Mémoire sur SIMENON 2
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lui-même à Gide dans une de ses lettres 27 . En 1929, estimant désormais posséder la<br />
maîtrise d’une intrigue, d’un décor et d’un personnage – en somme, l’essentiel du roman<br />
– il invente Maigret, et avec lui, les bases de ce qu’il qualifiera de « roman semi-<br />
littéraire ». Il s’ouvre de ce projet à son principal éditeur, Fayard, qui accepte, après des<br />
réticences, d’accueillir ce nouveau type de production. Les justifications de Simenon, on<br />
le notera, sont encore une fois celles d’un auteur conscient de ses moyens plus que celles<br />
d’un novateur :<br />
Il existe, essayai-je d’expliquer, dix genres, vingt genres littéraires qui<br />
sont comme les divers rayons d’un grand magasin, c’est-à-dire qui<br />
n’existent que par une tacite convention entre le vendeur et l’acheteur.<br />
Chacune de ses catégories a ses règles, dont il est interdit, par honnêteté<br />
commerciale, de s’évader. Au-dessus de tout cela, il existe, il règne le<br />
roman pur, l’œuvre d’art, qui ne doit rien qu’à elle-même et qui échappe à<br />
toutes les règles de l’édition. Je ne me sens pas encore assez mûr pour entrer<br />
dans cette catégorie. […]<br />
Cependant, je me crois capable de m’affranchir dès maintenant de<br />
certains poncifs, de faire vivre des personnages presque humains, à<br />
condition que je profite d’un support, d’une armature, que je puisse<br />
m’appuyer <strong>sur</strong> un meneur de jeu, et cela, c’est le roman policier. 28<br />
Maigret est donc une étape de la progression littéraire de Simenon depuis le roman<br />
populaire vers ce qu’il appelle le « roman pur », celui où le romancier est si bien<br />
conscient de ses moyens qu’il joue dans sa propre création un véritable de rôle de<br />
démiurge – de « Dieu le Père », écrit-il plaisamment 29 . A l’abri de Maigret et du succès<br />
que lui rapportera cette formule, il pourra commencer à écrire des « romans durs »,<br />
d’abord imprégnés encore des types populaires (l’escroc international du Relais<br />
d’Alsace [1931] ou l’aventurière du Passager du Polarlys [1932]), puis gagnant en<br />
finesse dans la lente compréhension du héros principal (Les Fiançailles de M. Hire<br />
[1933], La Maison du canal [1933], Le Haut-mal [1934]…). Lorsque l’apport du roman<br />
populaire sera définitivement assimilé, l’écrivain belge passera aux productions<br />
ambitieuses de l’époque Gallimard ; puis, attiré par le modèle éditorial à l’américaine<br />
qui fait florès après 1945, il confiera aux Presses de la Cité la dernière phase de sa<br />
production, mieux adaptée à ce qu’un lectorat de masse attend d’un écrivain comme<br />
Simenon (ce qui n’interdit pas, dans ce travail d’artisanat supérieur, de nouveaux livres<br />
marquants, comme La Neige était sale [1947] ou L’Horloger d’Everton [1954]).<br />
27 voir la lettre de janvier 1939 de Simenon à Gide, reprise dans …sans trop de pudeur, correspondance<br />
1938-1950, Omnibus, « Carnets » (p.26 à 40).<br />
28 G. <strong>SIMENON</strong>, Le Roman de l’Homme, « Le Romancier » (conférence prononcée à l’Institut français de<br />
New York le 20 novembre 1945), éd. de l’Aire, Suisse, 1980, p.93.<br />
29 Ibid., p.93.<br />
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