Argentine : Volver - Nouveaux Droits de l'Homme
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DOSSIER<br />
Comme Bau<strong>de</strong>laire, une mort civile<br />
Le scandale <strong>de</strong>s tutelles et <strong>de</strong>s curatelles<br />
Incapable majeur: «Toute personne majeure par son état civil, mais mineure <strong>de</strong><br />
fait, en raison d’une altération grave <strong>de</strong> ses facultés mentales ou corporelles la mettant<br />
dans l’impossibilité <strong>de</strong> veiller à ses intérêts et d’assumer sa vie quotidienne. »<br />
Loi n° 68-5 du 3 janvier 1968<br />
Ces définitions d’apparence anodine<br />
et bienveillante recèlent en ellemême<br />
la source d’un mal nouveau<br />
qui ronge notre société et ses<br />
exclus. Car en France, au royaume <strong>de</strong>s tutelles,<br />
il est aujourd’hui possible <strong>de</strong> perdre sa<br />
citoyenneté et ses droits les plus élémentaires,<br />
droits si chèrement acquis par le combat <strong>de</strong><br />
nos ancêtres.<br />
Ainsi, dans l’intimité <strong>de</strong>s bureaux <strong>de</strong>s juges<br />
<strong>de</strong>s tutelles, en l’absence d’avocat le plus souvent,<br />
<strong>de</strong>s hommes et <strong>de</strong>s femmes <strong>de</strong> tous âges<br />
et <strong>de</strong> tous milieux, dans <strong>de</strong>s pério<strong>de</strong>s <strong>de</strong> leur<br />
vie où leur vulnérabilité est particulièrement<br />
évi<strong>de</strong>nte, peuvent ne plus être <strong>de</strong>s citoyens<br />
comme les autres, et <strong>de</strong>venir ces “incapables<br />
majeurs” (l’expression leur plaira), véritables<br />
handicapés juridiques nécessitant une protection<br />
rapprochée jusque dans les plus petits<br />
détails <strong>de</strong> leur vie quotidienne.<br />
La France compte aujourd’hui près <strong>de</strong> 700 000<br />
personnes placées sous protection judiciaire,<br />
chiffre qui ne cesse d’augmenter et qui représente<br />
plus d’1% <strong>de</strong> la population française. A<br />
raison <strong>de</strong> 50 000 nouvelles mesures chaque<br />
année, la population <strong>de</strong> “protégés” atteindra le<br />
million en 2010, soit 1 habitant sur 65 !<br />
La tutelle est la mesure <strong>de</strong> protection la plus<br />
complète. La personne sous tutelle, est représentée<br />
par son tuteur pour tous les actes <strong>de</strong> vie<br />
civile. Elle ne peut voter et son tuteur ne peut<br />
le faire à sa place. Etre juré, faire un testament<br />
(sauf autorisation du juge), exercer une profession<br />
libérale, être titulaire d’un permis <strong>de</strong> chasse,<br />
se marier sans l’autorisation du Conseil <strong>de</strong><br />
Famille, divorcer par consentement mutuel,<br />
faire <strong>de</strong>s donations librement, ou encore<br />
conclure un PACS, sont autant <strong>de</strong> droits dont<br />
la personne sous tutelle ne peut jouir.<br />
La curatelle est prononcée lorsque la personne<br />
se trouve affaiblie suite à une maladie ou<br />
une infirmité due à l’âge, ou encore si la per-<br />
8 • Arc en Ciel<br />
sonne a pêché par “prodigalité, intempérance<br />
ou oisiveté” selon les vieux vestiges du XIXème<br />
siècle toujours inscrits dans la loi <strong>de</strong> 1968. Il<br />
peut être prononcé une curatelle simple ou,<br />
plus courante, une curatelle renforcée.<br />
Le sauvegar<strong>de</strong> <strong>de</strong> justice est la formule la plus<br />
allégée, et aussi la moins employée.<br />
Et, on l’aura compris, les incapables majeurs<br />
