25.06.2013 Views

Mémoire sur SIMENON 2

Mémoire sur SIMENON 2

Mémoire sur SIMENON 2

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

[…] Que ceci vous démontre d’abord que, malgré vos qualités et<br />

l’excellente opinion que vous avez de vous, vous êtes un pitoyable fondé<br />

de pouvoir, puisque vous ne vous êtes aperçu de rien… Voilà plus de huit<br />

ans, monsieur Popinga, que je me livre à des spéculations dont le moins<br />

qu’on puisse dire est qu’elles sont hasardeuses… […]<br />

– Je suis allé chez vous…<br />

– Où vous avez vu la charmante Mme de Coster ? Le docteur Claes<br />

était-il là ?<br />

– Mais…<br />

– Ne vous troublez pas, monsieur Popinga ! Il y a trois ans, presque<br />

jour pour jour, car cela a commencé une nuit de Noël, que le docteur<br />

Claes couche avec ma femme… […] De mon côté, je dois ajouter que<br />

j’allais à Amsterdam chaque semaine retrouver Paméla…<br />

[…] Je vous jure que j’ai fait ce que j’ai pu… C’est une spéculation <strong>sur</strong><br />

les sucres qui flanque tout par terre, et j’aime mieux recommencer<br />

ailleurs que me débattre parmi tous ces idiots solennels… Ce n’est pas<br />

pour vous que je parle… Vous êtes un bon garçon, et, si vous aviez été<br />

élevé autrement… A votre santé, mon vieux Popinga !<br />

Cette fois, il n’avait pas dit « monsieur Popinga » !<br />

– Croyez-moi ! Les gens ne valent pas tout le mal qu’on se donne pour<br />

qu’ils pensent du bien de vous… Ils sont bêtes ! Ce sont eux qui exigent<br />

que vous preniez des airs vertueux et c’est qui à qui trichera le plus… Je<br />

ne voudrais pas vous chagriner, mais je pense soudain à votre fille, que<br />

j’ai encore aperçue la semaine dernière… Eh bien ! entre nous, elle vous<br />

ressemble si peu, avec ses cheveux sombres et ses yeux alanguis, que je<br />

me demande si elle est de vous… qu’est-ce que cela peut faire, après<br />

tout ? Ou, du moins, cela n’a pas d’importance si l’on triche soi-même…<br />

Tandis que, si l’on s’obstine à jouer franc jeu et qu’on est volé… […]<br />

C’est tellement plus sûr de tricher le premier !… qu’est-ce qu’on risque ?<br />

… Ce soir, je vais aller déposer les vêtements de Julius de Coster le Jeune<br />

au bord du canal… Demain, tout le monde croira que je me suis suicidé<br />

plutôt que de supporter le déshonneur et ces imbéciles vont dépenser je ne<br />

sais combien de florins à faire draguer le canal… Pendant ce temps-là, le<br />

train de minuit m’aura conduit loin d’ici… 56<br />

On remarque à cette occasion une nouvelle variation dans l’irruption de la crise qui<br />

secoue le héros : elle est, cette fois, appréhendée par le biais d’un tiers – et quel tiers !<br />

Le lecteur remarque tout de suite l’intérêt du discours de Julius de Coster : accabler<br />

définitivement Popinga, l’obliger à dépasser enfin une existence fausse, et qui, de<br />

toute façon ne peut plus guère se maintenir. Après avoir été ruiné socialement (la<br />

faillite de de Coster, la révélation des défauts et des turpitudes que les bourgeois de<br />

Groningue dissimulent avec soin), le personnage va prendre conscience ensuite de la<br />

profonde inanité de la morale, de l’intégrité qui lui paraissaient siennes. Sous la<br />

<strong>sur</strong>face des existences rangées et des bonnes intentions, existe un envers noir, ricanant<br />

– celui où se tiennent « ceux qui tirent les ficelles » – et cette inanité de l’image<br />

sociale brusquement révélée n’est pas sans évoquer La Mort d’Ivan Illitch de Tolstoï 57 .<br />

56 G. Simenon, op. cit., p.24 à 29.<br />

57 La révélation de la béance des êtres derrière leur artefact social, telle que le juge mourant se la voit<br />

révéler dans La Mort d’Ivan Illitch , inspire à Tolstoï des pages qui auraient presque pu être rédigées par<br />

Simenon lui-même : « Les vêtements de sa femme, la forme de son corps, l’expression de son visage,<br />

36

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!