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Argentine : Volver - Nouveaux Droits de l'Homme

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et nous…<br />

coup plus éloignées les unes <strong>de</strong>s<br />

autres qu’elles ne le sont aujourd’hui,<br />

mais cela annonçant ceci.<br />

Régis Debray n’a pas souhaité, par<br />

quelque nouvelle préface superflue,<br />

prendre le moindre recul par<br />

rapport à ce qu’il était alors, et il a<br />

eu raison ; son A <strong>de</strong>main <strong>de</strong><br />

Gaullei y suffit <strong>de</strong>puis longtemps.<br />

« La détention est une<br />

délivrance », écrit-il dans<br />

sa préface <strong>de</strong> 1974, évoquant<br />

Pascal et le malheur<br />

<strong>de</strong>s hommes qui ne savent<br />

pas rester en repos dans<br />

leur chambre. « Mais,<br />

ajoutait-il, plus qu’un privilège<br />

ou un bienfait <strong>de</strong> la<br />

Provi<strong>de</strong>nce, la prison est<br />

un exercice, un renversement<br />

<strong>de</strong> stratégie mentale<br />

qui ne se maîtrise pas en<br />

un clin d’œil. » C’est cet<br />

exercice qu’explore et certifie<br />

ce petit Journal.<br />

Ajoutons que cette détention<br />

ne fut pas seulement<br />

une délivrance intérieure,<br />

mais qu’elle le protégea<br />

d’être entraîné dans les<br />

dingueries <strong>de</strong> mai 68, avec<br />

lesquelles il régla ses comptes dans<br />

sa Mo<strong>de</strong>ste contribution aux discours<br />

et cérémonies du dixième anniversaireii<br />

, dès 1978.<br />

Régis Debray sait bien que « nous<br />

adhérons à l’idéologie ambiante<br />

comme l’éponge » : les discours<br />

actuels sur la mondialisation et sur<br />

l’Europe nous le rappellent tous<br />

les matins, notamment sur Franceculture.<br />

Les intellectuels sont<br />

déchirés entre les impératifs <strong>de</strong> la<br />

filiation et <strong>de</strong> la désaffiliation :<br />

« En somme, il est aussi inepte<br />

d’exalter ou d’abhorrer tout ce qui<br />

ressortit à la tradition, que d’exalter<br />

ou d’abhorrer le débit <strong>de</strong>s fleuves, les<br />

gisements <strong>de</strong>s houilles ou les chutes<br />

du Niagara. C’est là, sous les <strong>de</strong>ux<br />

formes du rejet et <strong>de</strong> l’adoration,<br />

une conduite magique, culturelle ;<br />

une conduite politique, pratique,<br />

se pose seulement la question :<br />

Cela étant, que puis-je faire ? »<br />

Un véritable philosophe est d’abord<br />

un véritable écrivain qui se<br />

reconnaît une langue pour patrie.<br />

Dès alors, la démarche <strong>de</strong> Régis<br />

Debray prend tout son sens dans<br />

la mondialisation délétère qui<br />

nous menace. La langue, expose-til,<br />

est tout sauf l’instrument réduc-<br />

teur <strong>de</strong> communication qui<br />

dépouille aujourd’hui la pensée ;<br />

encore ne connaissait-il pas le système<br />

<strong>de</strong>s « S.M.S. »…<br />

« Nous naissons dans une langue,<br />

écrit-il ; ce mon<strong>de</strong> qui s’est fait sans<br />

nous sera irrévocablement nôtre.<br />

Notre langue maternelle nous a mis<br />

au mon<strong>de</strong> sans nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r notre<br />

avis, nous sommes son porte-parole.<br />

(…) Se faire ainsi le fils d’une langue,<br />

c’est s’enraciner au plus profond<br />

d’un sol, d’un paysage, d’une nation,<br />

d’une histoire déterminée. Qu’ils le<br />

sachent ou non, les grands écrivains<br />

traitent leur communauté comme<br />

une patrie, avec une piété filiale qui,<br />

s’ils en étaient conscients, les ferait<br />

peut-être rire. Parce que la langue<br />

n’est pas un instrument mais un<br />

organe du <strong>de</strong>stin, toute l’histoire <strong>de</strong><br />

France affleure dans n’importe<br />

quelle page <strong>de</strong> Hugo, Aragon ou<br />

Giono. (…) Un écrivain échappe à<br />

la pesanteur, à la rigidité <strong>de</strong> la langue<br />

en se pliant à toutes ses lois, en les<br />

utilisant, en les combinant, mais au<br />

moins en a-t-il la maîtrise parce<br />

qu’il en a acquis la connaissance. »<br />

Au fond d’une prison, on sait que<br />

la langue n’est pas une prison et<br />

que, n’en déplaise aux mânes <strong>de</strong><br />

Philippe <strong>de</strong> Saint Robert avec Hans Blix au 21 ème Prix littéraire <strong>de</strong>s <strong>Droits</strong> <strong>de</strong> l’Homme.<br />

Roland Barthes, le « fascisme » est<br />

ailleurs, en vérité là où l’on ne peut<br />

ni parler ni écrire. Il s’agit au<br />

contraire <strong>de</strong> « redonner à la langue<br />

son caractère <strong>de</strong> <strong>de</strong>stin, sa pesanteur,<br />

son épaisseur » : « Aller jusqu’au<br />

bout <strong>de</strong> l’idée <strong>de</strong> patrie pour<br />

déboucher sur l’universel », car<br />

« accé<strong>de</strong>r à l’universel par la suppression<br />

<strong>de</strong>s frontières, voilà l’illusion<br />

anti-dialectique, la pire <strong>de</strong>s platitu<strong>de</strong>s,<br />

l’hydre mo<strong>de</strong>rne à décapiter. Le<br />

langage mathématique est une langue<br />

sans frontières ni patries, aussi<br />

n’a-t-elle strictement rien à dire » -<br />

<strong>de</strong> même que toute langue qui voudrait<br />

tenir lieu <strong>de</strong> toutes les autres.<br />

De militant qu’il reste au fond du<br />

cœur, Régis Debray est <strong>de</strong>venu un<br />

veilleur ; mais il veille aux frontières,<br />

ces lieux non <strong>de</strong> clôture mais<br />

d’échanges. ■<br />

Arc en Ciel • 53

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