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LA LUTTE CONTRE LA CRIMINALITE ORGANISEE EN DROIT ...

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<strong>LA</strong> <strong>LUTTE</strong> <strong>CONTRE</strong> <strong>LA</strong> <strong>CRIMINALITE</strong><br />

<strong>ORGANISEE</strong> <strong>EN</strong> <strong>DROIT</strong> ITALI<strong>EN</strong><br />

par<br />

Gaetana MORGANTE (1)<br />

Scuola superiore di studi universitari<br />

e di perfezionamento S. Anna (Pise)<br />

L’Italie est un pays caractérisé par la présence d’organisations de<br />

type mafieux solidement ancrées dans le territoire. A partir des<br />

années 1980, la lutte contre ces organisations est devenue une véritable<br />

priorité de la politique criminelle.<br />

Le secret entourant ces organisations et la loi du silence qui lie<br />

généralement leurs membres contraignent les autorités actives dans<br />

le domaine de la lutte contre la criminalité organisée à s’appuyer<br />

sur des instruments adéquats pour la recherche des infractions (notitiae<br />

criminis), dans la mesure où le recours à la méthode dite<br />

mafieuse vise, avant tout, à faire obstacle à la visibilité même du<br />

crime. Dans le système juridique italien, il existe trois grands instruments<br />

visant la recherche d’informations susceptibles d’être converties<br />

en notitiae criminis : les entretiens aux fins d’investigations,<br />

l’enquête patrimoniale préventive (§1), ainsi que les écoutes préventives<br />

de conversations ou de communications; le recours aux agents<br />

infiltrés peut aussi, dans certains domaines spécifiques, contribuer à<br />

la découverte et à l’élucidation des infractions (§2). Quant à<br />

l’enquête patrimoniale préventive, elle a aussi visé, pour un temps,<br />

à constater une infractions particulière, celle de la «possession injustifiée<br />

de biens». Si le droit matériel sort du cadre de notre étude, la<br />

décision de la Cour constitutionnelle qui a annulé cette disposition<br />

mérite néanmoins d’être présentée, puisqu’elle fixe la limite insurmontable<br />

de la lutte contre la criminalité organisée : le respect des<br />

droits fondamentaux (§1.3).<br />

(1) L’article a été traduit par Michele Rignanese.


184 gaetana morgante<br />

En Europe, l’Italie est aussi l’un des pays précurseurs dans le<br />

recours aux collaborateurs de justice en tant qu’instrument des<br />

enquêtes, tout comme dans la mise en place de programmes structurés<br />

de protection (§3). Par contre, ce n’est que de manière limitée<br />

que des éléments d’anonymat ont été introduits à l’égard du témoignage,<br />

aux fins de la protection des témoins (§4). L’Italie a à nouveau<br />

devancé les autres pays par sa réglementation du recours aux<br />

vidéoconférences (§5). Enfin, au nombre des mesures de prévention<br />

– à savoir des mesures coercitives qui s’appliquent ante delictum aux<br />

personnes considérées comme socialement dangereuses – ce pays<br />

compte, depuis 1982, des mesures de confiscation élargie, fondée sur<br />

le renversement de la charge de la preuve (§6).<br />

1. – Les recherches préventives<br />

A côté de la voie ordinaire de la dénonciation, le système pénal<br />

italien dispose d’autres institutions juridiques spécifiquement orientées<br />

vers la recherche des infractions (notizie di reato) dans le<br />

domaine de la criminalité organisée.<br />

1.1. – Les entretiens aux fins d’investigations<br />

L’article18bis de la loi n° 354/1975 (2) permet que les membres de<br />

la Direction des investigations antimafia (DIA), ainsi que les officiers<br />

de police en ayant reçu l’autorisation expresse, peuvent faire<br />

valoir le droit d’effectuer des visites dans les établissements pénitentiaires<br />

et s’entretenir personnellement avec des détenus et des<br />

personnes internées dans le but d’obtenir des informations utiles à<br />

la prévention et à la lutte contre la criminalité organisée. Ce droit<br />

est également accordé au procureur national antimafia dans le<br />

cadre de son rôle d’impulsion et de coordination prévus par le Code<br />

de procédure pénale.<br />

(2) Loi n° 354 du 26 juillet 1975 (Norme sull’ordinamento penitenziario e sull’esecuzione delle<br />

misure privative e limitative della libertà), G.U. 9 août 1975, n° 212.


lutte contre la criminalité en italie 185<br />

1.2. – L’enquête patrimoniale préventive<br />

En vertu de l’article 2bis loi n° 575/1965 (3), le procureur de la<br />

République ou le chef de la police territorialement compétent peut<br />

faire procéder à une enquête (4) sur le niveau de vie, les disponibilités<br />

financières et le patrimoine de toute personne étant ne fût-ce<br />

que soupçonnée d’appartenir à des organisations de type mafieux<br />

(indépendamment de leur dénomination) ou de poursuivre des fins<br />

ou d’agir selon des méthodes correspondant à celles des organisations<br />

de type mafieux. Toute personne à l’encontre de laquelle il est<br />

possible d’envisager l’application de la mesure de prévention de la<br />

surveillance spéciale de police peut faire l’objet d’une telle enquête.<br />

Celle-ci peut comprendre la vérification de la nature et de l’importance<br />

des activités économiques imputables aux dites personnes,<br />

afin d’identifier d’autres sources de revenu (5). L’enquête peut<br />

s’étendre aux conjoints et enfants ou à toute personne ayant cohabité<br />

avec les suspects au cours des cinq dernières années, de même<br />

que toute personne susceptible de disposer directement ou indirectement<br />

de biens visés par l’enquête.<br />

Cette disposition vise à établir les conditions d’autorisation pour<br />

la saisie ou la confiscation de biens appartenant aux personnes<br />

soupçonnées d’être liées à des organisations de type mafieux (voir<br />

infra au §6).<br />

1.3. – La possession injustifiée de biens<br />

Auparavant, l’enquête patrimoniale de prévention était rattachée<br />

à l’alinéa 2 de l’article 12quinquies de la loi n° 356/1992. Cette disposition<br />

prévoyait une peine de réclusion pour toute personne qui<br />

− étant sous enquête pour des infractions liées à la criminalité organisée<br />

ou à l’encontre de laquelle une mesure préventive était en<br />

vigueur ou en cours d’application − s’avérait être titulaire ou détentrice<br />

de valeurs, biens ou autres utilités dont le montant était dis-<br />

(3) Loi n° 575 du 31 mai 1965 (Disposizioni contro la mafia), G.U. 5 juin 1965, n° 138.<br />

(4) Le cas échéant par le biais de la guardia di finanza ou de la police judiciaire.<br />

(5) Il s’agit d’une notion résiduelle concernant toutes les activités qui, bien que n’étant pas<br />

dans la disponibilité de l’individu sous enquête, contribuent à son entretien. Par ailleurs, la police<br />

vérifie si ces personnes sont titulaires de licences, autorisations, concessions ou habilitations relatives<br />

à l’exercice d’une entreprise ou activité commerciale en ce compris les inscriptions aux<br />

tableaux professionnels et aux registres publics, et si elles bénéficient d’allocations versées par<br />

l’Etat, par des instances publiques ou éventuellement par des institutions internationales.


186 gaetana morgante<br />

proportionné par rapport à ses revenus ou ses activités économiques<br />

et dont elle n’était pas en mesure de justifier la légitime provenance.<br />

Cependant la Cour constitutionnelle, dans son arrêt n° 48 du<br />

17 février 1994, a considéré cette disposition comme illégitime.<br />

L’analyse des raisons ayant entraîné son annulation revêt un intérêt<br />

particulier dans l’étude qui nous occupe.<br />

Après avoir mis en balance, d’une part, les exigences en matière<br />

de prévention et de lutte contre la criminalité organisée et, de<br />

l’autre, le respect des droits fondamentaux du prévenu, la Cour a<br />

formellement reconnu la préséance de ces derniers au moyen d’arguments<br />

dont la portée pourrait s’étendre à l’ensemble des normes<br />

(substantielles et procédurales) en la matière.<br />

En effet, la question de la légitimité constitutionnelle a été soulevée<br />

à l’égard du passage où l’article 12quinquies prenait en compte<br />

la qualité de «personne soumise à une procédure pénale» pour déterminer<br />

l’hypothèse incriminatrice. Les juridictions du fond s’étaient<br />

appuyées sur la jurisprudence constitutionnelle relative aux infractions<br />

dites «de suspicion» pour développer leurs propres critiques.<br />

Elles ont fait observer que la qualité de personne soumise à une<br />

procédure pénale était une qualité purement procédurale, non adéquate<br />

pour entraîner une «obligation de justification» particulière.<br />

Tout d’abord, le déclenchement de la procédure réalise en soi un élément<br />

constitutif de l’infraction et permet aux enquêteurs d’imposer<br />

une obligation portant sur un autre objet, en dehors de tout contrôle<br />

juridictionnel quant à son éventuel bien-fondé. Il se peut, en<br />

outre, que l’intéressé n’ait pas du tout été informé de cette obligation<br />

et qu’elle soit postérieure au début de la possession ou de l’utilisation<br />

des biens par la personne en question. Par ailleurs, vu que<br />

le statut de personne soumise à une procédure pénale a une connotation<br />

typiquement transitoire, on conçoit difficilement comment il<br />

pourrait être possible de prendre en compte, légitimement et en<br />

toute logique, une telle qualité pour définir une infraction particulière<br />

pouvant donner lieu à une condamnation définitive.<br />

De plus, si le bien-fondé de l’accusation relative à l’«infraction de<br />

base» est envisagé comme un élément neutre à l’égard de la réalisation<br />

de l’infraction «secondaire» prévue par l’article 12quinquies,<br />

cela entraîne une limitation des droits de la défense.<br />

D’autres arguments ont permis à la Cour constitutionnelle de<br />

déclarer l’illégitimité constitutionnelle de cette norme au motif


lutte contre la criminalité en italie 187<br />

d’atteinte aux articles 3 (principe d’égalité), 24 al. 2 (droit à la<br />

défense) et 27 al. 2 (présomption d’innocence) de la Constitution. En<br />

portant atteinte au droit au silence, elle affaiblissait les droits de la<br />

défense et instaurait une discrimination de traitement entre prévenus.<br />

Elle s’opposait, en outre, au principe de la décision raisonnable<br />

(principio di ragionevolezza) car elle ignorait totalement l’élément<br />

d’instabilité de la procédure en cours en tant qu’élément constitutif<br />

de l’infraction. Par ailleurs, la soumission à une procédure pénale<br />

(comprenant, de manière extensive, l’application de mesures de prévention<br />

en matière de criminalité organisée) représentant une condition<br />

suffisante, en cas de défaut de justification de la légitime provenance<br />

des biens, la condamnation était le fruit non pas de<br />

l’initiative du ministère public dans la recherche de preuves, mais<br />

d’un comportement garanti par la Constitution à tous les prévenus<br />

grâce à la protection des droits de la défense et de la présomption<br />

d’innocence. D’où, également, la violation de l’article 27 Const. car<br />

la qualité de personne soumise à une procédure pénale, loin de posséder<br />

un caractère définitif, ne devrait avoir aucune «pertinence<br />

juridique», justement en vertu du dernier principe invoqué.<br />

1.3.1. – Politique criminelle versus principes constitutionnels<br />

Or, la Cour constitutionnelle s’est aussi penchée sur les raisons<br />

bien connues de politique criminelle ayant poussé le gouvernement<br />

à promulguer le décret-loi dont la transposition avait introduit<br />

l’incrimination mise en cause (6). Elle a souligné qu’il apparaissait<br />

clairement, à la lumière de l’exposé des motifs du projet de loi de<br />

transposition, combien cette incrimination, introduite en tant<br />

qu’amendement du gouvernement au cours des travaux parlementaires<br />

(7), s’inscrivait dans le contexte d’une manœuvre législative<br />

complexe visant à adopter des mesures permettant de faire face, sur<br />

le terrain de la prévention et de la répression, au très grave phénomène<br />

du crime organisé, lequel constitue une «agression ayant<br />

désormais atteint des dimensions intolérables (8)». Le devoir indiscutable<br />

de répondre aux exigences en matière de protection de la<br />

collectivité, dont découle la loi et, en particulier, la disposition con-<br />

(6) Décret-loi n° 306/1992, transposé dans la loi n° 356/1992.<br />

(7) Relatifs à la transposition du décret en question.<br />

(8) XI Legislatura, Atti Senato n° 328, pag. 11.


188 gaetana morgante<br />

testée, avait donc servi à la fois d’objectif et de justification en<br />

réponse aux doutes apparus quant à la compatibilité effective de la<br />

norme avec des principes constitutionnels, tout aussi incontournables.<br />

En séance de la commission des affaires constitutionnelles du<br />

Sénat, le sous-secrétaire d’Etat aux Affaires intérieures avait déjà<br />

fait remarquer combien le gouvernement accordait une «grande<br />

importance à la disposition visée à l’article12quinquies, lequel, bien<br />

que suscitant des doutes de constitutionnalité, représente un moyen<br />

efficace et vigoureux, apparaissant aussi dans d’autres systèmes<br />

juridiques et soutenu tant par les forces de l’ordre que par la Guardia<br />

di Finanza (9)». Des interventions en assemblée du Sénat<br />

avaient témoigné, de façon plus explicite encore, d’une<br />

«reconnaissance particulière pour les efforts accomplis par le gouvernement,<br />

même au prix de se voir désapprouvé pour avoir introduit<br />

une disposition inconstitutionnelle, afin de trouver un instrument<br />

de droit matériel permettant d’agir sur le patrimoine<br />

accumulé par le monde du crime organisé». D’autres, comme le<br />

ministre de l’Intérieur, avaient dû admettre que la norme examinée<br />

amenait à «renverser l’un des principes généraux en matière de<br />

preuve, dans la mesure où le sujet était dorénavant tenu de faire<br />

lui-même la preuve de la légalité de la provenance et de la nature<br />

de son patrimoine afin de ne pas encourir des sanctions pénales».<br />

Aussi, le ministre de la Justice avait manifesté le fait qu’il était<br />

conscient d’agir «sur un terrain difficile et délicat en raison de<br />

l’octroi aux autorités publiques du pouvoir de grever les droits et<br />

les biens de la personne, avant même que la Justice ne disposât de<br />

constats probants (10)».<br />

Enfin, le législateur a confirmé lui-même la prise de conscience de<br />

s’être mis en difficulté en se plaçant sur le terrain périlleux de la<br />

mise en danger des droits fondamentaux, comme en témoigne le<br />

processus de transposition du dernier des décrets-lois de modification<br />

de la disposition mise en cause. Ainsi, lors de la transposition<br />

du décret-loi (d.-l.) n° 369 du 17 septembre 1993, la nouvelle hypothèse<br />

de «possession injustifiée de biens», prévue par ce décret, a été<br />

finalement exclue de la loi de transposition, sur la base de critiques<br />

(9) Séance du 21 juillet 1992.<br />

(10) Assemblée du Sénat, séance de l’après-midi du 23 juillet 1992, compte rendu sténographique,<br />

pp. 47, 51, 55.


lutte contre la criminalité en italie 189<br />

fondées sur les mêmes éléments d’inconstitutionnalité, alors déjà<br />

connus, relatifs à l’article12quinquies d.-l. n° 306/1992.<br />

1.3.2. – Droit pénal matériel versus mesures de prévention<br />

Des interférences manifestes sont donc apparues entre, d’une<br />

part, l’incrimination prévue par l’article 12quinquies d.-l. n° 306/<br />

1992, visant à empêcher l’accumulation de biens d’origine douteuse<br />

au moyen de leur saisie et confiscation, et d’autre part, l’institution<br />

de mesures de prévention à caractère patrimonial. Sur la base de ces<br />

interférences, la Cour constitutionnelle a mis en évidence un<br />

domaine à l’intérieur duquel les conditions d’application de la sanction<br />

pénale finissent par se confondre, de manière ambiguë, avec<br />

celles qui autorisent l’application de mesures à caractère préventif.<br />

En effet (11), les mesures de prévention et la saisie des biens<br />

s’appliquent à certaines catégories de «suspects», non seulement<br />

lorsqu’il y a lieu de croire que ces biens sont le fruit d’activités illicites<br />

ou participent de leur réutilisation, mais aussi «lorsqu’il est<br />

établi que leur valeur est disproportionnée au revenu déclaré ou à<br />

l’activité économique exercée», et une mesure de confiscation sera<br />

appliquée pour les biens saisis «dont la provenance légitime n’a pu<br />

être justifiée». On comprend ainsi comment un tel mécanisme pouvait<br />

donner lieu indifféremment à l’application d’une mesure de prévention<br />

ou d’une sanction pénale. En outre, la typologie des sujets<br />

potentiels devenait elle-même quasi identique, étant donné que les<br />

mesures préventives à caractère patrimonial s’appliquent non seulement<br />

aux personnes soupçonnées d’appartenir à des organisations<br />

de type mafieux ou dédiées au trafic de stupéfiants, mais également<br />

(12) aux personnes soupçonnées de tirer habituellement leur<br />

subsistance des profits d’activités délictueuses, pour autant que ces<br />

dernières «figurent parmi celles prévues aux articles 629, 630, 648bis<br />

ou 648ter du Code pénal ou relèvent de la contrebande». L’analogie<br />

possible entre l’infraction de base présumée permettant de retenir<br />

l’infraction prévue à l’article 12quinquies, al. 2 d.-l. n° 306/1992, et<br />

(11) Suite aux modifications introduites au second alinéa de l’art.2ter de la loi n° 575/1965 par<br />

l’art. 3 de la loi n° 256 du 24 juillet 1993 (Modifica dell’istituto del soggiorno obbligato e dell’articolo<br />

2-ter della legge 31 maggio 1965, n° 575), G.U. 29 juillet 1993, n° 176.<br />

(12) En vertu de l’art. 14 de la loi n° 55 du 19 mars 1990 (Nuove disposizioni per la prevenzione<br />

della delinquenza di tipo mafioso e di altre gravi forme di manifestazione di pericolosità<br />

sociale), G.U. 23 mars 1990, n° 69.


