Mémoire sur SIMENON 2
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et de commentaires favorables (Gide a découvert l’œuvre de Simenon vers 1938),<br />
l’auteur des Faux-monnayeurs se risque à des reproches concernant les « tics de<br />
fabrique » de son jeune confrère. Le plus grand qu’il lui adresse, « c’est de peindre de<br />
préférence et presque exclusivement des abouliques. Vous aurez partie gagnée quand<br />
vous aurez su peindre aussi les autres ; dussiez-vous montrer que même ceux-ci, les<br />
volontaires, les « héros », sont, eux aussi, des êtres menés. » 81 Or, précisément à partir<br />
de 1939, avec la parution de L’Homme qui regardait passer les trains, Simenon<br />
commence à mettre en scène non plus des personnages subissant passivement leur<br />
crise ou maîtrisant simplement le jeu des apparences, mais bel et bien des êtres<br />
volontaires, qui vont peu à peu se forger contre le monde dont ils sont issus, passant<br />
dès lors d’un état statique à celui de personnage initié, dépositaire d’une expérience et<br />
agissant selon elle. Si L’Homme qui regardait passer les trains s’avère tout<br />
particulièrement intéressant, c’est précisément parce que son héros, Kees Popinga,<br />
tente d’échapper à sa condition d’« être mené » en prenant conscience du mal qui<br />
existe autour de lui, et en l’accomplissant lucidement. Initié par son ex-patron, il<br />
marchera en bon disciple <strong>sur</strong> ses traces : exceptionnellement, le mal n’est donc pas<br />
chez lui une voie comme une autre (comme Simenon le laisse entrevoir chez Frank<br />
Friedmaier, ce faux aboulique que l’on sent perpétuellement tendu vers « autre<br />
chose »), mais bien une sorte de sacerdoce auquel il se prépare avec soin. En bon<br />
« initié » il commence par de petites épreuves : ne pas se lever de son lit le matin, ne<br />
pas aller au travail, rabrouer sa femme – en somme, il vit l’envers de ce réel auquel,<br />
avant sa rencontre avec de Coster, il croyait dur comme fer, prenant systématiquement<br />
à contre-pied l’image du Hollandais travailleur, respectueux et ayant la paresse en<br />
horreur. Plus tard, ayant étranglé (sans le vouloir) la demi-mondaine avec qui il voulait<br />
coucher, il fuit à Paris, se mêle à un réseau de trafiquants de voitures, puis, persuadé<br />
que ses nouveaux camarades comptent le dénoncer à la police, s’enfuit après avoir<br />
manqué de tuer une nouvelle fois. C’est à ce moment précis de son « initiation » au<br />
mal qu’il écrit une lettre à un journal afin de s’expliquer, une bonne fois pour toutes,<br />
<strong>sur</strong> sa conduite ab<strong>sur</strong>de. Cette confession est le tournant thématique du livre, puisque,<br />
plus encore que le discours cynique de de Coster (qui esquisse à grands traits la<br />
perspective où se ruera Popinga), elle met en valeur l’idée d’un mal comme simple<br />
envers d’un bien conventionnel et tiède :<br />
81 Ibid.<br />
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