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Mémoire sur SIMENON 2

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l’impression d’une redite. C’est ainsi que le thème de la volonté bénéfique, présent dans<br />

Le Fils Cardinaud, est repris et devient l’enjeu central du Voyageur de la Toussaint, qui<br />

le précède de deux ans. Cette reprise est de loin la plus ambitieuse dans l’œuvre de<br />

Simenon, parce qu’elle s’impose à un personnage jeune et absolument dépourvu<br />

d’expérience : un être non plus mené cette fois, mais vierge (« Je parie que tu n’as<br />

jamais quitté les jupons de ta mère... » 105 lui fait d’ailleurs remarquer un personnage du<br />

livre). Contrairement à Cardinaud, Gilles Mauvoisin est un adolescent mal dégrossi,<br />

timide et doux, qui vit comme à côté de la vie, à la remorque de parents artistes de<br />

cirque itinérants – donc dépourvu d’attaches sociales, morales, locales. A ce héros qui<br />

vit comme dans l’envers de la tapisserie humaine, Simenon donne l’occasion de passer<br />

de « l’autre côté » : ses parents morts accidentellement en Norvège, Gilles se rend à La<br />

Rochelle demander de l’aide à la sœur de sa mère et au frère de son père. Et voici le<br />

« coup de pouce » du romancier, qui va donner le branle au destin du personnage – une<br />

péripétie tout droit sortie de ces romans populaires dont Simenon fut grand lecteur (et<br />

auteur !) : son richissime oncle Mauvoisin est mort, faisant de son neveu l’héritier de sa<br />

fortune et de ses affaires. Voilà le marginal propulsé au premier rang de la scène locale,<br />

l’itinérant fixé, le rêveur contraint de s’éveiller à la réalité dont il va me<strong>sur</strong>er, désormais,<br />

l’effarante lourdeur.<br />

Cet héritage miraculeux, qui évoque quelque coup de baguette magique, est un coup<br />

de théâtre digne des romans d’apprentissage du XVIIe ou du XVIIIe siècle – c’est aussi<br />

la parfaite conclusion à ce type d’ouvrage, le jeune homme touchant la récompense de<br />

son expérience chèrement acquise. Simenon, lui, inverse cette dialectique, et place<br />

l’événement au début du livre, en faisant (bien plus que de la mort des parents) le<br />

véritable détonateur de la crise de son héros. Cet orphelin qui a tous les atouts dans son<br />

jeu est, en réalité, d’emblée en position de faiblesse, parce que, se retrouvant<br />

millionnaire mais sans expérience de la vie, il devient dès lors une proie facile.<br />

Transplanté dans le milieu bourgeois de La Rochelle, au milieu d’hommes habitués à<br />

gagner de l’argent et à défendre leur place par tous les moyens, il semble voué à échouer<br />

à prendre la succession de son oncle. « Vous êtes un gamin, monsieur Mauvoisin ! » 106<br />

lui lance d’ailleurs l’armateur le plus puissant de la ville. Le processus initiatique qui<br />

débute alors ne doit pas tant à la volonté d’un jeune homme étranger de s’acclimater à ce<br />

qui lui paraissait éloigné, qu’au désir de se défendre face à une ville hostile. La plus<br />

105 G. Simenon, Le Voyageur de la Toussaint (1941), Gallimard, « Folio » (n°932), 1977, p.23.<br />

106 Ibid., p.172.<br />

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