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Mémoire sur SIMENON 2

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Dans la cuisine, l’odeur de brûlé est plus forte, la fumée épaisse, et Cardinaud<br />

ouvre le four, se brûle les doigts en retirant la lèche-frite <strong>sur</strong> laquelle il n’y a plus<br />

qu’une sorte de charbon noir. […]<br />

La sensation est atroce, la même que quand, Dieu sait pourquoi, il s’est cru<br />

tuberculeux et qu’il est allé voir un spécialiste. Au moment d’entrer dans le salon<br />

d’attente, cela l’a pris, dans la poitrine, partout, un vague, un vide soudain, un<br />

mollissement, une panique. […]<br />

Les lits sont faits. Il ouvre l’armoire à glace. Sur la planche du dessus, il ne voit<br />

pas le dernier chapeau de Marthe, celui qu’elle s’est fait faire pour la Pentecôte.<br />

– Marthe !…<br />

Ils sont là tous les deux, elle et lui, dans un cadre doré qui tranche <strong>sur</strong> le papier à<br />

petites fleurs, et Marthe, comme le photographe le lui a conseillé, parce qu’il doit<br />

en être ainsi <strong>sur</strong> une photographie de mariage, penche un peu la tête du côté de son<br />

mari.<br />

Ce n’est pas possible… Qu’est-ce qui ?… […]<br />

Il se retrouve en bas. Jean ne sait où se mettre et répète :<br />

– Où est-elle, maman ?<br />

Il essaie de sourire et grimace comme quelqu’un qui va pleurer. 51<br />

Toute la scène montre l’effondrement progressif de Cardinaud, plus exactement de<br />

la logique du monde où il vivait. A côté de notations en accord avec son caractère,<br />

Simenon multiplie les incohérences de fait (le rôti brûlé dans le four, les chambres<br />

ouvertes) et de geste (lorsque Cardinaud « se retrouve en bas » sans que rien dans le<br />

texte ne l’ait prémédité, et <strong>sur</strong>tout lorsqu’il essaye de sourire, et semble au contraire<br />

pleurer) ; les apparences s’enfuient progressivement, laissant place à l’inconnu,<br />

l’ab<strong>sur</strong>de, un entre-deux menaçant où rien ne paraît avoir de sens – et encore moins les<br />

tentatives dérisoires de Cardinaud pour retrouver sa femme. La chaîne d’habitudes se<br />

désagrège, et avec elle l’idéalité d’un monde troublé par une inquiétude – inquiétude<br />

qui se traduit en creux, par l’absence inhabituelle de Marthe. La narration mène de<br />

front cette désagrégation, faisant encore ressortir les détails d’un réel ras<strong>sur</strong>ant<br />

(lorsque Cardinaud « se voit dans la glace et est satisfait de son image »), et l’irruption<br />

de notations destinées à alerter le héros (et le lecteur) du danger. De là un effet de<br />

basculement progressif, mais irrémédiable : dans cette maison où il ne reconnaît plus<br />

rien (à commencer par l’absence de sa femme), où tout se détraque, Cardinaud<br />

effectue son saut « hors du monde », donnant l’impression de passer, par le biais de<br />

cette absence, dans un cadre spatio-temporel parallèle, inconnu, menaçant. Le<br />

changement de temps de la narration, passant d’un imparfait descriptif à un présent<br />

simple, qui narre les faits presque crûment, souligne cette chute du héros qui semble<br />

alors « descendre de son nuage ». La structure même des phrases et des paragraphes se<br />

modifie ; alors que chaque paragraphe, auparavant, semblait compléter le précédent, et<br />

ainsi de suite, à l’infini, un détail en amenant un autre, communiquant au lecteur la<br />

51 G. Simenon, op. cit., p.14 à 16.<br />

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