190 gaetana morgante<br />

les catégories de suspects pour lesquels est consentie l’application de<br />

mesures préventives, refermait ce cercle normatif confus qui avait<br />

prétendu rapprocher des pans complètement hétérogènes de l’ordre<br />

juridique : celui du droit pénal matériel et celui des mesures de prévention.<br />

On peut à présent apprécier dans quelle mesure la norme mise en<br />

cause est entachée d’un vice de constitutionnalité. Alors que n’est<br />

pas considérée comme anticonstitutionnelle une norme qui, au seul<br />

motif de mettre en œuvre des mesures de prévention, déduit de la<br />

qualité de suspect eu égard à certaines infractions que la disproportion<br />

entre biens possédés et revenu déclaré doit être le fait d’activités<br />

illicites, il en va autrement lorsque cette même situation contribue<br />

à réaliser une infraction, en raison de l’obstacle<br />

insurmontable précisément du point de vue de la présomption<br />

d’innocence. En effet, ce précepte implique que le statut de personne<br />

soumise à une procédure pénale soit totalement neutre du<br />

point de vue du droit pénal matériel, et ne puisse servir comme base<br />

permettant d’utiliser des «suspicions» ou «présomptions» pour qualifier<br />

un comportement d’infraction.<br />

Par ailleurs, en faisant reposer l’incrimination sur la qualité de<br />

suspect ou d’inculpé, la personne mise en cause était, par ce seul<br />

fait, passible d’une peine pour des actes qui auraient été considérés<br />

totalement neutres aux yeux de la loi s’ils avaient été le fait d’un<br />

individu non soumis à une procédure pénale, ni à des mesures de<br />

prévention. De plus, une simple notitia criminis, même si infondée<br />

et destinée à être classée sans suite, aurait suffi à faire naître la qualité<br />

rendant punissable le fait de disposer de biens disproportionnés<br />

par rapport à son propre revenu, ce qui aggraverait encore les conséquences<br />

discriminatoires que cela comporte.<br />

Enfin, une violation flagrante des droits de la défense découlait<br />

du renversement de la charge de la preuve, l’inculpé devant prouver<br />

la provenance légitime des biens dont il dispose.<br />

Pour tous ces motifs, la Cour a déclaré l’illégitimité constitutionnelle<br />

de l’article 12quinquies al. 2 du décret-loi n° 306/1992, en raison<br />

de la violation de l’article 27 al. 2 de la Constitution. Une telle prise<br />

de position – et c’est l’aspect qui intéresse tout particulièrement<br />

notre étude – contribue à définir la limite du principe inaliénable<br />

au-delà duquel l’exigence de lutte contre la criminalité organisée ne


lutte contre la criminalité en italie 191<br />

peut aller, c’est-à-dire le respect des garanties fondamentales établies<br />

par la Constitution.<br />

2. – Autres méthodes<br />

de recherche des infractions<br />

Une réglementation unique relative aux «méthodes particulières<br />

de recherche des infractions» n’existe pas en Italie. On est confronté<br />

à un labyrinthe de lois particulières, lesquelles − même si référence<br />

y est faite à différentes dispositions du Code pénal et du Code de<br />

procédure pénale − réglementent de manière autonome les dispositifs<br />

que nous allons examiner.<br />

2.1. – Recours à des agents provocateurs<br />

ou agents infiltrés<br />

Par «agent provocateur», on entend tout agent des forces de<br />

l’ordre qui participe à la perpétration d’une infraction en vue de<br />

faire commettre des actes délictueux à autrui et de dénoncer la personne<br />

provoquée, la faire découvrir ou la prendre en flagrant délit<br />

par les autorités. A l’heure actuelle, on considère que la catégorie<br />

des agents infiltrés, c’est-à-dire les agents qui s’intègrent à des organisations<br />

criminelles afin d’en découvrir la structure et d’en dénoncer<br />

les membres, relève également de cette catégorie (13).<br />

Il n’existe aucune réglementation générale relative aux agents<br />

provocateurs ou agents infiltrés. Le recours à cet instrument particulier<br />

de recherche des infractions est autorisé uniquement dans les<br />

cas suivants.<br />

A) Article 97 du D. P. R. n° 309/1990 (loi sur les stupéfiants) (14).<br />

Il s’agit plus particulièrement de la disposition relative à l’achat<br />

simulé de drogue laquelle établit que, sauf pour les cas prévus à<br />

l’article 51 du Code pénal (15), les officiers de police judiciaire des<br />

(13) Pour ce qui est de la position de la jurisprudence, celle-ci a longtemps interdit le recours<br />

à la provocation. On peut difficilement parler, à l’heure actuelle, d’une interdiction directe de<br />

provoquer l’infraction. Il est, au contraire, généralement admis que c’est un moyen permettant<br />

à l’infiltrant de consolider ou rendre crédible sa position au sein des organisations criminelles.<br />

(14) Décret du Président de la République n° 309 du 9 octobre 1990 (Testo unico delle leggi<br />

in materia di disciplina degli stupefacenti e sostanze psicotrope, prevenzione, cura e riabilitazione<br />

dei relativi stati di tossicodipendenza), G.U. 31 octobre 1990, n° 255.<br />

(15) Cette disposition établit les causes de justification générales de l’exercice d’un droit ou<br />

de l’accomplissement d’un devoir.


192 gaetana morgante<br />

unités spécialisées dans la lutte contre le trafic de drogues ne sont<br />

pas punissables lorsque, aux seules fins de disposer d’éléments de<br />

preuve relatifs aux infractions prévues par la loi sur les stupéfiants,<br />

ces derniers achètent des stupéfiants ou des psychotropes (16). Une<br />

fois cet achat réalisé, l’autorité judiciaire en reçoit notification et<br />

peut, selon les besoins de l’enquête, décider de différer la saisie des<br />

substances jusqu’à la fin de l’enquête.<br />

B) De manière analogue, l’article 12quater de la loi n° 356/<br />

1992 (17) prévoit que, sauf pour les cas prévus à l’article 51 C. pén.,<br />

les officiers de police judiciaire de la Direction des investigations<br />

antimafia (Direzione investigativa antimafia – DIA) ou des Services<br />

de police centraux et inter-provinciaux ne sont pas punissables lorsque,<br />

aux seules fins d’obtenir des éléments de preuve relatifs aux<br />

infractions de blanchiment et recyclage d’argent d’origine criminelle,<br />

ces derniers procèdent à l’échange d’argent, de biens ou<br />

d’autres utilités d’origine criminelle ou encore agissent de manière<br />

soit à empêcher l’identification de la provenance de ceux-ci, soit à<br />

rendre possible leur utilisation. L’activité desdits officiers n’est pas<br />

non plus jugée répréhensible lorsque, aux seules fins d’obtenir des<br />

éléments de preuve relatifs aux infractions de possession d’armes,<br />

de munitions et d’explosifs, ces derniers achètent, reçoivent ou dissimulent<br />

lesdites armes, munitions et explosifs. L’autorité judiciaire<br />

reçoit immédiatement notification de ce genre d’opérations et peut,<br />

si les officiers de police en charge le lui demandent, différer la saisie<br />

de cet argent, ces biens ou ces autres utilités, ou encore de ces<br />

armes, ces munitions et ces explosifs jusqu’à la fin de l’enquête tout<br />

en prévoyant, si nécessaire, des dispositions spéciales pour leur conservation.<br />

C) Article 4 du d.-l. n° 374/2001 (18). Conformément aux autres<br />

cas, il est prévu que, sauf pour les cas prévus à l’article 51 C. pén.,<br />

les officiers de police judiciaire ne sont pas punissables lorsque, aux<br />

seules fins d’obtenir des éléments de preuve relatifs aux infractions<br />

(16) Dans le seul cadre, cependant des opérations décidées par le Service spécial anti-drogue<br />

ou en concertation avec ce dernier.<br />

(17) Loi n° 356 du 7 août 1992 (Conversione in legge con modificazioni del decreto legge 8 giugno<br />

1992, n° 306 modifiche urgenti al codice di procedura penale e provvedimenti di contrasto<br />

alla criminalità mafiosa), G.U. 7 août 1992, n° 185.<br />

(18) Décret-loi n° 374 du 18 octobre 2001 (Disposizioni urgenti per contrastare il terrorismo<br />

internazionale) pubblicato in G.U. 19 ottobre 2001, n° 2 e convertito con modificazioni in legge<br />

15 dicembre 2001, n° 438), G.U. 18 décembre 2001, n° 293.


lutte contre la criminalité en italie 193<br />

à but terroriste, même par personne interposée, ces derniers achètent,<br />

reçoivent, échangent de l’argent, des armes, des stupéfiants,<br />

des biens ou des choses qui représentent l’objet, le produit, le profit<br />

ou le moyen permettant de commettre une infraction ou encore<br />

agissent de manière soit à empêcher l’identification de la provenance<br />

de ceux-ci, soit à rendre possible leur utilisation. A cette<br />

même fin, les officiers de police judiciaire sont autorisés à utiliser<br />

des documents, des identités et des éléments de couverture afin de<br />

mettre en place des contacts avec des sujets ou sites au sein des<br />

réseaux de communication.<br />

D) Enfin, l’article 10 de la loi n° 228/2003 (19) prévoit qu’il y a<br />

lieu d’appliquer les dispositions des articles 4, al. 1 er , 2, 5, 6 et 7 du<br />

d.-l. n° 374/2001 également pour ce qui est des procédures pour des<br />

infractions graves contre les personnes (20), ainsi que les infractions<br />

de proxénétisme visées à l’article 3 de la loi n° 75/1958 (21). L’application<br />

de ces mesures s’étend à toutes les activités d’infiltration prévues<br />

au point c).<br />

Et ce, sans préjudice toutefois de ce qui est déjà prévu en matière<br />

d’activités de lutte contre le proxénétisme, la pornographie, le tourisme<br />

sexuel aux dépens de mineurs, notamment les nouvelles formes<br />

d’esclavage visées à l’article 14 de la loi n° 269/1998 (22). Il est<br />

ainsi permis aux officiers de police judiciaire, afin de lutter contre<br />

les activités susmentionnées, de simuler l’achat de matériel pornographique<br />

et d’exercer une activité d’intermédiaire, y compris par<br />

voie télématique, ainsi que de prendre part à des activités touristiques<br />

ayant trait à des mineurs.<br />

Le bref rappel de ces dispositions permet de comprendre aisément<br />

combien le statut juridique de l’agent provocateur ou infiltré est<br />

problématique, dans la mesure où ce dernier est susceptible de contrevenir<br />

aux principes généraux du système juridique et du droit<br />

pénal italiens. Il semble plus particulièrement se heurter aux<br />

principes :<br />

(19) Loi n° 228/2003 (Misure contro la tratta di persone), G.U. 23 août 2003, n° 195.<br />

(20) Prévus par le livre II, titre XII, chapitre III, section I du Code pénal.<br />

(21) Loi n° 75 du 20 février 1958 (Abolizione della regolamentazione della prostituzione e lotta<br />

contro lo sfruttamento della prostituzione altrui), G.U. 4 mars 1958, n° 55.<br />

(22) Loi n° 269 du 3 août 1998 (Norme contro lo sfruttamento della prostituzione, della pornografia,<br />

del turismo sessuale in danno dei minori, quali nuove forme di schiavitù), G.U. 10 août<br />

1998, n° 185.


194 gaetana morgante<br />

1) de culpabilité aux termes de l’article 27 de la Constitution,<br />

puisque la volonté de la personne provoquée n’est pas libre;<br />

2) de légalité de l’action administrative aux termes de l’article 97<br />

Const., puisque les activités policières sont autorisées et gérées<br />

directement par le titulaire de l’enquête;<br />

3) de sujétion des juges à la loi aux termes de l’article 101 Const.,<br />

puisque les agents infiltrés peuvent être amenés à participer à la<br />

commission de l’infraction dans le cadre de leur activité.<br />

Cela étant, le caractère fragmentaire et épisodique de la réglementation<br />

en la matière, outre le fait de créer les conditions pour des<br />

différences de traitement considérables, contribue à soulever bon<br />

nombre de problèmes tant sur le plan interprétatif que du point de<br />

vue de la mise en œuvre.<br />

Sur le plan interprétatif, il suffit de mentionner le problème de la<br />

définition de la nature juridique du statut d’infiltré, duquel découle<br />

celui du fondement juridique de la «non punissabilité» des activités<br />

illicites mises en œuvre par l’agent infiltré. A ce propos, on<br />

s’accorde généralement (23) pour dire qu’il s’agirait bel et bien<br />

d’une cause de justification caractérisée par :<br />

1) la spécialité par rapport à l’article 51 C. pén., d’où l’imposition<br />

de devoirs particuliers de bonne conduite et d’information;<br />

2) le caractère personnel, d’où l’impossibilité d’appliquer le<br />

deuxième alinéa de l’article 119 C. pén. (caractère objectif ou réel<br />

permettant l’application à tous les participants);<br />

3) la prise en compte de l’élément subjectif par dérogation à la<br />

règle générale visée à l’article 59, al. 1 er C. pén. (24);<br />

4) la nécessité d’un contrôle supérieur par l’autorité qui autorise les<br />

opérations. Il s’agit du problème crucial de la réglementation du statut<br />

juridique de l’agent provocateur et, en même temps, du lien entre les<br />

questions interprétatives et les questions de mise en œuvre. Alors que<br />

même la jurisprudence penche vers une interprétation restrictive de<br />

l’article 55 du Code de procédure pénale (fonctions de la police judiciaire)<br />

en tant que source de la cause de justification générale de<br />

(23) Pour tous, cf. C. De Maglie, L’agente provocatore, Un’indagine dommatica e politico-criminale,<br />

Milano, Giuffré, 1991.<br />

(24) Cette disposition prévoit que les circonstances atténuantes ou d’exclusion de la peine sont<br />

prises en compte en faveur de l’auteur, même si celui-ci n’en connaissait pas l’existence ou<br />

croyait qu’elles n’existaient pas.


lutte contre la criminalité en italie 195<br />

l’accomplissement d’un devoir (prévue par l’article 51 C. pén.), consistant<br />

à réserver un effet justificatif à l’accomplissement des devoirs de<br />

police judiciaire dans les seuls cas où il serait question d’omettre des<br />

actes obligatoires et de se limiter à contrôler, observer et contenir l’activité<br />

illicite d’autrui, ce qui exclut de la sphère du crime exclusivement<br />

les comportements par omission, les activités des forces de l’ordre engagées<br />

dans des opérations d’«infiltration» tendent de plus en plus à<br />

s’impliquer dans la participation matérielle et active à l’infraction.<br />

Il est vrai qu’une telle «évolution» s’impose dans la mesure où le<br />

recours au statut juridique de l’agent provocateur et de l’agent<br />

infiltré s’inscrit, au même titre que la recherche de collaboration<br />

avec la Justice, dans le cadre de la lutte contre les organisations criminelles.<br />

Or, en raison du secret qui les entoure, il n’est possible de<br />

connaître la structure et les projets respectifs de ces dernières que<br />

si leurs membres s’en dissocient ou des représentants des forces de<br />

l’ordre s’y intègrent. L’absence de réglementation cohérente pose<br />

cependant de graves problèmes quant à la résolution des cas où les<br />

activités des officiers de police engagés dans les opérations s’éloignent<br />

des directives imposées par l’autorité judiciaire ou dépassent<br />

la simple provocation et déclenchent des mécanismes criminels qui<br />

ne sont plus contrôlables. Le risque d’une telle lacune normative est<br />

celui d’une dangereuse «dérive» eu égard au principe de légalité, en<br />

contradiction directe avec l’article 25 de la Constitution.<br />

2.2. – Interceptions de conversations<br />

ou de communications<br />

Dans le cas d’infractions liées à la criminalité organisée ou au terrorisme,<br />

il peut être dérogé de façon importante à la réglementation<br />

instituée par les articles 266-270 du Code de procédure pénale pour<br />

les interceptions (écoutes) de conversations ou de communications.<br />

2.2.1. – Les écoutes préventives<br />

La disposition fondamentale au sujet des écoutes préventives est<br />

représentée par l’article 5 al. 1 er du d.-l. n° 374/2001 portant modification<br />

de l’article 226 dispositions d’exécution du Code de procédure<br />

pénale (25). Ce dernier stipule notamment que, lorsque cela se<br />

(25) Norme di attuazione, di coordinamento e transitorie del codice di procedura penale,<br />

approuvées le 28 juillet 1989 par le décret législatif n° 271.


