MANUEL GÉNÉRAL DE L'INSTRUCTION PRIMAIRE - INRP

PARTIE GÉNÉRALE 537
La coopérative scolaire doit
aussi transformer l'écolier.
ES années passent. Les souvenirs amassés, au
L cours de la vie s'estompent peu à peu;les
amitiés demeurent. Le bien que, grâce à elles,
l'on a pu faire ensemble porte ses fruits et,
quoi qu'on pense de ces fruits, n'eussent-ils
que la valeur d'un grain de sable, rien n'en
sera perdu. Infime est le travail de la fourmi;
néanmoins la fourmilière s'élève et se creuse
pour le bonheur de la tribu. C'est de menus
efforts incessamment répétés par l'ensemble
des humains qu'est né et que se continue le
progrès de l'humanité. Ainsi, dans les classes
organisées socialement par nos amis, quelque
chose reste encore qui durera : c'est, avec des
souvenirs nombreux et d'autant plus vivaces
qu'ils dateront de l'enfance, une leçon ineffaçable
dans le cœur des jeunes gens d'aujourd'hui
: la nécessité de l'union par laquelle on
triomphe de l'apathie générale et de la mauvaise
fortune, une espérance autant qu'un
exemple.
Cette espérance nouvelle qu'à la coopérative
les faits n'ont jamais démentie, sera une force
pour la vie. Elle y est soigneusement entretenue.
Maîtres et élèves continuent les devanciers.
A travers les générations successives
d'écoliers, le flambeau passe de main en main
et les maîtres veillent afin que la flamme soit
toujours haute et claire. Si, après quinze ans,
près de douze mille instituteurs et institutrices
en France et aux colonies nous ont suivi, si de
l'étranger nous viennent des encouragements
précieux, c'est, sans doute, parce qu'il y a
dans la petite coopérative scolaire quelque
chose de particulièrement intéressant.
E qui a intéressé tout d'abord, c'est la prospé-
^ rité matérielle d'une école jadis dépourvue
de tout et qui est maintenant visiblement
enrichie. Un matériel d'enseignement et u n
outillage collectif, une installation améliorée,
a la fois plus propre et plus riante : voilà ce
que, sagement dirigés par leurs maîtres, les
petits coopérateurs ont p u lui procurer euxmêmes.
Partout ce premier stade est accompli;
et les ressources créées chaque année, plus que
suffisantes pour l'entretien, peuvent déjà, en
maint endroit, servir en partie à d'autres fins.
Mais ce côté... intéressant de la question,
nous l'avons dit bien des fois, n'est qu'un
moyen. Le but véritable est d'autre portée.
Déjà par le fonctionnement régulier de la
petite association, c'est l'esprit d'union et
c'est l'esprit d'entr'aide qui se sont éveillés
dans les âmes. Par des actes quotidiens, des
habitudes ont été créées et c'est là une initiation
précieuse à la vie collective. Le selfgovernment
y trouve son compte aussi, dans
la confiance accordée et dans la liberté concédée,
en certains domaines, aux petits coopérateurs.
Et c'est l'éducation tout entière qui,
par la coopérative, prend sa place à côté et
au-dessus de l'instruction : éducation morale
et sociale par l'esprit nouveau introduit dans
la classe, éducation intellectuelle par l'emploi
facilité des méthodes actives, éducation esthétique
par le travail manuel mis à la portée des
enfants, éducation sous tous ses aspects !
Mais pour que soient réalisés ces heureux
résultats, il faut faire vivre réellement la
coopérative. Si elle ne fonctionne que par
à-coups, si l'effort n'est donné qu'en vue des
résultats pécuniaires, n'est-il pas à craindre
que le but véritable ne soit oublié ? Une
classe propre, embellie, abondamment pourvue,
c'est déjà quelque chose de nouveau et
de précieux; mais des élèves formés aux
bonnes habitudes d'esprit et de cœur, c'est
tout ; avec les moyens créés par eux, il convient
de s'occuper de cette fin dès qu'on le peut. La
coopérative n'a pas été créée seulement pour
procurer à l'école les ressources qui lui manquaient,
mais aussi pour amorcer, par la
gestion et l'utilisation de ces ressources, une
œuvre plus haute. Qu'on se dise bien que la
petite association qui partout a brillamment
parcouru le premier stade de l'acquisition des
moyens, doit partout, maintenant, entrer
résolument dans le deuxième stade : celui de
l'emploi régulier des moyens d'éducation
acquis ou créés.
La coopérative scolaire a transformé matériellement
l'école; n'oublions pas qu'elle doit
aussi et surtout transformer l'écolier.
PROFIT.
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