n’intéressent pas grand mon<strong>de</strong> et encore<br />
moins nos politiques, qui ne cessent d’enterrer<br />
le dossier et pour qui il y a certainement plus<br />
urgent que <strong>de</strong> réformer ce système archaïque,<br />
car enfin les incapables majeurs ne votent pas.<br />
Ce n’est pas peu dire s’ils sont abandonnés à<br />
leur triste sort, que même le scandale <strong>de</strong> la<br />
canicule n’a pas permis <strong>de</strong> dénoncer.<br />
De la vieille dame dépouillée <strong>de</strong> ses économies<br />
par ses enfants jusqu’à celle qui voit sa propriété<br />
vendue sans percevoir le produit <strong>de</strong> la<br />
transaction, en passant par les mala<strong>de</strong>s mentaux<br />
totalement livrés à eux-mêmes et les personnes<br />
âgées délaissées jusqu’à la mort, la large<br />
palette <strong>de</strong>s abus tutélaires en surprendra plus<br />
d’un, tant dans la gravité que l’ampleur.<br />
Ainsi, dans <strong>de</strong>s registres assez divers, se succè<strong>de</strong>nt<br />
scandales et témoignages parfois dramatiques<br />
<strong>de</strong> vies brisées, brutalement frappées d’incapacité<br />
par une décision presque totalement<br />
arbitraire. Car s’il en est certains que la mise<br />
sous tutelle a sauvé <strong>de</strong> l’alcoolisme, du suren<strong>de</strong>ttement<br />
et <strong>de</strong> la dépression après un mauvais<br />
divorce ou un acci<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la vie, il n’en <strong>de</strong>meure<br />
pas moins que ce sauvetage brutal est moins<br />
dû à la mise sous tutelle qu’au heureux hasard<br />
qui a placé un tuteur bienveillant et sérieux sur<br />
la route <strong>de</strong> son “protégé”. Et nombreux sont les<br />
récits faisant douloureusement écho à la révolte<br />
<strong>de</strong> Bau<strong>de</strong>laire, qui lui aussi avait été condamné<br />
à cette mort civique -et civile- par sa mère et son<br />
beau-père, l’austère général Aupick, mécontents<br />
<strong>de</strong> le voir dilapi<strong>de</strong>r le patrimoine familial et soucieux<br />
<strong>de</strong>s “qu’en dira-t-on”.<br />
Beaucoup subissent le même sort que l’auteur <strong>de</strong>s<br />
Fleurs du Mal ou le père <strong>de</strong> Foucauld, se voyant<br />
réduits à quéman<strong>de</strong>r l’argent <strong>de</strong> poche <strong>de</strong> la<br />
semaine à leur tuteur, argent qui est pourtant le<br />
leur. Ainsi cette femme, mise sous tutelle par son<br />
fils unique qui n’a pas hésité à saccager son appartement<br />
afin <strong>de</strong> la faire passer pour folle aux yeux<br />
du juge et <strong>de</strong> l’expert médical, à l’affût du moindre<br />
signe <strong>de</strong> “prodigalité”, évaluant l’état <strong>de</strong> sa<br />
santé mentale sur un contrôle type histoire-géo<br />
<strong>de</strong> niveau CM2 !<br />
Une <strong>de</strong>man<strong>de</strong> d’ouverture <strong>de</strong> tutelle peut se faire<br />
à la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> la personne elle-même, d’un<br />
membre <strong>de</strong> la famille proche, du procureur <strong>de</strong> la<br />
par Magali Jandaud<br />
République ou <strong>de</strong> toute personne considérant<br />
qu’il est nécessaire <strong>de</strong> prendre cette mesure pour<br />
protéger la personne, autant dire le premier<br />
venu. Elle peut faire l’objet d’une enquête sociale<br />
ou d’une réunion <strong>de</strong> famille à la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> du<br />