196 gaetana morgante<br />

révèle nécessaire pour l’obtention de renseignements relatifs à la<br />

prévention de certaines infractions graves, à caractère terroriste ou<br />

subversif ou caractéristiques de la criminalité organisée (26), le procureur<br />

de la République (27) peut donner l’autorisation d’intercepter<br />

des communications ou des conversations, y compris par voie<br />

télématique, de même que d’intercepter des communications ou des<br />

conversations entre personnes présentes sur les lieux. L’autorisation<br />

peut être donnée même si ces conversations se déroulent dans les<br />

lieux mentionnés à l’article 614 du Code pénal (qui incrimine la violation<br />

de domicile). La demande peut être formulée par le ministre<br />

de l’Intérieur ou, à sa demande, par les responsables des services<br />

centraux de police visés à l’article 12 d.-l. n° 152/1991 (28), mais<br />

aussi par le préfet ou le commandant provincial des Carabinieri ou<br />

de la Guardia di finanza.<br />

Le ministre de l’Intérieur peut, par ailleurs, déléguer le directeur<br />

de la DIA pour les infractions visées à l’article 51 al. 3bis du Code<br />

de procédure pénale (entre autres, l’organisation de type mafieux,<br />

la traite d’êtres humains et l’association de malfaiteurs dédiée au<br />

trafic de stupéfiants). Le procureur de la République autorise<br />

l’interception, lorsque l’activité de prévention est justifiée par des<br />

éléments d’enquête et qu’il l’estime nécessaire, pour une durée<br />

maximum de quarante jours, qui peut être prolongée par périodes<br />

de vingt jours consécutifs pour autant que les conditions légales<br />

demeurent. L’autorisation de poursuivre les opérations est donnée<br />

par le ministère public par décret motivé, dans lequel doivent figurer<br />

de manière claire les motifs rendant nécessaire la poursuite des<br />

opérations.<br />

Un procès-verbal synthétique relatif aux opérations menées et au<br />

contenu des interceptions auquel sont joints les supports utilisés est<br />

déposé auprès du procureur ayant autorisé les activités dans un<br />

délai de cinq jours à dater de la fin de celles-ci. Le procureur, après<br />

avoir vérifié la conformité des activités menées suivant l’autorisa-<br />

(26) Il s’agit des infractions visées à l’article 407, al. 2 lettre a) n° 4 et 51, al. 3bis du Code de<br />

procédure pénale.<br />

(27) Le procureur de la République près le tribunal du chef-lieu du district où se trouve l’individu<br />

à placer sous contrôle ou − si cela est impossible à déterminer − celui du district d’où émanent<br />

les exigences de prévention.<br />

(28) Décret-loi n° 152 du 13 mai 1991 (Provvedimenti urgenti in tema di lotta alla criminalità<br />

organizzata e di trasparenza e buon andamento dell’attività amministrativa (G.U. 13 mai 1991,<br />

n° 110), transposé en loi (avec modifications) par l’art. 1, al. 1, loi n° 203 du 12 juillet 1991 (G.U.<br />

12 juillet 1991, n° 162).


lutte contre la criminalité en italie 197<br />

tion, ordonne la destruction immédiate des supports et des procèsverbaux.<br />

Suivant les mêmes modalités, ce dernier peut autoriser la<br />

localisation de communications téléphoniques et télématiques, ainsi<br />

que l’acquisition de données externes relatives à des échanges téléphoniques<br />

et télématiques ou toute autre information utile en la<br />

possession des opérateurs de télécommunication.<br />

Les éléments obtenus au moyen des opérations préventives «ne<br />

peuvent en aucun cas être utilisés dans la procédure pénale (procedimento),<br />

sauf à des fins d’enquête. Au demeurant, les opérations<br />

d’interception préventive et les renseignements obtenus grâce aux<br />

dites opérations ne peuvent apparaître dans des actes d’enquête,<br />

faire l’objet d’une déposition ou être divulgués de toute autre façon»<br />

(article 226 al. 5 disp. exéc. C. proc. pén. (29)).<br />

Par ailleurs, l’article 5 de la loi n° 438/2001 a abrogé toutes les<br />

autres dispositions concernant les interceptions préventives (30) et a<br />

ainsi considérablement rationalisé la réglementation en la matière.<br />

Enfin, quiconque divulgue le contenu des interceptions à des personnes<br />

non autorisées ou le publie même partiellement encourt une<br />

peine de réclusion allant de six mois à trois ans.<br />

L’interception du contenu des conversations et des communications<br />

relatives à des infractions à but terroriste ou liées à la criminalité<br />

organisée est donc caractérisée par une plus grande latitude<br />

par rapport au régime normal des interceptions. Cette interception<br />

peut en effet avoir lieu :<br />

a) sur l’initiative des membres des forces de l’ordre et pas uniquement<br />

à la demande d’un magistrat;<br />

b) indépendamment du fait que des poursuites pénales soient en<br />

cours (même dans la phase de l’enquête préliminaire – indagini preliminari)<br />

dans la mesure où il s’agit, comme indiqué précédemment,<br />

d’interceptions effectuées exclusivement à des fins préventives;<br />

c) en dehors d’exigences strictement préventives, dans le cas des<br />

interceptions visant l’obtention d’informations;<br />

(29) Norme di attuazione, di coordinamento e transitorie del codice di procedura penale<br />

(Décret législatif du 28 juillet 1989, n° 272, G.U. 5 août 1989, n° 182 suppl. ord.)<br />

(30) Parmi lesquelles précisément la disposition visée à l’art. 25ter d.-l. n° 306/1992, laquelle<br />

autorisait l’interception préventive de conversations et de communications même dans des lieux<br />

de résidence privée en cas de nécessité de mener des opérations préventives et d’information relatives<br />

notamment aux infractions d’organisation de type mafieux, d’enlèvement de personnes à<br />

des fins d’extorsion ou d’organisation visant le trafic illégal de stupéfiants.


198 gaetana morgante<br />

d) pour un délai supérieur à celui normalement prévu par le Code<br />

de procédure pénale (15 jours);<br />

e) même si l’interception en tant que telle n’est pas, comme le<br />

requiert expressément l’article 267 C. proc. pén., «absolument indispensable<br />

au déroulement de l’enquête», mais simplement «nécessaire<br />

à des fins préventives et d’information».<br />

Pareillement, par dérogation à la réglementation générale, dans le<br />

cas où il s’agit de prévenir une activité délictueuse eu égard à la<br />

traite d’êtres humains, les interceptions peuvent être ordonnées<br />

1) lorsqu’il existe «suffisamment d’indices» et non des «indices<br />

graves» concernant l’infraction; 2) même si ces interceptions sont<br />

seulement «nécessaires pour le déroulement de l’enquête» au lieu<br />

d’«absolument indispensables pour la poursuite de l’enquête» (art. 9<br />

loi n° 228/2003);<br />

f) normalement dans les lieux de résidence privée ou dans les<br />

dépendances de ceux-ci, indépendamment de l’existence d’indices<br />

sérieux quant au déroulement d’activités criminelles en ces lieux.<br />

L’élargissement des conditions d’application des interceptions<br />

préventives est, en principe, contrebalancé par une rigueur accrue<br />

de la règle de l’impossibilité d’utiliser les résultats de celles-ci dans<br />

le cadre de la procédure. Leur utilisation est en effet totalement<br />

interdite dans l’ensemble de la procédure pénale (procedimento), sans<br />

préjudice de l’obligation de transmettre le contenu desdites interceptions<br />

au procureur de la République qui a autorisé les opérations.<br />

2.2.2. – Une utilisation limitée<br />

La réglementation des interceptions préventives visée à<br />

l’article 226 disp. exéc. C. proc. pén. s’inscrit en principe dans la<br />

droite ligne de la réglementation instituée pour la première fois, en<br />

1978 (31), par l’article 226sexies du Code de procédure pénale<br />

(ensuite abrogé), lequel avait introduit dans le système italien la<br />

première forme “anormale” d’interception marquée par des fins préventives.<br />

Cette continuité théorique ne va cependant pas au-delà de<br />

l’objet de la disposition, dans la mesure où la technique législative<br />

utilisée se révèle considérablement plus rationnelle que celle de la loi<br />

(31) Par la loi n° 191 du 18 mai 1978.


lutte contre la criminalité en italie 199<br />

précédente. Même s’il s’agit, en réalité, d’une forme d’interception<br />

«d’investigation», l’institution régie par l’article 226 disp. exéc. C.<br />

proc. pén. présente un achèvement réglementaire considérable dans<br />

la mesure où les conditions et les modalités de mise en œuvre sont<br />

réglementées sans faire appel (comme c’était le cas dans le Code de<br />

procédure pénale antérieur) au système de références croisées vers<br />

d’autres dispositions du code, ce qui avait provoqué un grand nombre<br />

de doutes sur le plan de l’interprétation.<br />

Sur le plan des effets, les interceptions préventives ont explicitement<br />

un caractère extérieur à la procédure, étant donné que leurs<br />

résultats ne peuvent pas être utilisés dans la procédure pénale, sauf<br />

à des fins d’enquête.<br />

Cette limitation justifie l’étendue de leur éventuel objet, lequel<br />

(contrairement à ce qui était prévu par le Code de procédure pénale<br />

antérieur) ne se limite pas au domaine restreint des conversations,<br />

des communications téléphoniques et autres formes de télécommunications,<br />

mais englobe les conversations et les communications<br />

entre personnes présentes dans des lieux de résidence privée.<br />

Puisque les résultats de ces interceptions doivent être communiqués<br />

au procureur de la République les ayant autorisées, se pose la<br />

question de savoir si des informations recueillies de la sorte peuvent<br />

être utilisées au titre de notitiae criminis. Ce problème s’était déjà<br />

posé sous l’ancienne disposition et avait connu une résolution positive,<br />

en considération du fait qu’il aurait été absurde de réserver<br />

aux interceptions préventives un traitement inférieur aux autres<br />

formes inquisitoires. Il n’en demeure pas moins qu’aucun élément<br />

mis à jour grâce aux interceptions ne peut figurer dans le dossier du<br />

ministère public. Leur but ne peut dès lors être véritablement<br />

apprécié qu’à l’aune des activités dites d’intelligence ressortissant au<br />

pouvoir exécutif, comme le montre l’attribution au ministre de<br />

l’Intérieur d’un pouvoir originel de requérir l’ordonnance d’autorisation.<br />

Le ministre peut déléguer d’autres organes afin que cette<br />

mesure s’inscrive dans un cadre préventif dont le but est d’utiliser<br />

les interceptions aux fins particulières de la lutte contre la criminalité<br />

organisée.<br />

Du point de vue des modalités d’autorisation, l’article 226<br />

n’énonce pas explicitement une obligation de motiver la première<br />

ordonnance autorisant l’interception préventive. Toutefois, dès lors<br />

que la nouvelle version de la disposition établit que l’autorité est


200 gaetana morgante<br />

tenue de consigner clairement les motifs rendant nécessaire la continuation<br />

des opérations, il ressort de manière implicite que l’ordonnance<br />

originelle doive également être motivée. Si tel n’était pas le<br />

cas, cela engendrerait un conflit insoluble avec l’article 15 de la<br />

Constitution, qui garantit le droit inviolable à la liberté et au secret<br />

de la correspondance et de toute autre forme de communication et<br />

en tolère la restriction uniquement «par acte motivé de l’autorité<br />

judiciaire et moyennant toutes les garanties définies par la loi».<br />

Pour ce qui est du contenu de la motivation de l’ordonnance<br />

d’autorisation, le degré d’imprécision et d’incertitude de la condition<br />

de la nécessité aux fins des activités préventives et inquisitoires<br />

relatives à des infractions graves liées à la criminalité organisée rend<br />

pour le moins floues les limites du pouvoir discrétionnaire du ministère<br />

public, lequel pourra seulement s’appuyer sur des éléments de<br />

suspicion fournis par les autorités de police.<br />

2.2.3. – Des contrôles discrets<br />

A propos des interceptions de communications et de conversations<br />

entre personnes présentes dans des lieux de résidence privée<br />

(«intercettazioni ambientali»), il convient de rappeler que, de manière<br />

générale, il n’est pas permis aux organes de police de pénétrer clandestinement<br />

dans des lieux de résidence privée à l’insu du propriétaire<br />

ou de la personne exerçant le droit d’y interdire la présence<br />

d’autrui. Ce type d’activité, même si elle se fonde sur la suspicion<br />

de trouver des choses dont la détention peut être incriminée ou sur<br />

la conviction que des infractions sont commises en ces lieux, peut<br />

être assimilé à une pure et simple violation de domicile, en contradiction<br />

manifeste avec l’article 14 de la Constitution, lequel tolère la<br />

restriction du droit à l’inviolabilité du domicile uniquement sous la<br />

forme de l’inspection, de la perquisition ou de la saisie régis par le<br />

Code de procédure pénale. La possibilité d’une intrusion secrète au<br />

domicile privé a été explicitement rejetée par l’arrêt n° 135 du<br />

11 avril 2002 de la Cour constitutionnelle, laquelle a toutefois admis<br />

une exception dans le cas où il s’agirait moins de rechercher, clandestinement<br />

et à l’insu du sujet, des traces matérielles de l’infraction<br />

au domicile et sur la personne (opération qui enfreindrait<br />

l’interdiction énoncée à l’art. 14 Const.), que d’intercepter le contenu<br />

de communications.


lutte contre la criminalité en italie 201<br />

En ce qui concerne la question de savoir s’il est possible de rattacher<br />

des enregistrements vidéo d’agissements se produisant dans<br />

une résidence privée à la réglementation relative aux intercettazioni<br />

ambientali, la Cour distingue deux hypothèses pour la captation des<br />

images :<br />

1) les captations d’images ou de situations à connotation non<br />

communicative sont en tant que telles interdites au titre d’intrusion<br />

au domicile privé en violation de l’article 14 Const.<br />

2) les captations d’images ou de situations à connotation communicative<br />

sont admissibles sous la forme de intercettazioni ambientali.<br />

Il en découle que les organes de police sont autorisés à pénétrer<br />

clandestinement au domicile privé uniquement pour y installer des<br />

équipements nécessaires aux interceptions de conversations et communications<br />

entre personnes. Par contre, lorsque les enquêteurs recherchent<br />

des objets ou des traces de l’infraction se trouvant dans des<br />

lieux ou sur des personnes, il leur faut respecter les formes (évidentes<br />

et garanties) de l’inspection, de la perquisition et de la saisie, lesquelles<br />

doivent être ordonnées par décret motivé de l’autorité judiciaire<br />

communiqué aux intéressés.<br />

3. – Les collaborateurs de la Justice<br />

Un débat existe depuis longtemps entre les tenants de la pensée<br />

philosophique, d’une part, et ceux de la pensée juridique, de<br />

l’autre, sur les implications éthiques et psychologiques de l’hypothèse<br />

selon laquelle un accusé − allant à l’encontre du réflexe instinctif<br />

de se défendre pour éviter la peine − s’auto-incrimine et<br />

dénonce ses propres complices. Cesare Beccaria déjà, même s’il<br />

souligna combien la collaboration peut servir à prévenir des<br />

infractions graves, affirma que «le principal inconvénient» de la<br />

contrepartie à concéder à celui qui dénonce ses complices «est<br />

d’autoriser officiellement la trahison, détestable même entre les<br />

scélérats; les crimes courageux sont moins funestes à une nation<br />

que les crimes lâches (32)». D’autres doutes quant à l’opportunité<br />

du recours aux repentis furent soulevés par Carmignani, lorsque,<br />

formulant la crainte de risques connexes à l’utilisation de moyens<br />

(32) C. Beccaria, Des délits et des peines, Paris, Flammarion, 1991, p. 161.


