Mémoire sur SIMENON 2
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1 – LE PERSONNAGE INTERPRETANT : LA REEVALUATION D’UN MONDE<br />
TROP LONGTEMPS IDEALISE.<br />
1.1 : « L’homme aux prises avec son Destin », ou la déviance comme état<br />
révélateur de l’identité du héros.<br />
Cette disponibilité si particulière du héros simenonien – et qui pourrait expliquer<br />
en partie l’intérêt de Gide pour son jeune confrère – pèse <strong>sur</strong> tout le roman et achève<br />
de morceler une intrigue qui, pour être existante, n’en est pas moins dès lors réduite à<br />
un support, un canevas, une sorte de graphique rendant compte des hauts et bas du<br />
personnage. Ce n’est pas la somme des événements qu’il traverse qui intéresse<br />
l’auteur, mais leurs répercutions <strong>sur</strong> lui. Lorsque Simenon endosse littéralement sa<br />
peau et ramène le « canon » romanesque à son seul point de vue, il ne profite pas<br />
seulement, en tant qu’« artisan », de la formidable liberté que lui laisse le genre, dont<br />
on sait qu’il ne comporte pas de règles précises ni d’« art poétique » (contrairement à<br />
la poésie ou au théâtre) ; il essaye également, à partir d’un cas particulier, de rejoindre<br />
une certaine universalité dans le comportement moral et actanciel des hommes. De là<br />
son insistance à transmuer le personnage, le faisant passer d’une pure convention<br />
romanesque à un rôle d’homme à part entière, « plus vivant que la vie même », et les<br />
rares essais et conférences qu’il a consacrés au roman témoignent de cette volonté, en<br />
même temps que de son effacement extrême en tant que créateur :<br />
Le roman, c’est l’homme, l’homme tout nu et l’homme habillé,<br />
l’homme de tous les jours […] mais c’est <strong>sur</strong>tout le drame de l’Homme<br />
aux prises avec son destin. 63<br />
Le lecteur comprend dès lors d’autant mieux que ce soit par la crise que le créateur<br />
de Maigret aborde et questionne la notion de personnage : pour que l’humanité de ce<br />
dernier se dilate et laisse apparaître le tracé de sa propre destinée, il faut écarter tout ce<br />
que le héros comporte de convention et de parade, le décorum qui lui est propre – bref,<br />
tout ce qui encourage la linéarité de son existence (en cela, on l’a vu, Simenon s’écarte<br />
63 G. Simenon, L’Âge du roman, éd. Complexe, Bruxelles, cité par B. Alavoine, Georges Simenon :<br />
parcours d’une œuvre, Encrage, 1998, p.79.<br />
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