juge. C’est le Juge <strong>de</strong>s tutelles qui prononce la<br />
mise sous tutelle après avis <strong>de</strong> la famille (ou <strong>de</strong> ce<br />
qu’il en reste), du mé<strong>de</strong>cin, mais que trop rarement<br />
<strong>de</strong> la personne concernée.<br />
C’est donc le tuteur, appelé également “gérant<br />
<strong>de</strong> tutelle”, qui, seul avec le juge, assure l’entière<br />
gestion du patrimoine et <strong>de</strong>s revenus <strong>de</strong><br />
la personne protégée.<br />
Le cœur du problème<br />
Nous entrons ici dans le cœur du problème. En<br />
effet, aucune condition <strong>de</strong> diplôme n’est requise<br />
pour exercer cette fonction <strong>de</strong> tuteur qui<br />
englobe en elle-même <strong>de</strong>s rôles aussi variés et<br />
pointus que ceux <strong>de</strong> banquier, notaire et assistant<br />
social. Les gérants <strong>de</strong> tutelle doivent uniquement<br />
justifier d’un casier judiciaire vierge<br />
pour figurer sur la liste <strong>de</strong> postulants agréés par<br />
le procureur <strong>de</strong> la République. Le grave manque<br />
<strong>de</strong> professionnalisation <strong>de</strong>s tuteurs laisse donc<br />
autant <strong>de</strong> portes ouvertes aux âmes charitables<br />
soucieuses <strong>de</strong> bien faire mais incompétentes,<br />
qu’aux escrocs notaires qui n’hésitent pas à<br />
piquer dans le porte-monnaie ou liqui<strong>de</strong>r le<br />
patrimoine pour s’offrir une assurance vie, <strong>de</strong>s<br />
voyages au bout du mon<strong>de</strong> avec voiture <strong>de</strong> luxe,<br />
et pourquoi pas monter une multinationale ! Il<br />
n’est guère étonnant <strong>de</strong> voir l’appât du gain tenter<br />
autant d’apprentis aigrefins pris par la folie<br />
<strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>urs, car les contrôles -sans parler <strong>de</strong>s<br />
poursuites- quasi inexistants leur assurent une<br />
impunité totale.<br />
Ce ne sont pas les juges <strong>de</strong>s tutelles qui, débordés,<br />
se déchargeant déjà sur leurs greffiers<br />
dépassés <strong>de</strong>s quelques 2500 dossiers à leur<br />
charge, vont aller contrôler la gestion du patrimoine<br />
ou s’assurer <strong>de</strong> la sécurité <strong>de</strong>s personnes<br />
vulnérables, à la merci <strong>de</strong>s tuteurs peu scrupuleux.<br />
Ni même l’Etat qui pourtant <strong>de</strong>vrait se<br />
préoccuper <strong>de</strong>s <strong>de</strong>niers publics rémunérant <strong>de</strong>s<br />
associations (70% <strong>de</strong>s tutelles) pour exercer ces<br />
tutelles et curatelles, le plaçant ainsi doublement<br />
en première ligne d’abus commis par les<br />
associations qu’il a mandatées (le financement<br />
public a explosé au cours <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rnières années:<br />
+ 300% en dix ans). S’ensuit une chaîne d’irresponsabilité<br />
à tous les étages, tant du côté <strong>de</strong>s<br />
parquets que <strong>de</strong>s juges et <strong>de</strong>s greffiers, à qui le<br />
contrôle et le suivi <strong>de</strong>s associations, <strong>de</strong>s hôpitaux<br />
et <strong>de</strong> la DDASS échappent totalement.<br />
Certaines associations comme l’AFCAT<br />
(Association française contre les abus tutélaires)<br />
dénoncent les mises sous tutelle abusives,<br />
et se constituent partie civile chaque fois qu’une<br />
personne saine d’esprit se retrouve placée<br />
sous protection judiciaire <strong>de</strong> force. Frank<br />
(Suite page 10)