202 gaetana morgante<br />

de pression sur le prévenu aux fins de la collaboration, il souligna<br />

que cette «pratique consistant à chercher la vérité dans les éléments<br />

dictés par l’intérêt s’expose au risque de s’en éloigner alors<br />

même qu’on pense la voir approcher (33)».<br />

La conviction que le prévenu possède des connaissances précieuses,<br />

mais peu crédibles, est largement répandue dans la pensée<br />

juridique moderne au point qu’une certaine doctrine pouvait, dès<br />

1986, conclure que le procès pénal «réduit à être un instrument de<br />

police, un expédient de caserne où trouvent refuge des espions, des<br />

délateurs et des confidents (34)» perd de sa crédibilité et finit par<br />

payer, à lui seul, le prix d’une dette contractée par la société dans<br />

son ensemble à l’égard de ses plus indignes créanciers : les criminels<br />

promus au rang de collaborateurs de la Justice. La procédure,<br />

toujours selon cette même école de pensée, se voit attribuer le rôle<br />

de messager symbolique vis-à-vis de la collectivité ignorante, dans<br />

la mesure où la condamnation repose sur des données incertaines,<br />

de nature seulement à apaiser la soif de justice sommaire de la collectivité,<br />

mais inaptes à soutenir l’examen critique des instances<br />

de jugement successives (35). L’élément fondamental semble donc<br />

se situer dans la «gestion administrativo-transactionnelle des affaires<br />

pénales» (36).<br />

Cependant, un autre élément perçu de longue date est le fait qu’il<br />

est difficile de se passer de ce puissant moyen de preuve et que, par<br />

conséquent, les risques liés à la gestion du collaborateur et au<br />

recours à ses connaissances ne pourront être affrontés adéquatement<br />

que par la mise en place d’une législation ad hoc et par la professionnalisation<br />

des juges appelés à «gérer» le phénomène des<br />

repentis (37).<br />

(33) G. Carmignani, Théorie des peines et des récompenses, in Œuvres, II, Bruxelles, 1829,<br />

p. 157.<br />

(34) G. Tranchina, Processo penale e società, Rivista italiana di diritto e procedura penale,<br />

1986, p. 40.<br />

(35) G. Di Chiara, «Chiamata di correo, garantismo e diritto di difesa», Rivista italiana di<br />

diritto e procedura penale, 1987, p. 235.<br />

(36) F. Cordero, Guida alla procedura penale, Torino, Utet, 1986, p. 468.<br />

(37) G. Neppi Modona, «Dichiarazioni dei pentiti e problemi della prova», Questione Giustizia,<br />

1985, p. 772.


lutte contre la criminalité en italie 203<br />

Avant de procéder à l’examen de la législation italienne dans<br />

le domaine des collaborateurs de justice (38), il convient de préciser<br />

que l’approbation du texte constituant actuellement la référence<br />

normative en la matière (c’est-à-dire le d.-l. n° 8/1991,<br />

transposé en loi n° 85 du 15 mars 1991 (39), modifiée en 2001 (40))<br />

a pleinement tiré les leçons des expériences de la pratique en<br />

réglementant un instrument qui avait joué un rôle d’une importance<br />

capitale dans la stratégie de lutte contre la criminalité<br />

organisée. L’adoption de cette réglementation s’est en effet produite<br />

au terme d’une phase où la magistrature et les forces de<br />

police avaient déjà amplement eu recours aux «repentis» dans la<br />

lutte contre les quatre organisations traditionnelles de type<br />

mafieux, à savoir cosa nostra, la camorra, la ‘ndrangheta et la<br />

sacra corona unita, localisées respectivement en Sicile, Campanie,<br />

Calabre et Pouilles.<br />

Le texte de 1991 s’est clairement révélé un progrès, grâce à<br />

l’expérience menée «sur le terrain» par les autorités répressives italiennes<br />

en collaboration avec celles des Etats-Unis. De ce dernier<br />

point de vue, il convient de préciser que la Direction des investigations<br />

antimafia (DIA) italienne (41) a progressivement accru le<br />

nombre de ses collaborations internationales en vue de promouvoir<br />

la recherche coordonnée, sur la base d’analyses communes et ponctuelles,<br />

d’informations relatives aux groupes criminels actifs au<br />

(38) Sur ce thème, cf. F. Sassano, La nuova disciplina sulla collaborazione di giustizia<br />

alla luce della legge 13 febbraio 2001, n° 45, Torino, Giappichelli, 2002; C. Ruga Riva, Il<br />

premio della collaborazione processuale, Milano, Giuffré, 2002; F. C. Giordano, G. Tinebra,<br />

«Il regime di protezione», Diritto Penale e Processo, n° 5, 2001, p. 560; M. Alma, «Sanzioni,<br />

Difesa e Regime Transitorio », Diritto Penale e Processo, n° 5, 2001, p. 571 ; A. Bernasconi,<br />

«La riforma della legge sui collaboratori di giustizia: profili generali e intersezioni con le<br />

tematiche del ‘giusto processo’ (l. 13 febbraio 2001, n° 45)», Legislazione penale, 2001, p. 75 ;<br />

F. De Leo, «La collaborazione di giustizia: bilanci e prospettive», Cassazione Penale, 2002,<br />

p. 1577 ; S. Ardita, «La nuova legge sui collaboratori e sui testimoni di giustizia», Cassazione<br />

Penale, 2001, p. 1698. Dans une prespective critique : F. Roberti, R. Alfonso,<br />

«Pentiti: norme poco chiare favoriscono equivoci ed applicazioni arbitrarie», Diritto e Giustizia,<br />

n° 26, 2001, p. 46.<br />

(39) Décret-loi du 15 janvier 1991, n° 8 (G.U. 15 janvier 1991, n° 12), transposé (avec modifications)<br />

en loi n° 82 du 15 mars 1991 (Nuove norme in materia di sequestri di persona a<br />

scopo di estorsione e per la protezione dei testimoni di giustizia, nonché per la protezione e<br />

il trattamento sanzionatorio di coloro che collaborano con la giustizia), G.U. 16 mars 1991,<br />

n° 64.<br />

(40) Par la loi n° 45 du 13 février 2001 (Modifica della disciplina della protezione e del trattamento<br />

sanzionatorio di coloro che collaborano con la giustizia nonché disposizioni a favore delle<br />

persone che prestano testimonianza), G.U. 10 mars 2001, n° 58, S.O.<br />

(41) Instituée par le décret-loi n° 345 du 29 octobre 1991, transposé dans la loi n° 410 du<br />

30 décembre 1991.


204 gaetana morgante<br />

niveau mondial (42). La collaboration avec des entités étrangères<br />

revêt, aujourd’hui encore, une grande importance également du<br />

point de vue de l’évolution de la législation en matière de protection<br />

et de gestion des collaborateurs de justice, dans la mesure où les<br />

réformes de la réglementation en vigueur résultent toujours du dialogue<br />

permanent avec la DIA et sont donc, indirectement, le fruit<br />

du rôle de «filtre» de cette dernière vis-à-vis des expériences acquises<br />

par ses homologues étrangers. Dès lors, si l’on devait désigner<br />

une composante institutionnelle ayant le plus influencé et continuant<br />

d’influencer la production législative en matière de collaborateurs<br />

(ou témoins, voir infra §4) de justice, il s’agit certainement<br />

de la DIA.<br />

Cependant, l’adoption du d.-l. n° 8/1991 n’a pas été précédée d’un<br />

débat politique sur les questions liées à la réglementation de la collaboration<br />

avec la Justice, dès lors qu’il s’agissait d’une mesure prise<br />

par voie d’urgence, suite aux graves événements qui s’étaient produits<br />

à l’époque en Italie. En revanche, la promulgation de la loi<br />

n° 45/2001 a identifié plus clairement les problèmes à résoudre, grâce<br />

notamment à l’expérience fournie par une dizaine d’années d’application<br />

de la réglementation précédente. En réalité, il s’est agi dans ce<br />

cas non seulement de garantir la fiabilité des collaborateurs de justice<br />

et la crédibilité de leurs déclarations, mais aussi d’harmoniser la réglementation<br />

avec les principes et les règles du système pénal italien. A<br />

cet égard, la loi de réforme de 2001 entendait parvenir à trois objectifs<br />

principaux, à savoir s’assurer que les collaborateurs purgent une<br />

partie importante de la peine qui leur est infligée, obtenir qu’ils<br />

démontrent leur prise de distance par rapport à la criminalité organisée<br />

en précisant la nature de leur patrimoine illégal, et conjurer les<br />

risques de concertation préalable lors de leurs déclarations.<br />

Enfin, le décret ministériel n° 161/2004 (43) a permis de préciser<br />

davantage le contenu de la loi de 1991, notamment en matière de<br />

mesures de protection des collaborateurs de justice.<br />

(42) Les structures qui y étaient associées sont: le Groupe de travail des experts du G 8 pour<br />

la lutte contre le crime organisé en Europe orientale; le FBI nord-américain; le Bundeskriminalamt<br />

(BKA) allemand; le GUPOB russe; la Royal Canadian Mounted Police (RCPM) canadienne;<br />

le National Criminal Intelligence Service (NCIS) anglais; le CRACO français et la Police nationale<br />

japonaise.<br />

(43) Décret ministériel n° 161 du 23 avril 2004 (Regolamento ministeriale concernente le speciali<br />

misure di protezione previste per i collaboratori di giustizia e i testimoni, ai sensi dell’articolo<br />

17bis del D.-l. 15 gennaio 1991, n° 8, convertito, con modificazioni, dalla L. 15 marzo 1991,<br />

n° 82, introdotto dall’articolo 19 della L. 13 febbraio 2001, n° 45, G.U. 25 juin 2004, n° 147).


lutte contre la criminalité en italie 205<br />

Après une expérience de quatorze années de mise en œuvre des<br />

mesures de protection des collaborateurs de justice, il est permis<br />

d’affirmer que le choix de ce moyen a contribué de manière essentielle<br />

à la réalisation de l’objectif de lutte contre les formes les plus<br />

graves de criminalité organisée. Il convient, dès lors, de s’interroger<br />

sur la possibilité de se passer aujourd’hui d’un tel instrument, vu le<br />

très haut niveau atteint par les connaissances acquises par les<br />

acteurs de la Justice pénale sur ces phénomènes criminels, et s’il<br />

conviendrait plutôt d’étudier des formes alternatives de procédure,<br />

eu égard notamment aux nouvelles dispositions sur le «procès<br />

équitable» et à l’insertion dans la Constitution (à l’art. 111, al. 4)<br />

du principe du contradictoire en tant que méthode d’acquisition<br />

dialectique de la preuve. La réponse adéquate à une question si difficile<br />

passe d’abord par l’examen des effets produits sur le système<br />

par les dispositions existantes.<br />

3.1. – L’évolution normative<br />

Une forme de «droit de la récompense» (diritto premiale) était déjà<br />

présente dans les Codes Zanardelli d’abord, et Rocco ensuite. Ces<br />

derniers prévoyaient des dispositions en matière de désistement<br />

volontaire et de renonciation active, visant à favoriser le repentir de<br />

l’inculpé en accordant à ce dernier une remise voire, dans certains<br />

cas, une exemption de peine.<br />

En revanche, aucune disposition dans ces codes ne visait explicitement<br />

à encourager une véritable «collaboration avec la Justice»,<br />

au sens d’une contribution active dans l’acquisition de preuves pour<br />

l’identification de coauteurs d’infraction.<br />

C’est seulement à la fin des années 1970 que l’institution de la<br />

collaboration probatoire fut introduite par le décret-loi n° 625/<br />

1979 (44) transposé (avec modifications) en loi n° 15/1980, qui comportait<br />

des bénéfices particuliers, en termes de réduction de la<br />

peine, pour les personnes s’étant dissociées du terrorisme par leur<br />

collaboration.<br />

C’est dans le cadre de la législation d’urgence contre la criminalité<br />

à but terroriste que le recours aux bénéfices a été utilisé le plus effi-<br />

(44) Loi n° 15 du 6 février 1980 (Conversione in legge, con modificazioni, del decreto-legge<br />

15 dicembre 1979, n° 625, concernente misure urgenti per la tutela dell’ordine democratico e della<br />

sicurezza pubblica), G.U. 7 février 1980, n° 37.


206 gaetana morgante<br />

cacement. En particulier, l’article 4 du décret-loi établit que «pour<br />

les infractions à but terroriste et de subversion de l’ordre démocratique,<br />

(…) les personnes impliquées dans l’infraction qui, du fait de<br />

leur prise de distance par rapport à leurs complices (45), s’emploient<br />

à éviter que les activités délictueuses soient poursuivies ou qui contribuent<br />

à aider de façon concrète les autorités policière et judiciaire<br />

à trouver des preuves décisives permettant l’identification et l’arrestation<br />

des complices, peuvent bénéficier de la conversion de la peine<br />

de réclusion à perpétuité en peine d’emprisonnement de douze à<br />

vingt ans et d’une remise allant d’un tiers à la moitié pour les<br />

autres peines».<br />

Deux formes de collaboration distinctes furent donc prévues, bien<br />

qu’identiques du point de vue de l’allégement de la peine : celle du<br />

«repentir actif» et celle de la «collaboration probatoire».<br />

L’article 5 du décret-loi introduisit par contre une véritable cause<br />

de non-punissabilité. Celui-ci établit en effet que «hormis le cas<br />

prévu au dernier alinéa de l’article 56 C. pén., ne sont pas punissables<br />

les personnes se rendant coupables d’une infraction commise à<br />

des fins terroristes ou de subversion de l’ordre démocratique lesquelles,<br />

sur une base volontaire, empêchent la survenance d’un fait<br />

délictueux ou fournissent des éléments de preuve déterminants permettant<br />

la reconstruction exacte de ce fait et l’identification de<br />

leurs éventuels complices».<br />

Au vu de l’évolution législative, l’article 4 d.-l. n° 625/1979 s’est<br />

révélé être la disposition annonciatrice des modèles normatifs adoptés<br />

par la suite. La première disposition inspirée de cet article intervint<br />

environ un an après. Pour freiner la recrudescence des enlèvements<br />

de personnes à des fins d’extorsion, il fut alors décidé<br />

d’inscrire dans le Code pénal un régime de faveur à l’égard des<br />

ravisseurs qui, prenant des distances à l’égard de leurs complices,<br />

avaient collaboré avec les organes d’enquête. La nouvelle formulation<br />

de l’article 630 al. 5 du Code pénal, adoptée en 1980 (46), introduisit<br />

une remise de peine importante (jusqu’à deux tiers) dans les<br />

mêmes cas que ceux prévus à l’article 4 du décret de 1979.<br />

(45) Le Code pénal italien ne connaît pas de différence entre la figure du coauteur et celle du<br />

complice.<br />

(46) Par la loi n° 894 du 30 décembre 1980.


