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Les clefs des Portes de demain - Le chasseur abstrait

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2<br />

INTRODUCTION<br />

Elles furent extraordinaires et paradisiaques, ces vacances "à la ferme" <strong>de</strong> 1996.<br />

La nature rutilait. La cour avec sa mare, son "tas" <strong>de</strong> fumier, sa fosse à purin et son pigeonnier, le verger,<br />

le potager, la prairie située <strong>de</strong>rrière le hangar à réserve <strong>de</strong> paille, tout semblait vibrer d'une fête perpétuelle.<br />

A 4 heures 30, très exactement, le coq, l'énorme coq, seul chef incontesté <strong>de</strong> la basse cour, ouvrait la porte<br />

au jour naissant et claironnait le réveil. Quelques secon<strong><strong>de</strong>s</strong> plus tard, une merlette flutait et, perchée sur le toit<br />

<strong>de</strong> l'étable, inspectait la cour et ses occupants ; puis, peu à peu, les chants <strong><strong>de</strong>s</strong> autres oiseaux venaient s'y<br />

joindre pour former un concert qui s'infiltrait aux quatre coins <strong>de</strong> l'horizon avec, parfois, le meuglement d'une<br />

vache en attente <strong>de</strong> traite ou le bêlement du bouc impatient <strong>de</strong> bondir, dans la prairie, en compagnie <strong>de</strong> ses<br />

cinq chèvres. Peu <strong>de</strong> temps après, l'air vibrait du battement <strong><strong>de</strong>s</strong> ailes d'une envolée <strong>de</strong> pigeons qui venaient<br />

piétiner le toit, au <strong><strong>de</strong>s</strong>sus <strong>de</strong> la mansar<strong>de</strong>.<br />

Une porte claquait. Bruit <strong>de</strong> vaisselle. Robinet qui coule. Madame Grivelot, Simone, la fermière, s'attelait à<br />

sa tâche quotidienne, épuisante et ingrate. Une véritable paysanne, fille <strong>de</strong> paysanne, mo<strong>de</strong>lée dans le moule<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> gens <strong>de</strong> la terre d'où sortent les femmes fortes, sèches et infatigables qui font le renom <strong>de</strong> nos campagnes.<br />

Faisant fi <strong><strong>de</strong>s</strong> machines, elle calait ses fesses sur son tabouret à trois pieds et trayait ses huit vaches, le sourire<br />

aux lèvres.<br />

Michel, son mari, semblait venir d'un autre mon<strong>de</strong> et, dès les premières minutes <strong>de</strong> notre séjour, me<br />

subjugua. C'était un être, <strong>de</strong> prime abord, indéfinissable. Relativement jeune, comme elle, la quarantaine peutêtre,<br />

le visage glabre, souriant mais les traits tendus, songeurs, sous <strong><strong>de</strong>s</strong> cheveux blanchis trop vite. Si, dans la<br />

journée, les cris <strong>de</strong> sa femme emplissaient la cour et, même, bien au <strong>de</strong>là, lui, parlait peu, ne prononçant que<br />

les mots indispensables, <strong><strong>de</strong>s</strong> mots apparemment pesés, d'une voix calme et douce.<br />

Je le vis souvent, le regard perdu, comme s'il écoutait et sentait cette nature envoûtante qui semblait<br />

recréer tout un mon<strong>de</strong> idyllique connu <strong>de</strong> lui seul. Un sage et un poète.<br />

C'est ainsi que, dès le <strong>de</strong>uxième jour, nous nous sommes retrouvés tous <strong>de</strong>ux, allongés sur l'herbe épaisse<br />

et chau<strong>de</strong> d'une allée du potager.<br />

Devant nous, une énorme touffe <strong>de</strong> sauge étalait sa multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> fleurs violettes dans un bourdonnement<br />

incessant d'abeilles. Il en détacha une fleur, la prit délicatement et la fixa pendant je ne sais combien <strong>de</strong><br />

secon<strong><strong>de</strong>s</strong>. J'étais littéralement hypnotisé.<br />

Puis il parla.<br />

Que la nature est belle ! Et, non seulement elle est un miracle constant <strong>de</strong> splen<strong>de</strong>ur, mais elle resplendit<br />

par son intelligence... Car je crois en son intelligence !... Une intelligence, bien entendu, difficile à cerner<br />

puisqu'elle ne gère qu'une existence végétative... Pourtant, si nous y regardons bien, elle nous crève les<br />

yeux. Ainsi, je suis continuellement en extase lorsque je réfléchis à ce que représente d'incompréhensible et<br />

<strong>de</strong> merveilleux, cette petite fleur.<br />

Avez-vous lu "L'intelligence <strong><strong>de</strong>s</strong> fleurs" <strong>de</strong> Maeterlinck ?<br />

J'inclinai la tête car ce livre que j'avais lu et relu, m'avait passionné.<br />

Vous connaissez donc l'incroyable mise au point faite d'astuces extraordinaires, d'une complexité et<br />

d'une précision fascinantes, qu'elle s'est composée pour attirer les abeilles qui prennent son pollen, le<br />

véhiculent et le redistribuent sans même s'en rendre compte.<br />

N'est-ce pas purement prodigieux ?<br />

Il s'était tu, plongé dans ses pensées. Je n'osais rompre le silence.<br />

Voyez-vous, me dit-il enfin, qu'on ne me parle plus d'évolution naturelle et toute bête. L'intelligence <strong>de</strong> la<br />

nature, c'est une évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> tous les instants. Ainsi, <strong><strong>de</strong>s</strong> étu<strong><strong>de</strong>s</strong> ont été effectuées sur <strong><strong>de</strong>s</strong> abeilles.<br />

Transplantées loin <strong>de</strong> leur région et <strong>de</strong> leur climat habituels, elles changent leurs habitu<strong><strong>de</strong>s</strong>. Elles<br />

s'adaptent. En Californie où elles trouvèrent <strong><strong>de</strong>s</strong> fleurs 12 mois sur 12, elles vécurent au jour le jour et ne<br />

firent même plus <strong>de</strong> provisions. Transplantées à la Barba<strong>de</strong>, aux Petites Antilles, où elles se trouvèrent au<br />

milieu <strong><strong>de</strong>s</strong> raffineries avec du sucre à volonté, elles cessèrent même d'aller butiner les fleurs.

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