si, d’une<br />

génération à l’autre, était passé le témoin d’une certaine personnalité et que le jeune<br />

homme errant, naïf et immature se laissait posséder par le fantôme auquel il doit sa<br />

brusque fortune, n’en faisait plus que prolonger l’existence, le mort saisissant le vif.<br />

Tout converge, au niveau factuel, à cette sorte de vampirisation : la réaffirmation<br />

progressive de la personnalité de Gilles, d’abord soumis à l’influence des Plantel, des<br />

Eloi et autres bourgeois qui souhaitent mettre la main <strong>sur</strong> ses affaires et prendre une<br />

revanche post-mortem <strong>sur</strong> l’homme qui les a dominés et humiliés ; l’éloignement<br />

progressif de l’image des parents, dont Gilles découvrira, par le biais de documents<br />

accablants (les lettres du père de Gilles à Octave Mauvoisin), la veulerie et la faiblesse ;<br />

le décor même de La Rochelle, qui perd à peu son aspect de bloc menaçant, ménageant<br />

des haltes, révélant dans ses coins des personnages à la fois pittoresques et<br />

profondément humains, qui aideront Gilles dans les moments les plus difficiles ; enfin, il<br />

y a le mariage que fait le héros avec la jeune Alice, qui paraît le confirmer dans sa peur<br />

de la solitude et son désir d’une existence stable.<br />

En réalité, très vite, d’étranges discordances apparaissent dans la nouvelle<br />

personnalité de Gilles, trahissant un personnage « gêné aux entournures », comme si son<br />

costume de chef d’entreprise et de mari lui devenait, peu à peu, beaucoup trop étroit.<br />

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