lutte contre la criminalité en italie 207<br />

Toutefois, la doctrine, déjà critique à l’égard des bénéfices accordés<br />

aux terroristes repentis ou s’étant dissociés du crime, se positionna<br />

essentiellement contre toute législation introduisant ce type<br />

de récompenses. Il convient de rappeler qu’au rang des critiques,<br />

outre les réserves et doutes quant à la fiabilité des repentis mafieux,<br />

figuraient également des objections liées aux impératifs de protection<br />

des garanties et droits fondamentaux, foncièrement opposés au<br />

principe même du “régime de faveur”. On fit notamment observer<br />

que l’application de ces bénéfices aurait entraîné une violation intolérable<br />

du principe selon lequel la peine est proportionnelle à la gravité<br />

de l’infraction et au degré de responsabilité personnelle (47). La<br />

formulation desdites normes fit également l’objet de critiques acérées<br />

de la doctrine sur la base de leur formulation vague et hautement<br />

subjective, et susceptible dès lors de laisser une marge<br />

d’appréciation trop importante au juge. On soulignait, par ailleurs,<br />

que l’efficacité de la prévention générale serait proportionnelle à la<br />

stabilité des conditions suivant lesquelles la norme permettait<br />

l’octroi des bénéfices (48).<br />

A partir d’un point de vue différent, une autre partie de la doctrine<br />

(49) ne manqua pas de faire valoir que la «question des<br />

repentis» était devenue un problème inévitable de politique pénale.<br />

En effet, la consolidation des convergences d’intérêts (tant ceux de<br />

l’«inquisition judiciaire» que ceux d’un grand nombre de personnes<br />

sous enquête) indiquait une évolution vers un modèle de procédure<br />

«collaborative», dont la question des repentis terroristes avait fourni<br />

les précédents en matière de conduite et de culture.<br />

Toutefois, les réticences étaient encore relativement importantes<br />

et les voix en faveur d’une application de bénéfices aux repentis<br />

mafieux étaient assez isolées.<br />

(47) L. Ferrajoli, «Emergenza penale e crisi della giurisdizione», Dei delitti e delle pene, 1984,<br />

pp. 271-292.<br />

(48) E. Musco, «La premialità nel diritto penale», Indice penale, 1986, pp. 591-611.<br />

(49) D. Pulitanò, «Tecniche premiali fra diritto e processo penale», (communication au<br />

XV Convegno E. De Nicola sur le thème “La legislazione premiale”, Courmayeur, 18-20 avril<br />

1986), Rivista italiana di diritto e procedura penale, 1986, pp. 1005-1041.


208 gaetana morgante<br />

3.2. – Criminalité organisée<br />

et collaboration avec la Justice<br />

Le «droit de la récompense» fut étendu de manière significative à<br />

la criminalité organisée lors de l’instauration de circonstances atténuantes<br />

particulières pour les personnes inculpées pour appartenance<br />

à des organisations de malfaiteurs se livrant au trafic de stupéfiants.<br />

Aux termes de l’article 74 al. 7 du D. P. R. n° 309/90, les<br />

personnes «s’étant engagées de manière significative afin de livrer<br />

les preuves de l’infraction ou pour soustraire à l’organisation des<br />

ressources décisives pour la commission des infractions» bénéficient<br />

d’une remise allant de la moitié à deux tiers de la peine.<br />

Il s’agit d’une disposition comportant une composante de récompense<br />

manifeste, dans laquelle la collaboration est valorisée du point<br />

de vue de la procédure probatoire. On estimait ainsi qu’il n’était plus<br />

suffisant d’avoir contribué à l’arrestation des coopérants. Il était<br />

également nécessaire de fournir des preuves relatives à la mise en<br />

œuvre de l’infraction. Le «dissocié» (dissociato, i. e. ayant coupé tout<br />

lien avec ses complices) devait s’employer efficacement à soustraire<br />

à l’organisation dont il avait fait partie les ressources d’approvisionnement<br />

permettant de perpétuer le trafic illégal, c’est-à-dire les biens<br />

financiers et les canaux d’approvisionnement de la drogue. L’introduction<br />

de ces circonstances atténuantes ne marqua cependant pas<br />

encore une inversion de tendance dans l’opposition manifeste à<br />

l’égard d’un tel élargissement. Et ce, alors même que la disposition<br />

s’inscrivait précisément dans le cadre d’une volonté politico-législative<br />

de lutter fermement contre l’usage et le trafic de stupéfiants,<br />

comme l’a montré l’application des circonstances atténuantes tant à<br />

l’égard du petit dealer que du mafieux.<br />

C’est seulement suite à divers événements sanglants survenus de<br />

1990 (homicide du juge Livatino) à 1992 (massacres à Capaci et à<br />

via D’Amelio) qu’on a adopté le décret-loi n° 152/1991, prévoyant<br />

des bénéfices pour les mafieux «dissociés» (art. 8) et, quelque temps<br />

après, le décret-loi n° 306/1992 qui introduisit de nouveaux avantages<br />

pour les collaborateurs mafieux.<br />

Toutefois, malgré la prise de conscience générale de la nécessité<br />

de résoudre les trois problèmes clés du «phénomène des repentis» (à<br />

savoir la définition de la notion de collaborateur de justice, la définition<br />

des conditions nécessaires pour bénéficier des bénéfices pré-


lutte contre la criminalité en italie 209<br />

vus par la loi, ainsi que la protection des personnes prenant la décision<br />

de collaborer avec la Justice), le législateur italien finit par<br />

privilégier le mécanisme du décret d’urgence et adopta des initiatives<br />

fragmentaires, parfois insuffisamment coordonnées entre elles,<br />

qui ne reposaient pas sur une réflexion préalable et approfondie du<br />

point de vue des choix stratégiques politico-législatifs. Il en résulta<br />

un système de bénéfices qui s’articulait autour de deux moments<br />

bien définis : celui du jugement par le biais de la fixation de la peine<br />

à infliger, et celui de l’exécution de la peine par la voie de l’application<br />

de mesures alternatives à la détention (art. 13 d.-l. n° 306/<br />

1992).<br />

Dans le cadre du procès pénal au sens strict, tout d’abord, l’article<br />

8 du décret-loi n° 152/1991 introduisit principalement, pour les<br />

infractions relevant de la criminalité de type mafieux (50), des bénéfices<br />

pour le prévenu «qui se dissocie de ses complices et s’emploie<br />

afin d’éviter que les activités délictueuses soient poursuivies (portate<br />

a conseguenze ulteriori), et ce faisant prête un concours effectif aux<br />

autorités de police ou à l’autorité judiciaire pour trouver des éléments<br />

décisifs pour la reconstruction des faits et pour l’identification<br />

ou l’arrestation des auteurs de l’infraction». Lorsque ces conditions<br />

sont remplies, le prévenu pourra bénéficier d’une conversion<br />

de la peine à perpétuité en peine de réclusion de douze à vingt ans<br />

et d’une remise allant d’un tiers à la moitié pour les autres peines.<br />

Le fait d’empêcher que les activités criminelles soient poursuivies<br />

ou produisent d’autres conséquences représente un élément essentiel.<br />

La collaboration dite «purement probatoire» n’est en effet pas<br />

importante en tant que telle, mais seulement lorsqu’elle est apte à<br />

interrompre le processus criminel, ou du moins à empêcher l’aggravation<br />

de ses conséquences préjudiciables. L’autre condition nécessaire<br />

pour l’application de la mesure de remise de peine est l’acte de<br />

prise de distance (dissociazione). Le texte de loi est cependant assez<br />

obscur au sujet de la signification exacte de cette prise distance ou<br />

au sujet des paramètres utilisés pour définir les cas de collaboration<br />

probatoire inspirés par une prise de distance véritable. D’un point<br />

de vue davantage inhérent à la lettre de la loi et à la probable<br />

intention du législateur, la dissociazione a été interprétée en tant<br />

(50) Celle visée à l’art. 416bis C. pén. (incriminant l’organisation de type mafieux), celles commises<br />

en se prévalant des conditions prévues par cette disposition, ainsi que celles visant à favoriser<br />

l’activité des organisations de type mafieux.


210 gaetana morgante<br />

que rupture du pactum sceleris et de prise de distance par rapport<br />

aux complices. En effet, la disposition prévoit la possibilité d’application<br />

des circonstances atténuantes uniquement pour les délits<br />

comportant une certaine permanence de la situation criminelle de<br />

manière à ce que, d’une part, l’accomplissement effectif d’activités<br />

criminelles soit identifiable et, de l’autre, qu’il soit possible d’envisager<br />

des conséquences supplémentaires de ces activités que l’aide<br />

du collaborant peut éviter. Il va donc de soi que, au-delà de l’hypothèse<br />

du délit par association visé à l’article 416bis C. pén. (association<br />

de type mafieux), la remise de peine est applicable uniquement<br />

si les activités criminelles ne sont pas complètement achevées.<br />

Quant à l’élément de la prise de distance, il est nécessaire de vérifier<br />

que la contribution probatoire du collaborateur ait été précédée<br />

d’une rupture réelle du lien avec ses associés. Cela revient à établir<br />

au préalable, et avec une certitude absolue, que le choix de collaborer<br />

n’est pas une tactique émanant de l’organisation criminelle<br />

elle-même et qu’il n’est donc pas inspiré par des motivations opposées<br />

à celles de la prise de distance.<br />

En ce qui concerne la phase d’exécution de la peine, une réglementation<br />

prévoyant des bénéfices fut introduite par la loi n° 356/<br />

1992, en particulier en ce qui concerne les mesures alternatives à la<br />

détention. Des durcissements de régime furent en effet introduits<br />

dans le droit pénitentiaire pour les mafieux «irréductibles», alors<br />

que les mafieux «dissociés» bénéficièrent de mesures d’assouplissement,<br />

grâce à une disposition à caractère exceptionnel permettant<br />

d’appliquer aux collaborateurs de justice les mesures alternatives à<br />

la détention sans tenir compte des limites généralement prévues<br />

pour leur application.<br />

Un examen plus approfondi des dispositions légales en vigueur,<br />

eu égard notamment aux dernières réformes, s’impose. Une telle<br />

analyse permet de mettre en évidence les aspects critiques de la gestion<br />

du phénomène des repentis en Italie.<br />

3.3. – Les conditions d’accès au régime de collaboration<br />

avec la Justice<br />

Aux termes de la loi, les individus exposés à des menaces graves<br />

et imminentes en raison de leur collaboration avec la Justice – aussi<br />

bien les «repentis» que les «témoins de justice» (pour ces derniers, cf.<br />

§4.2 et suivants) peuvent bénéficier du recours à des mesures de


lutte contre la criminalité en italie 211<br />

protection. Celles-ci s’appliquent également aux personnes exposées<br />

à des menaces similaires à cause de leurs relations avec les collaborateurs<br />

ou témoins de justice. L’admission au programme de protection<br />

représente, pour les collaborateurs de justice, la clé d’accès<br />

aux bénéfices destinés à récompenser leur comportement.<br />

Le décret-loi n° 8 du 15 janvier 1991, transposé avec modifications<br />

par la loi n° 82 du 15 mars 1992, représente la première réglementation<br />

cohérente de cette matière, et la loi n° 45/2001 a contribué<br />

à la rationaliser. Plus récemment, le décret ministériel n° 161/<br />

2004 est intervenu pour la développer davantage.<br />

La définition des conditions nécessaires pour bénéficier des avantages<br />

liés à la collaboration avec la Justice est l’un des domaines où<br />

la réforme de 2001 exerça une influence déterminante. La nouvelle<br />

législation en matière de collaborateurs de la Justice, résultant de<br />

l’entrée en vigueur de la loi n° 45/2001, se caractérisait clairement,<br />

en fait, par une tentative de fixer des limites par rapport au passé.<br />

Plus particulièrement, le législateur entendait, d’une part, permettre<br />

une sélection plus rigoureuse des aspirants collaborateurs, tout<br />

en évitant, comme cela était apparu dans la pratique dès 1991, que<br />

les bénéfices de la loi fussent accordés même aux individus se contentant<br />

de fournir aux forces de police des éléments d’information<br />

dépassés et non dignes de foi. D’autre part, on entendait parvenir<br />

à une garantie d’authenticité accrue dans les déclarations ainsi que<br />

dans l’ensemble des activités de collaboration. Afin d’atteindre ces<br />

objectifs, le législateur a prescrit, en 2001, que la collaboration ou<br />

les déclarations remplissent les conditions suivantes.<br />

1) Elles doivent être faites dans le cadre d’une procédure pénale.<br />

Il en découle que, au sens de l’article 16quater al. 6 loi n° 82/1991, les<br />

informations qui peuvent figurer au procès-verbal relatif au contenu<br />

de la collaboration comprennent uniquement celles qui sont susceptibles<br />

d’apparaître dans la procédure. Il s’agit, en vertu de<br />

l’article 194 C. proc. pén., de celles qui peuvent faire l’objet d’un<br />

témoignage, à l’exclusion de tous les renseignements et informations<br />

que le sujet connaît par ouï-dire ou de situations analogues. Pour<br />

une partie de la doctrine (51), cette disposition se prête à une double<br />

lecture. Suivant une interprétation stricte, les renseignements et les<br />

informations n’ayant pas le caractère de témoignage ne pourraient<br />

(51) M. Pisani, Studi di diritto premiale, Milano, Giuffrè, 2001.


212 gaetana morgante<br />

pas être utilisés dans le cadre de la procédure. Selon une interprétation<br />

plus plausible, l’utilisation des déclarations du collaborateur<br />

serait uniquement soumise aux mêmes limites de recevabilité que le<br />

témoignage. Il s’ensuit, par exemple, que les renseignements ne peuvent<br />

faire référence à la moralité des personnes. Par ailleurs, le collaborateur<br />

peut garder pour lui d’autres renseignements que ceux<br />

devant figurer au procès-verbal relatif au contenu de la collaboration<br />

(52)).<br />

2) Au sens de l’article 9 al. 3, les déclarations doivent répondre<br />

aux caractéristiques suivantes :<br />

a) fiabilité intrinsèque,<br />

b) nouveauté,<br />

c) importance significative pour le déroulement de l’enquête ou<br />

aux fins du jugement ou, encore, pour les activités d’enquête concernant<br />

les structures, les dotations en armes, explosifs ou biens, les<br />

articulations et les ramifications nationales et internationales des<br />

organisations criminelles, de type terroriste ou subversif, ainsi que<br />

les objectifs, les finalités et les modes de fonctionnement de ces<br />

organisations.<br />

3) Afin d’éviter le risque de « déclaration par tranches», le législateur<br />

s’est en outre soucié de garantir que les activités de collaboration<br />

soient fournies en temps utile (soit leur tempestività). En particulier,<br />

aux termes de l’article 16quater, pour bénéficier des mesures<br />

spéciales de protection, la personne qui a manifesté la volonté de<br />

collaborer doit faire part au procureur de la République, dans un<br />

délai de cent quatre-vingts jours, de tous les renseignements en sa<br />

possession dans le but de faciliter la reconstruction des faits et des<br />

circonstances sur lesquelles elle est interrogée (ou d’autres faits,<br />

dont elle a connaissance, de gravité et d’importance plus élevées) et<br />

de permettre de localiser et d’arrêter leurs auteurs. De même, le collaborateur<br />

est tenu de livrer dans ce délai les informations permettant<br />

de procéder à la séquestration et la confiscation de l’argent,<br />

des biens et de toutes autres utilités dont lui-même ou − eu égard<br />

aux faits dont il a connaissance − toute autre personne appartenant<br />

à des groupes criminels disposent directement ou indirectement.<br />

(52) Doivent résulter du procès-verbal : a) tous renseignements en sa possession permettant la<br />

reconstitution des faits sur lesquels il est interrogé et b) les renseignements similaires sur des faits<br />

de gravité plus importante ou d’importance sociale majeure.


lutte contre la criminalité en italie 213<br />

Dans ledit délai, un «procès-verbal relatif au contenu de la<br />

collaboration» doit être rédigé (art. 16quater, al. 3) suivant les modalités<br />

décrites à l’article 141bis C. proc. pén. (qui prescrit, sous peine<br />

de ne pas pouvoir utiliser les déclarations, la reproduction intégrale<br />

de l’interrogatoire au moyen de dispositifs d’enregistrement phonographiques<br />

et audiovisuels ou, à défaut de tels dispositifs, sous la<br />

forme de l’expertise ou du conseil technique). Le procès-verbal<br />

figure, dans son intégralité, au dossier prévu à cet effet auprès du<br />

procureur de la République à qui les déclarations ont été faites et,<br />

sous forme d’extraits, au dossier prévu à l’article 416 al. 2 C. proc.<br />

pén. relatif à la procédure à laquelle les déclarations se réfèrent. Le<br />

procès-verbal est tenu secret pour toute la durée du maintien du<br />

secret sur les extraits.<br />

4) Pour parer à d’éventuels autres risques de corruption des<br />

déclarations du collaborateur, l’article 13 al. 14 impose que le sujet<br />

soit soumis à un régime d’isolement au moyen de l’interdiction au<br />

défenseur d’assister plusieurs repentis dans leurs déclarations, lorsque<br />

celles-ci se référent au(x) même(s) accusé(s), ainsi que par<br />

l’interdiction de soumettre la personne faisant les déclarations aux<br />

entretiens aux fins d’investigations (visés à l’article18bis loi n° 354/<br />

1975; voir supra §1.1). Il est, en outre, interdit aux dites personnes,<br />

et pour la même période, de mener une correspondance épistolaire,<br />

télégraphique ou téléphonique, ainsi que de rencontrer d’autres personnes<br />

collaborant avec la Justice, sauf si celles-ci sont expressément<br />

autorisées en raison d’exigences en matière de sécurité ou lorsque<br />

cela revêt une importance capitale du point de vue familial.<br />

Aux mêmes fins, il est prévu que la personne indique dans le procèsverbal<br />

relatif au contenu de la collaboration les entretiens aux fins<br />

d’investigation qui se seraient déroulés précédemment.<br />

5) Dans le même but d’éviter des déclarations «au comptegouttes»<br />

par le collaborateur, les déclarations du repenti doivent<br />

être complètes, en ce sens que les informations figurant dans le procès-verbal<br />

représentent effectivement tout ce dont le sujet a connaissance.<br />

A cet effet, l’individu est tenu d’attester qu’il ne dispose<br />

pas d’informations utilisables dans le cadre de procédures relatives<br />

à d’autres faits ou situations (même si non directement liés ou pouvant<br />

être rattachés à ceux dont il est question) de forte gravité ou<br />

tels qu’ils révèlent la dangerosité sociale d’individus isolés ou de<br />

groupes criminels.


