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Mémoire sur SIMENON 2

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son patron de lui prêter de l’argent (car sa femme est partie avec trois mille francs), il se<br />

voit d’abord opposer un refus doucereux : « Je veux oublier ce que vous m’avez dit… et,<br />

si vous avez des embarras momentanés, il se trouvera bien, dans votre famille... » 97<br />

L’argent lui sera finalement accordé, le patron ayant eu vent de l’infortune conjugale de<br />

son employé ; c’est malgré tout, pour ce dernier, une humiliation. Elle continue avec les<br />

rumeurs, les ragots dont bruit la ville entière, le regard tour à tour malveillant et<br />

condescendant des parents de Cardinaud qui jalousent sa situation sociale plus élevée<br />

que la leur, de ceux de Marthe qui ont toujours clamé que leur fille « était trop bonne<br />

pour [lui] » 98 . « La veille, il marchait dans le soleil et c’était une marche triomphale. Il<br />

marchait vers… rien du tout ! A présent, il était tout en dessous. En dessous, même, des<br />

femmes de la Poissonnerie qu’il regardait avec envie, en dessous de ces pêcheurs qui<br />

embouchaient leur litre de vin comme des clairons ! » 99 La distance de Cardinaud avec<br />

cet univers qu’il ne comprend plus, qu’il ne vit plus, évoque, à ce moment précis, la<br />

métaphore de Kees Popinga <strong>sur</strong> les petits pauvres qui se pressent contre la vitre d’une<br />

pâtisserie pour regarder les clients manger les gâteaux : il envie leur aisance tranquille,<br />

dans un monde dont il a été chassé et qui ne lui renvoie que méchanceté et dégoût.<br />

Or, ce héros dérisoire, incapable de grandes ruptures, adopte, à la grande <strong>sur</strong>prise du<br />

lecteur, le comportement le plus paisible qui soit. Pas de révolte, pas de cynisme naïf à<br />

la Kees Popinga : de fait, au moment même où il connaît, à l’instar de tant d’autres<br />

héros simenoniens, la tentation du laisser-aller, Hubert Cardinaud va révéler, d’une<br />

certaine façon, sa valeur d’homme :<br />

C’était le géranium, d’un rouge entier, paisible, glorieux, que Cardinaud<br />

regardait, et le reste ne semblait exister que pour entourer modestement cette fleur<br />

qui commençait sa vie matinale. […]<br />

Certes, Cardinaud savait qu’il y avait un géranium <strong>sur</strong> l’appui de la fenêtre.<br />

Mais il ne l’avait jamais regardé, et maintenant, c’était de cet épanouissement<br />

somptueux que partaient ses pensées, que naissait la tentation. […]<br />

La fatigue y était pour quelque chose, car le bébé avait pleuré trois fois dans la<br />

nuit et la seconde fois son père était resté debout près d’une heure à le bercer.<br />

Pourquoi, oui, pourquoi Cardinaud n’abandonnerait-il pas ? C’était aussi facile<br />

que pour l’eau de suivre le lit qui lui est tracé. Tout le monde l’y encourageait, tout<br />

le monde l’approuverait.<br />

Il continuerait, dans la maison de l’avenue de la Gare, la même vie que par le<br />

passé, en un peu plus sourd, en un peu plus mélancolique, ce qui n’est pas si<br />

désagréable. Mademoiselle était prête à adoucir les angles autour de lui.<br />

Il s’occuperait des enfants, plus encore qu’autrefois. Il les promènerait. Au fond,<br />

Marthe n’avait jamais aimé promener les enfants. […] Il serait à la fois le père et<br />

97 G. Simenon, Le Fils Cardinaud, Gallimard, « Folio » (n°1047), 1978, p.37.<br />

98 Ibid., p.86.<br />

99 Ibid., p.42.<br />

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