214 gaetana morgante<br />

Les modalités prescrites pour la rédaction du procès-verbal relatif<br />

au contenu de la collaboration doivent être respectées sous peine<br />

d’impossibilité d’utiliser les déclarations comme preuves dans la<br />

procédure, à la seule exception des actes d’interrogatoire qu’il est<br />

impossible de répéter (en raison du décès de l’interrogé, par exemple).<br />

Lorsque les conditions sont remplies, les collaborateurs pourront<br />

bénéficier non seulement de mesures spéciales de protection (§3.4),<br />

mais aussi de circonstances atténuantes spéciales et d’avantages<br />

pénitentiaires (§3.5).<br />

3.4. – Les mesures de protection<br />

En application de l’article 13 de la loi n° 82/1991, le décret ministériel<br />

n° 161/2004 définit les trois catégories de mesures de protection<br />

pouvant être adoptées par la Commission centrale pour la définition<br />

et l’application des mesures spéciales de protection. Il précise<br />

que la demande d’adoption de ces mesures ainsi que tout acte ou<br />

procédure qui y fait suite doivent être couverts par le secret professionnel<br />

(53). Il s’agit :<br />

a) d’un plan provisoire de protection à adopter en cas de situation<br />

d’une gravité particulière; lorsque l’urgence est exceptionnelle<br />

et ne permet pas d’attendre la décision de la Commission centrale,<br />

certaines mesures prévues par le plan provisoire peuvent être<br />

adoptées par le préfet; la Commission en tiendra compte lors de<br />

sa décision;<br />

b) des mesures spéciales de protection (hormis les cas de programme<br />

spécial de protection), ordonnées par la Commission mais<br />

déterminées et mises en œuvre par le préfet;<br />

c) des mesures spéciales de protection appliquées conformément à<br />

la définition d’un programme spécial de protection.<br />

Il s’agit de mesures caractérisées par leur «gradation» car leur<br />

intensité et leur durée respective sont proportionnelles au niveau<br />

d’exposition au danger et à l’importance des déclarations faites par<br />

le coupable (54).<br />

(53) Au sens de l’art. 10ter loi n° 81/2001.<br />

(54) Pour le détail du contenu des mesures de protection, cf. §3.4.3.


lutte contre la criminalité en italie 215<br />

En ce qui concerne le premier aspect, à savoir celui de l’intensité, le<br />

décret ministériel introduit explicitement le principe de l’adaptation<br />

constante des mesures à la situation personnelle du sujet auquel elles<br />

se rapportent. En vertu de l’article 10 al. 6 du décret n° 161/2004, la<br />

Commission centrale peut notamment modifier les mesures de protection<br />

de façon temporaire ou définitive. Dans ce dernier cas, la Commission<br />

peut également ordonner, si elle le juge nécessaire, la conversion<br />

du programme spécial de protection en mesures spéciales de<br />

protection, au même titre que le retour des intéressés dans leur localité<br />

d’origine. Une telle décision peut être également adoptée à l’égard des<br />

sujets qui s’orientent vers un parcours de réinsertion sociale et professionnelle,<br />

pour lesquels les mesures d’assistance prévues dans le cadre<br />

du programme spécial de protection ne sont plus nécessaires. A<br />

l’inverse, en cas d’aggravation du niveau d’exposition au danger, les<br />

mesures peuvent être prorogées ou renforcées (art. 10, al. 12).<br />

En ce qui concerne le caractère nécessairement temporaire des<br />

mesures (art. 10, al. 8), celles-ci ne peuvent avoir cours sur une<br />

durée inférieure à six mois et supérieure à cinq ans.<br />

La Commission centrale est donc investie de la fonction de garantir<br />

l’adéquation des mesures à la situation spécifique du collaborateur<br />

(en accord avec les autorités requérantes), ainsi que sa sécurité,<br />

afin de parvenir en fin de compte au changement d’identité prévu<br />

à l’article 13quater loi n° 82/1991. Dans ce but spécifique, l’article 11<br />

al. 6 du décret de 2004 prévoit que les mesures peuvent être modifiées<br />

ou révoquées, même d’office, compte tenu des impératifs de<br />

participation au procès, de l’exposition au danger, de la compatibilité<br />

des décisions proposées avec les exigences de sécurité et du<br />

temps écoulé depuis leur adoption (55).<br />

3.4.1. – La procédure pour l’octroi de la protection<br />

La Commission centrale pour la définition et l’application des<br />

mesures spéciales de protection est l’autorité compétente pour<br />

l’adoption de mesures de protection (56); elle regroupe des experts<br />

(55) Dans ce cas, la Commission demande l’avis de l’autorité compétente, lequel ne serait − semble-t-il<br />

− pas contraignant comme le définit explicitement l’art. 11, al. 3 d. m. n° 161/2004 au sujet<br />

de la faculté pour la Commission de prendre la décision, en tout état de cause, après avoir patienté<br />

en vain jusqu’au terme du délai de trente jours à compter de l’introduction de la demande.<br />

(56) Elle est constituée par décret du ministre de l’Intérieur, de conserve avec le ministre de<br />

la Justice, après avoir entendu les ministres intéressés (art. 10, al. 2 loi n° 82/1991).


216 gaetana morgante<br />

en la matière (57). Un décret interministériel du 26 novembre 1991<br />

définit les devoirs d’instruction de la Commission centrale, de même<br />

que le délai de validité du programme de protection (de six mois à<br />

cinq ans pouvant être prorogé), les critères fondamentaux auxquels<br />

il convient de se conformer dans la formulation de la demande du<br />

programme, les différentes mesures de protection et d’assistance<br />

envisageables et, enfin, les règles à respecter dans la mise en œuvre<br />

du programme.<br />

La Commission délibère sur proposition du procureur de la République<br />

ou du magistrat préposé ou délégué à la Direction antimafia<br />

de district (Direzione distrettuale antimafia) compétents pour les<br />

faits dont il est question dans les déclarations du collaborateur.<br />

Lorsque les déclarations concernent les infractions visées à<br />

l’article 51 al. 3bis du Code de procédure pénale, le décret ministériel<br />

n° 161/2004 a introduit l’obligation de communiquer la demande au<br />

procureur national antimafia, lequel, en cas d’enquêtes connexes,<br />

procède aux démarches de coordination nécessaires. En revanche,<br />

pour les infractions à finalité terroriste (visées par la loi n° 438/<br />

2001), la demande doit être communiquée aux procureurs généraux<br />

intéressés. Cela permet de garantir la circulation complète et efficace<br />

de l’information entre tous les organes intéressés.<br />

En vertu de l’article 3 d. m. n° 161/2004, la demande d’adoption<br />

de mesures spéciales de protection contient les informations<br />

suivantes :<br />

a) des précisions relatives aux délits et aux organisations criminelles<br />

à propos desquelles l’intéressé fait les déclarations;<br />

b) des informations relatives aux éléments permettant de déduire<br />

que les déclarations sont fondamentalement dignes de foi et caractérisées<br />

par leur nouveauté et leur exhaustivité;<br />

c) des précisions quant aux motifs pour lesquels les déclarations<br />

semblent avoir une importance significative pour le déroulement de<br />

l’enquête ou aux fins de jugement;<br />

d) des informations relatives aux mesures prises, même à caractère<br />

conservatoire, ou à la mise en œuvre de mesures de prévention,<br />

(57) La Commission est composée d’un sous-secrétaire d’Etat au Département de l’intérieur<br />

(qui la préside), deux magistrats et cinq fonctionnaires et officiers de police. Les magistrats ne<br />

peuvent exercer aucune fonction de magistrat du siège dans les procédures dans lesquelles interviennent,<br />

à quelque titre que ce soit, des sujets pour lesquels la Commission a décidé, avec leur<br />

participation, d’appliquer des mesures de protection (art. 10 loi n° 82/1991).


lutte contre la criminalité en italie 217<br />

éventuellement adoptées sur la base des déclarations faites par le<br />

sujet concerné, de même que les éventuelles déclarations faites par<br />

ce dernier en audience préliminaire ou en audience des débats;<br />

e) des renseignements relatifs aux informations fournies par le collaborateur<br />

pour la localisation, la séquestration et la confiscation de<br />

l’argent, des biens et de toutes autres avantages dont lui-même ou<br />

d’autres personnes appartenant à des groupes criminels disposent,<br />

directement ou indirectement, de même que des informations au<br />

sujet d’éventuels versements effectués par le collaborateur, ayant<br />

permis aux autorités judiciaires de saisir l’argent provenant d’activités<br />

illicites;<br />

f) des précisions détaillées (destinées éventuellement à la détermination<br />

des mesures d’aide économique, en ce compris l’allocation de<br />

subsistance) sur les valeurs, les biens et toutes autres avantages<br />

contrôlés ou possédés soit directement par le collaborateur, soit par<br />

personne interposée, de même que des informations relatives aux<br />

vérifications effectuées et aux éléments d’information obtenus au<br />

sujet du patrimoine réel du collaborateur;<br />

g) des informations relatives à l’existence ou non de mesures préventives,<br />

ou de procédures d’application de ces mesures au sens de<br />

la loi n° 575/1965;<br />

h) des précisions sur les circonstances sur la base desquelles sont<br />

déduites la dangerosité et l’imminence des menaces, de même que<br />

sur la question de savoir si ces menaces découlent de la collaboration<br />

ou des déclarations faites par l’intéressé dans le cadre d’une<br />

procédure pénale;<br />

i) des informations sur les mesures normales de protection adoptées<br />

éventuellement par les autorités de police compétentes ou, dans<br />

le cas de personnes incarcérées ou internées, par le Ministère de la<br />

justice (Département de l’administration pénitentiaire);<br />

j) des précisions quant aux motifs qui déterminent l’inadéquation<br />

des mesures de protection susdites.<br />

La communication de la demande d’adoption des mesures spéciales<br />

de protection, effectuée par les autorités requérantes, doit être<br />

accompagnée par la rédaction du procès-verbal relatif au contenu<br />

de la collaboration visé à l’article16quater de la loi n° 82/1991. Au<br />

cas où la rédaction du procès-verbal aurait lieu à un moment ultérieur<br />

à la demande d’adoption des mesures spéciales de protection


218 gaetana morgante<br />

(par exemple, dans le cas de la mise en œuvre d’un plan provisoire<br />

de protection), mais tout de même dans le délai fixé pour la collaboration<br />

utile (180 jours à dater du moment où le sujet a manifesté<br />

la volonté de collaborer), les autorités requérantes le notifieront<br />

immédiatement à la Commission centrale.<br />

La demande donne, en outre, des informations détaillées au sujet<br />

des autres personnes destinées à bénéficier des mesures de protection,<br />

parmi lesquelles figurent les données relatives à l’état civil, à<br />

l’éventuel lien de parenté ou à la cohabitation avec le collaborateur.<br />

Des précisions détaillées sont également données au sujet de la dangerosité,<br />

l’imminence et la nature des menaces qui rendent nécessaire<br />

l’élargissement des mesures spéciales de protection à d’autres<br />

personnes que celles qui cohabitent de manière habituelle avec le<br />

collaborateur. Les mesures spéciales de protection adoptées peuvent<br />

en effet être étendues à d’autres personnes que le collaborateur, sur<br />

demande des autorités requérantes (58).<br />

D’éventuelles irrégularités lors de la signature de la demande<br />

entraînent l’irrecevabilité de l’acte. Dans ce cas, la Commission renvoie<br />

l’acte au service concerné pour régularisation. Dès lors qu’il<br />

s’agit de mettre en mouvement une procédure administrative longue<br />

et coûteuse, il est nécessaire de disposer de la garantie que la<br />

demande a bien été transmise par le chef dudit service. Un renvoi<br />

similaire est prévu dans le cas où la Commission estime que la<br />

demande d’adoption des mesures spéciales de protection ne contient<br />

pas certains des renseignements énumérés précédemment ou considère<br />

les informations disponibles comme insuffisantes pour prendre<br />

sa décision. Dans cette hypothèse, la Commission demande l’obtention<br />

des autres informations ou documents nécessaires.<br />

Lorsque les conditions indispensables pour l’octroi des mesures<br />

spéciales de protection ne sont pas remplies, la demande d’adoption<br />

sera rejetée. La demande sera aussi rejetée en présence d’éléments<br />

tels que la diminution des menaces ou la réalisation d’activités<br />

(58) Dans la demande d’élargissement des mesures spéciales de protection, ces dernières doivent<br />

préciser: a) les motifs qui justifient une telle mesure; b) les éléments sur la base desquels l’on<br />

déduit l’imminence, la gravité et la nature des menaces; c) les motifs pour lesquels les mesures<br />

de protection normales sont insuffisantes pour protéger l’intégrité des intéressés; d) les motifs qui<br />

ont auparavant poussé les autorités requérantes à ne pas inclure les intéressés dans la proposition<br />

originelle d’adoption des mesures spéciales de protection et les circonstances qui les ont amenées<br />

à le demander par la suite; e) les relations existant entre les personnes visées par la demande<br />

d’élargissement des mesures et les personnes qui font les déclarations.


lutte contre la criminalité en italie 219<br />

(notamment le non-respect des engagements pris ou la commission<br />

d’infractions) qui indiquent clairement la réinsertion du sujet dans<br />

le circuit criminel; ou, encore, lorsque la rédaction du procès-verbal<br />

relatif au contenu de la collaboration n’a pas été effectuée dans les<br />

termes définis par la loi.<br />

Une disposition contenue dans le d. m. n° 161/2004 (art. 3, al. 8)<br />

est, à cet égard, extrêmement importante et innovante. Celle-ci permet<br />

à la Commission d’adopter des mesures différentes par rapport<br />

à la demande des autorités requérantes, sur la base des informations<br />

recueillies à propos du degré de menace, ainsi qu’à propos des<br />

besoins propres aux sujets intéressés. Cependant, si aucun problème<br />

ne se pose dans le cas où la Commission opte pour l’adoption de<br />

mesures moins lourdes par rapport à celles proposées, davantage de<br />

questions interprétatives peuvent être soulevées lorsque la Commission<br />

juge nécessaire l’adoption de mesures dépassant les premières.<br />

Dans cette hypothèse, il y a un risque non seulement d’une discordance<br />

entre ce qui est demandé et l’objet de la délibération, mais<br />

également d’une véritable absence de corrélation entre petitum et<br />

decisum.<br />

Il s’ensuit que les compétences attribuées par le nouveau règlement<br />

à la Commission centrale ne se limitent pas à la décision sur<br />

des demandes provenant d’autres autorités; elle est aussi dotée d’un<br />

pouvoir d’initiative autonome (59).<br />

Par ailleurs, l’article 10 al. 2 du décret ministériel permet à la<br />

Commission de modifier le contenu des mesures spéciales de protection<br />

déjà adoptées. Aussi, la modification ou la révocation avant<br />

terme des mesures spéciales de protection peut être motivée par la<br />

nécessité de favoriser la réinsertion sociale et professionnelle du collaborateur<br />

(art. 11, al. 6).<br />

En outre, l’article 5 du décret ministériel prévoit que la Commission<br />

peut exiger de l’autorité judiciaire et des préfets qu’ils fournissent<br />

toute information qu’elle juge nécessaire, même au-delà de ce<br />

qui est exigé par la loi. De leur côté, les préfets sont tenus de communiquer<br />

au secrétariat de la Commission tout élément utile con-<br />

(59) La Commission ne peut donc pas être considérée comme un simple organe de supervision,<br />

car elle prend les traits d’un véritable organe d’administration, qui peut porter un regard différent<br />

de celui de l’organe juridictionnel sur les données contenues dans la proposition, de même<br />

qu’adopter des mesures propres au programme de protection même en l’absence d’une demande<br />

explicite en ce sens.


220 gaetana morgante<br />

cernant le comportement des intéressés, l’efficacité des mesures<br />

adoptées, les possibilités concrètes de réinsertion socioprofessionnelle,<br />

ainsi que toute autre proposition jugée utile.<br />

3.4.2. – Les obligations des bénéficiaires d’une protection<br />

Dans la logique «transactionnelle» à la base du système législatif<br />

italien dans le domaine des repentis, les collaborateurs bénéficiant<br />

de mesures de protection font l’objet d’un certain nombre d’obligations<br />

(60). En particulier, l’article 9 du d. m. n° 161/2004 prévoit que<br />

le contenu des mesures spéciales de protection et des programmes<br />

spéciaux de protection doivent être rapportés dans un document<br />

signé par le collaborateur, qui s’engage aussi au nom de ses enfants<br />

mineurs. La signature ne peut être partielle et suppose l’entière<br />

adhésion à toutes les clauses contenues dans l’acte, y compris celles<br />

relatives aux obligations résultant des mesures spéciales ainsi que<br />

des programmes de protection. Le refus de signer l’acte entraîne,<br />

dans tous les cas, l’annulation des mesures spéciales de protection<br />

ou du programme. En signant ledit acte, le collaborateur de justice<br />

s’engage notamment à respecter les prescriptions prévues par l’article<br />

12 al. 1 er et 2 de la loi n° 82 du 15 mars 1991, et atteste d’avoir<br />

pris connaissance des conséquences liées au non-respect de celles-ci,<br />

ainsi que des conséquences liées aux comportements visés à<br />

l’article 13quater al. 2 loi n° 82/1991. Cela suppose notamment :<br />

a) le respect des normes de sécurité prescrites et la participation<br />

active à la mise en œuvre des mesures;<br />

b) la participation aux interrogatoires, examens ou tout autre<br />

acte d’enquête, y compris celui de la rédaction du procès-verbal<br />

relatif au contenu de la collaboration;<br />

c) le respect des obligations prévues par la loi et des obligations<br />

contractées;<br />

d) l’interdiction de faire des déclarations, à des sujets autres que<br />

l’autorité judiciaire, les forces de police et le défenseur, concernant<br />

des faits de quelque intérêt que ce soit dans le cadre des procédures<br />

sur lesquelles portent les déclarations, et l’interdiction de rencontrer<br />

ou contacter de quelque manière que ce soit, ou par l’intermédiaire<br />

de qui que ce soit, des personnes s’adonnant au crime ou des colla-<br />

(60) Notons qu’une partie de ces obligations concerne aussi les témoins protégés.


lutte contre la criminalité en italie 221<br />

borateurs de justice, sauf sous autorisation judiciaire lorsque l’exigent<br />

de graves motifs liés à la vie familiale;<br />

e) le relevé détaillé de l’ensemble des biens possédés ou contrôlés<br />

directement ou par personne interposée et des autres avantages disponibles<br />

directement ou indirectement, ainsi que (après l’admission<br />

aux mesures spéciales de protection) le versement à l’administration<br />

de la Justice de l’argent obtenu au moyen d’activités illicites.<br />

L’autorité judiciaire procède à la saisie immédiate de l’argent, des<br />

biens et des avantages susdits.<br />

La poursuite des activités criminelles par le collaborateur constitue<br />

une cause d’interruption du programme de protection, de même<br />

qu’elle entraîne le retour du collaborateur en établissement pénitentiaire.<br />

Cela représente, en effet, une violation de l’interdiction fondamentale<br />

de garder des contacts avec l’organisation dont l’intéressé<br />

dépendait.<br />

Aussi, des déclarations mensongères constituent une cause d’annulation<br />

des mesures spéciales de protection au sens de l’article 13quater<br />

loi n° 82/1991, dans la mesure où il s’agit de l’hypothèse la plus flagrante<br />

de violation des obligations du collaborateur.<br />

3.4.3. – Le contenu spécifique des mesures de protection<br />

Le d. m. n° 161/2004 n’a pas introduit de nouvelles catégories de<br />

mesures, mais a précisé le contenu des mesures spéciales de protection<br />

à adopter à l’égard des collaborateurs de justice, déjà régies par<br />

la loi de 1991. Plus particulièrement, dans le but de parvenir à leur<br />

harmonisation avec la nouvelle configuration de la Commission centrale<br />

résultant de la récente réforme, l’article 6 du décret ministériel<br />

veille à préciser en guise de liminaire que le contenu du plan provisoire<br />

de protection est établi par la Commission en fonction de<br />

l’exposition au danger des intéressés, en tenant compte des informations<br />

disponibles ou acquises après la proposition, ainsi que des<br />

renseignements éventuellement fournis par le préfet.<br />

Le plan provisoire de protection peut prévoir la mise en œuvre<br />

(art. 6 d. m. n° 161/2004) :<br />

a) de mesures de surveillance et de protection, dont la prise en<br />

charge incombera aux organes de police compétents;<br />

b) de mesures techniques de sécurité;


222 gaetana morgante<br />

c) de mesures nécessaires pour le transfert dans des communes<br />

différentes de celles du lieu de résidence;<br />

d) du transfert dans des lieux secrets, en cas de menaces particulièrement<br />

importantes;<br />

e) de formes d’aide économique couvrant les dépenses pour le<br />

logement et une allocation de subsistance;<br />

f) de modes particuliers de détention dans les établissements pénitentiaires,<br />

d’exécution du transfert ou de surveillance suivant les<br />

exigences prévues par l’administration pénitentiaire en application<br />

des dispositions en vigueur;<br />

g) de toute autre mesure jugée nécessaire, y compris à caractère<br />

financier.<br />

Les mesures spéciales de protection, si elles ne s’inscrivent pas dans<br />

le cadre d’un programme spécial, peuvent être décidées par la Commission<br />

centrale lorsque les menaces auxquelles sont confrontés les<br />

intéressés ne sont pas d’une gravité telle qu’elles justifient le transfert<br />

en lieu sûr (ou lorsque les intéressés, en tant que témoins de<br />

justice, manifestent des réticences eu égard à l’idée de se rendre en<br />

lieu sûr).<br />

Outre certaines mesures pouvant aussi faire l’objet du plan provisoire<br />

de protection (cf. les points a, c et f), les mesures spéciales<br />

de protection peuvent comprendre (art. 7 d. m. n° 161/2004) :<br />

a) des mesures techniques de sécurité pour la résidence ou les<br />

immeubles investis par les intéressés, y compris les équipements de<br />

vidéosurveillance;<br />

b) des mesures contingentes, y compris à caractère financier,<br />

visant à faciliter la réinsertion sociale;<br />

c) tout autre mesure nécessaire, en accord avec les directives<br />

générales établies par le chef de police.<br />

Enfin, la Commission statue sur l’adoption du programme spécial<br />

de protection lorsque les intéressés sont confrontés à des menaces<br />

d’une gravité telle qu’elles justifient le transfert en lieu sûr.<br />

A son tour, le programme spécial de protection comprend, outre<br />

les mesures de surveillance policière, les mesures techniques et les<br />

modes particuliers de détention et de transfert, déjà mentionnés<br />

(art. 8 d. m. n° 161/2004) :


lutte contre la criminalité en italie 223<br />

a) le transfert en lieux sûrs des personnes non détenues (61);<br />

b) les mesures nécessaires pour les transferts dans des communes<br />

différentes de celles où se trouve le lieu sûr;<br />

c) des modes spéciaux de compilation de la documentation et de<br />

communication avec le service informatique;<br />

d) des mesures d’assistance aux personnes et d’aide financière;<br />

e) l’utilisation de pièces d’identité de couverture pour assurer la<br />

sécurité, la confidentialité et la réinsertion sociale des intéressés;<br />

f) le changement d’identité. Il s’agit assurément d’une mesure de<br />

protection fondamentale des collaborateurs de justice. Cette mesure<br />

a fait justement l’objet d’une réglementation détaillée et cohérente<br />

(art. 14 à 17 d. m. n° 161/2004). Le changement d’identité est décidé<br />

par la Commission centrale sur demande des intéressés. Toute personne<br />

bénéficiant du programme spécial de protection qui utilise<br />

des pièces d’identité de couverture peut, pour des raisons de sécurité,<br />

de confidentialité et en vue de sa réinsertion sociale, recevoir<br />

les mêmes données d’état civil que celles figurant dans les pièces<br />

d’identités de couverture utilisées grâce au décret de changement<br />

d’identité. Les actes relatifs au changement d’identité et tout autre<br />

acte relatif à la personne intéressée sont joints au dossier personnel<br />

prévu à cet effet, après avoir été correctement enregistrés. Une fiche<br />

concerne l’identité antérieure et une autre porte sur la nouvelle<br />

identité reçue, où figurent toutes les données inscrites au registre.<br />

Au registre des données doivent figurer les mêmes informations que<br />

celles ayant dû être communiquées par la personne au moment de<br />

la souscription aux engagements au sens de la disposition générale<br />

visée à l’article 12 de la loi n° 82/1991 (62);<br />

g) des mesures susceptibles de favoriser la réinsertion sociale du<br />

collaborateur et des autres personnes sous protection;<br />

(61) Cass., Sez. VI, 27 avril 1999, n° 849, ric. D’Abramo. Le collaborateur de justice qui, étant<br />

admis au programme de protection, est transféré dans un lieu protégé, ne peut pas être considéré<br />

comme un détenu aux effets de la loi (par exemple relativement à la question de l’application<br />

de l’article 141bis C. proc. pén. lors de l’interrogatoire), en raison du fait qu’il n’a pas perdu sa<br />

liberté, mais qu’il subit simplement des limitations de sa liberté de domicile et de circulation à<br />

cause de l’application d’un programme qui a été établi pour assurer sa protection et qu’il a librement<br />

souscrit et accepté.<br />

(62) C’est-à-dire les nouveaux nom et prénom; les nouvelles indications du lieu et de la date<br />

de naissance et les autres données de l’état civil, de même que les données médicales et fiscales;<br />

l’extrait du casier judiciaire; les données d’état civil, les éventuelles habilitations, concessions et<br />

autorisations; les licences et éventuels certificats d’études, diplômes et attestations de formation<br />

professionnelle délivrés à la personne sous sa nouvelle ou son ancienne identité.


224 gaetana morgante<br />

h) des mesures exceptionnelles, y compris à caractère financier,<br />

éventuellement nécessaires et, en particulier, l’aménagement et les<br />

frais de logement, les frais de transport justifiés par des motifs de<br />

sécurité, de santé ou pour la réinsertion sociale, les frais médicaux<br />

si les structures publiques normales ne peuvent être utilisées, l’allocation<br />

de subsistance en cas d’impossibilité d’exercer des activités<br />

professionnelles, l’assistance légale se rapportant aux procédures<br />

pénales liées à l’activité de collaboration, ou pour les procédures<br />

relatives à la mise en œuvre des mesures de sécurité, de prévention<br />

et pour celles devant la magistrature de surveillance (63) pour chaque<br />

phase de la procédure, y compris celle d’exécution.<br />

3.4.4. – Le Service central de protection<br />

Le d. m. n° 161/2004 attribue explicitement au Service central de<br />

protection (64) au sein du Département de la sécurité publique la<br />

compétence de mise en œuvre et de détermination des modes d’exécution<br />

du programme spécial de protection décidé par la Commission<br />

centrale. Il s’agit donc d’une institution qui remplit un rôle<br />

d’auxiliaire par rapport aux activités de la Commission.<br />

Le Service central de protection s’articule autour de deux Sections,<br />

dotées chacune de personnel et de structures différentes et<br />

autonomes, dont l’une est compétente en matière de collaborateurs<br />

de justice et l’autre en matière de témoins de justice.<br />

Pour ce qui est des attributions du Service central de protection,<br />

il convient de faire remarquer que ce dernier peut en quelque sorte<br />

faire fonction d’«écran de protection» (65) vis-à-vis du collaborateur,<br />

d’une part en cas d’avantages pénitentiaires (par le biais de la préparation<br />

des modes d’exécution des mesures et de la prise en charge<br />

des notifications, des communications et de l’exécution des ordonnances<br />

du tribunal ou du magistrat de surveillance) et, d’autre part,<br />

lorsque l’autorisation de délivrer les pièces d’identité de couverture<br />

est donnée (art. 13 al. 11 d. m. n° 161/2004).<br />

Le Service central de protection s’est vu doter de nouvelles compétences<br />

par le décret ministériel de 2004. Cette réforme des com-<br />

(63) Juge de l’application des peines.<br />

(64) Institué par le décret-loi n° 8 de 1991 sur les collaborateurs et les témoins de justice.<br />

(65) I. e. agir comme intermédiaire pour les activités qui impliquent un contact entre le collaborateur<br />

et un organisme publique; par exemple, en établissant un contrat de location.


lutte contre la criminalité en italie 225<br />

pétences du Service répond adéquatement aux critiques formulées à<br />

l’égard des carences présentées par la réglementation de 1991 sur le<br />

plan de l’organisation de la mise en œuvre du programme spécial.<br />

Dès lors que, sous la loi n° 82/1991, le Service central de protection<br />

était surtout tenu de s’acquitter de devoirs de coordination, en<br />

réservant les tâches purement exécutives aux organes périphériques<br />

des forces de police, un grand nombre de difficultés s’étaient manifestées<br />

dans la phase d’exécution matérielle des mesures de protection<br />

(entre autres, la question de la détermination des lieux destinés<br />

à la détention extra-carcérale du collaborateur). Cette fragmentation<br />

des compétences avait en outre été préjudiciable à la nécessaire<br />

uniformité des comportements de la part des services périphériques<br />

de police, qui ne disposaient même pas de personnel spécialisé.<br />

Ces nouvelles compétences ont certainement permis de renforcer<br />

le rôle du Service de protection dans la phase de mise en œuvre du<br />

programme. La comparaison avec le modèle utilisé aux Etats-Unis<br />

révèle toutefois combien reste souhaitable la constitution d’un corps<br />

de police spécialisé dans la mise en œuvre des programmes de protection<br />

et s’appuyant directement sur le Service central de protection.<br />

3.4.5. – Le Département de l’administration pénitentiaire<br />

L’article 4 al. 5 du d. m. n° 161/2004 octroie au Département de<br />

l’administration pénitentiaire des pouvoirs similaires à ceux des préfets<br />

dans le domaine traité ici. Notamment, en cas de situation<br />

d’urgence exceptionnelle qui ne permet pas d’attendre la décision de<br />

la Commission centrale, l’autorité requérant l’adoption du plan provisoire<br />

de protection signale au Département de l’administration<br />

pénitentiaire la nécessité d’adopter des mesures adéquates afin de<br />

protéger immédiatement l’intégrité de collaborateurs, témoins de<br />

justice ou autres personnes associées à la demande. Dans cette éventualité,<br />

c’est ledit Département qui prend les mesures prévues à<br />

l’article 6, al. 4, lettre f) du décret, à savoir «les modes particuliers<br />

de détention dans les établissements pénitentiaires, d’exécution du<br />

transfert ou de surveillance, suivant les exigences prévues par<br />

l’administration pénitentiaire en application des dispositions en<br />

vigueur». Il s’agit donc d’un renforcement considérable du rôle du<br />

Département de l’administration pénitentiaire par rapport aux prévisions<br />

de départ de la loi n° 82/1991, laquelle obligeait le Départe-


226 gaetana morgante<br />

ment à attendre la proposition de l’autorité judiciaire qui se préparait<br />

à recueillir les déclarations du collaborateur ou à rédiger le<br />

procès-verbal relatif au contenu de la collaboration.<br />

3.5. – Les bénéfices résultant de la collaboration<br />

avec la Justice<br />

La rubrique IIter de la loi n° 82/1991 se réfère aux bénéfices auxquels<br />

le collaborateur peut accéder suite à des déclarations. Il s’agit,<br />

plus particulièrement :<br />

a) de circonstances atténuantes que le Code pénal et les lois particulières<br />

prévoient pour les cas de collaboration. En principe, celles-ci<br />

peuvent être octroyées uniquement après la signature du procès-verbal<br />

relatif au contenu de la collaboration (art. 16quinquies, al. 1 er );<br />

b) de l’annulation ou du remplacement de la mesure de détention<br />

préventive. Aux termes de l’article 16octies, cependant, la mesure de<br />

détention préventive en prison ne peut être automatiquement révoquée<br />

ou remplacée par une mesure moins afflictive au simple motif<br />

de la collaboration (66). Il est nécessaire pour cela que, dans le cadre<br />

des vérifications réalisées afin d’évaluer la nécessité de la détention<br />

préventive, le juge chargé du dossier, après avoir entendu le procureur<br />

national antimafia et les procureurs de district intéressés, ne<br />

dispose pas d’éléments suffisants indiquant l’existence de liens du<br />

sujet avec la criminalité organisée de type mafieux, terroriste ou<br />

subversif. Le juge doit aussi s’assurer que le collaborateur a respecté<br />

tous les engagements (visés à l’art. 12) relatifs à l’observance des<br />

normes de sécurité prescrites, à la participation aux interrogatoires,<br />

à l’interdiction de faire des déclarations à d’autres sujets que l’autorité<br />

judiciaire, à l’interdiction de rencontrer d’autres collaborateurs,<br />

à l’énumération des biens possédés;<br />

c) des avantages pénitentiaires. Comme l’énonce l’article 16nonies,<br />

si la collaboration a eu lieu après le jugement définitif de condamnation,<br />

le collaborateur peut bénéficier (67) des mesures relatives à<br />

(66) Cass. Sez. I, 27 novembre 1996, n° 5433, ric. Alfieri. Le fait qu’une personne soit admise<br />

au programme de protection n’implique pas nécessairement que la présomption de dangerosité<br />

justifiant la détention préventive n’existe plus, dès lors que des indices graves font croire qu’elle<br />

se serait rendue responsable d’infractions comprises par celles mentionnées par l’article 275, al. 3<br />

C. proc. pén.<br />

(67) Sur proposition ou après concertation avec tous les procureurs de la République intéressés<br />

ou le procureur national antimafia.


lutte contre la criminalité en italie 227<br />

la libération conditionnelle, aux congés pénitentiaires, à la détention<br />

à domicile, au travail à l’extérieur de la prison. Comme c’est<br />

le cas pour les mesures de détention préventive, les déclarations ne<br />

déclenchent pas automatiquement l’octroi des avantages pénitentiaires.<br />

Les procureurs sont tenus avant tout de fournir, dans la proposition<br />

ou l’avis, tous les renseignements nécessaires à l’évaluation<br />

des modes de collaboration et de préciser, entre autres, si le collaborateur<br />

a déjà refusé de parler, s’il existe des éléments susceptibles<br />

d’attester son repentir eu égard notamment à l’existence de rapports<br />

avec la criminalité organisée ou à desseins subversifs. Après<br />

avoir reçu la proposition ou l’avis, le tribunal ou le magistrat de<br />

surveillance adopte la mesure sous trois conditions :<br />

1) la collaboration revêt un caractère d’«importance»;<br />

2) le repentir subsiste;<br />

3) il n’existe aucun élément laissant présager des liens avec la criminalité<br />

organisée ou à desseins subversifs.<br />

Ces mesures (tout comme l’admission à la probation sous contrôle<br />

des services sociaux ou à la semi-liberté) peuvent être octroyées<br />

indépendamment des conditions généralement requises pour leur<br />

application, y compris celles relatives à la durée de la peine (68).<br />

Afin d’éviter toutefois que soient octroyés des bénéfices disproportionnés<br />

par rapport aux dispositions légales, il est possible de<br />

déroger aux limites afférant à la peine uniquement si le procès-verbal<br />

relatif au contenu de la collaboration a été signé et (sauf pour<br />

les congés) si le collaborateur a purgé au moins un quart de la peine<br />

infligée ou, dans le cas de sujets soumis à la réclusion à perpétuité,<br />

au moins dix ans de réclusion. Lorsque la collaboration concerne des<br />

procès encore en cours, les bénéfices peuvent être octroyés uniquement<br />

après le jugement de premier degré.<br />

Il convient de souligner que la loi de 2001 a revalorisé le rôle de<br />

la magistrature de surveillance en cas d’octroi d’avantages pénitentiaires.<br />

Cela permet d’éviter, comme cela se produisait sous la réglementation<br />

antérieure, que le collaborateur puisse en bénéficier quasi<br />

sur simple appréciation du procureur de la République compétent.<br />

La réglementation des avantages pénitentiaires s’inspire d’une<br />

logique de loyauté du rapport de collaboration, de gradation de<br />

(68) Cass. Sez. I, 29 juillet 1993, n° 2766, ric. Fiorentino.


228 gaetana morgante<br />

l’octroi des mesures alternatives à la détention (69), ainsi que de<br />

l’appréciation des bénéfices à octroyer en fonction de la pertinence<br />

et de la véracité des déclarations faites au magistrat.<br />

Même après la réforme de 2001, cependant, les critères pour la<br />

quantification de la remise de peine par le juge restent toujours<br />

incertains. Sur le plan pratique, on peut considérer comme adéquate<br />

la référence aux critères courants établis par l’article 133 C. pén. Se<br />

posent toutefois les questions de savoir, d’une part, comment concilier<br />

l’observance de cette disposition avec l’évaluation du degré et<br />

de la nature de la collaboration et, d’autre part, sur quels paramètres<br />

le juge doit se fonder pour mettre en balance l’évaluation de<br />

l’étendue de la collaboration et le jugement de la gravité des infractions<br />

commises par le prévenu coopérant avec la Justice et de sa<br />

tendance au crime.<br />

Il s’agit là de questions qui ont déjà suscité par le passé, et suscitent<br />

encore aujourd’hui, une réflexion qui dépasse les contingences<br />

de situations de crise.<br />

De même, différents problèmes subsistent dans la phase d’exécution<br />

de la peine. Il suffit de mentionner, parmi d’autres, le fait que<br />

la peine de réclusion à perpétuité peut être convertie en probation<br />

sous contrôle des services sociaux, ce qui, selon la réglementation<br />

ordinaire visée à l’article 47 de la loi pénitentiaire (70), est envisageable<br />

uniquement pour des peines d’emprisonnement inférieures à<br />

trois ans. La probation permettant de purger la peine en dehors du<br />

milieu carcéral moyennant le respect de certaines dispositions qui<br />

ne limitent pas particulièrement la liberté individuelle, il est aisé de<br />

percevoir le degré d’innovation de ce type de bénéfice, mais aussi<br />

ses aspects plus problématiques. Les opérateurs ont exprimé des<br />

doutes, surtout pour ce qui est des critères que la magistrature de<br />

surveillance est tenue de suivre pour statuer sur la possibilité de<br />

mettre en œuvre des mesures alternatives à la détention et du choix<br />

entre les différentes mesures théoriquement applicables. En particulier,<br />

des doutes sont apparus sur la question de savoir s’il faut tenir<br />

compte exclusivement de l’analyse de la personnalité du prévenu en<br />

termes de potentiel d’amendement ou s’il convient d’invoquer<br />

(69) Cass. Sez. I, 4 décembre 1996, n° 5523, ric. Chiofalo.<br />

(70) Loi n° 354 du 26 juillet 1975 (Norme sull’ordinamento penitenziario e sull’esecuzione delle<br />

misure privative e limitative della libertà), G.U. 9 août 1975, n° 212.


lutte contre la criminalité en italie 229<br />

d’autres considérations relatives à la valeur de la collaboration<br />

apportée, comme le laisse supposer l’imposition d’un avis obligatoire<br />

de la Commission centrale de protection.<br />

En conclusion, des zones d’ombre importantes subsistent, ainsi<br />

qu’un trop large pouvoir discrétionnaire accordé à l’autorité judiciaire.<br />

Peut-être n’a-t-on pas suffisamment pris en compte le fait<br />

que l’efficacité d’incitation des bénéfices dépend en grande partie de<br />

la clarté des dispositions et de l’automaticité du régime de faveur.<br />

En effet, il est légitime de penser que le prévenu envisageant la possibilité<br />

de collaborer avec la Justice sera d’autant plus enclin à le<br />

faire que les bénéfices sont octroyés de manière quasi automatique<br />

et lui donnent la garantie que sa prise de distance des activités<br />

délictueuses, si elle est sincère et productive de résultats sur le plan<br />

de la procédure, lui permettra de bénéficier d’un aménagement de<br />

la peine. L’incertitude quant aux critères suivant lesquels les bénéfices<br />

sont octroyés et configurés est d’autant plus grande que le<br />

délai séparant la décision de collaborer et l’exécution de la peine est<br />

souvent considérable.<br />

3.6. – Des réformes inachevées<br />

Au vu de l’évolution législative qui, à partir de 1991, a mené à<br />

la création d’un système complexe de réglementation de la collaboration<br />

avec la Justice, il n’est pas sans intérêt d’observer que les<br />

conditions semblent aujourd’hui réunies pour que prenne forme une<br />

politique criminelle qui soit cohérente, non inspirée par l’urgence et<br />

donc pas sujette à tergiversations une fois l’urgence criminelle jugée<br />

− à tort ou à raison − dépassée.<br />

Si toutefois, comme il semble assez probable, la voie de l’encouragement<br />

du phénomène de la prise de distance et de la collaboration<br />

continue à être suivie, il conviendra, avant tout, de garder à<br />

l’esprit que la réforme de 2001 a suffisamment tenu compte des critiques<br />

formulées à l’égard de la loi de 1991.<br />

La législation de 1991 avait soulevé bon nombre de doutes, essentiellement<br />

pour les raisons suivantes :<br />

a) croissance exponentielle du nombre de prévenus et membres de<br />

leur famille sous protection et, donc, nécessité d’une plus grande<br />

sélectivité dans l’octroi des bénéfices;


230 gaetana morgante<br />

b) extension des bénéfices octroyés même en dehors de la sphère<br />

pénitentiaire;<br />

c) automaticité de l’accès aux mesures alternatives à la détention.<br />

Il faut aussi rappeler le problème des activités criminelles perpétrées<br />

parfois par des personnes sous protection.<br />

La loi n° 45/2001 a tenté de répondre aux différentes critiques<br />

adressées à la législation en matière de collaborateurs de justice suivant<br />

quelques axes fondamentaux :<br />

1) réduction drastique du nombre de collaborateurs et membres de<br />

leur famille ayant accès au programme spécial de protection au<br />

moyen de :<br />

2) limitation des catégories d’infractions sur lesquelles peuvent porter<br />

les déclarations du collaborateur. De l’inclusion primitive de<br />

toutes les infractions prévues à l’article 380 C. proc. pén. (c’està-dire<br />

toutes les infractions pour lesquelles l’arrestation est obligatoire<br />

en cas de flagrant délit), on est passé aux seules infractions<br />

à desseins terroristes ou de criminalité organisée (cette dernière<br />

catégorie étant, à son tour, subdivisée en criminalité de<br />

type mafieux et criminalité visant la séquestration de personnes<br />

à des fins d’extorsion ou le trafic illicite de stupéfiants);<br />

3) nécessité pour les déclarations du collaborateur de répondre aux<br />

exigences de «fiabilité intrinsèque», de «nouveauté»,<br />

d’«exhaustivité» et d’«importance significative pour le déroulement<br />

de l’enquête»;<br />

4) fixation d’un délai péremptoire au terme duquel les déclarations<br />

doivent être faites;<br />

5) extension des bénéfices aux «témoins de justice»;<br />

6) modification du contenu des mesures de protection et gradation<br />

de la protection éventuelle en trois niveaux (mesures normales,<br />

prises en charge par l’autorité de police et, pour les détenus, par<br />

l’administration pénitentiaire; mesures spéciales et programme<br />

spécial de protection, du ressort de la Commission centrale);<br />

Enfin, le d. m. n° 161/2004, outre la fixation des critères suivant<br />

lesquels la Commission centrale met en œuvre les mesures spéciales<br />

de protection, a permis la mise en œuvre de l’un des plus importants<br />

domaines parmi les cinq ayant fait explicitement l’objet du<br />

renvoi prévu par la loi n° 45/2001, à savoir celui du contenu des<br />

mesures de protection. Ce décret a, par ailleurs, ajouté aux normes


lutte contre la criminalité en italie 231<br />

d’application de la loi n° 82/1991 de nombreuses dispositions de<br />

nature interprétative, lesquelles ont permis de dépasser certaines<br />

questions herméneutiques qui s’étaient posées au moment de l’établissement<br />

de la loi n° 45/2001. Il s’agit, entre autres, de la question<br />

de la nécessité de rédiger un procès-verbal relatif au contenu de la<br />

collaboration pour ceux qui avaient manifesté la volonté de se<br />

repentir avant l’entrée en vigueur de la loi n° 45/2001. Cette intervention<br />

s’est révélée vraiment nécessaire dans la mesure où l’ancien<br />

règlement (71) s’était limité à prévoir les modalités relatives au versement<br />

et au transfert de l’argent, des biens et des autres utilités<br />

indiqués par les collaborateurs de justice.<br />

Toutefois, même si le règlement récemment promulgué correspond<br />

à une période de relative régression du phénomène des repentis<br />

(et ce, notamment grâce aux pratiques restrictives largement<br />

adoptées par les procureurs et par la Commission centrale), et si son<br />

application devrait également permettre de rendre plus aisée et efficace<br />

la gestion des différentes mesures spéciales de protection, la<br />

législation italienne en matière de collaboration avec la Justice est<br />

loin d’être achevée. Avant tout, elle est encore dépourvue d’un<br />

règlement d’application des dispositions relatives aux conditions<br />

pénitentiaires des repentis, lequel devrait permettre de créer le<br />

cadre adéquat pour résoudre les problèmes apparus du point de vue<br />

de la possibilité et des modalités d’octroi des avantages pénitentiaires<br />

aux collaborateurs de justice. Force est de constater, par<br />

ailleurs, que ne sont pas même encore à l’état d’ébauche les règlements<br />

d’application de deux autres domaines d’importance manifeste,<br />

à savoir, d’une part, la fixation des modalités pour le maintien<br />

du poste de travail ou celles relatives au transfert confidentiel<br />

dans d’autres sites des collaborateurs et autres personnes sous protection<br />

et, d’autre part, la détermination de la part des biens confisqués<br />

à dédier à l’application des mesures spéciales de protection,<br />

ainsi qu’aux dons en faveur des victimes du terrorisme et de la criminalité<br />

organisée (prévus par la loi n° 302/1990).<br />

En revanche, l’analyse de la réglementation en vigueur révèle<br />

clairement que le système italien de récompense des collaborateurs<br />

de justice tend à s’ancrer sur des éléments normatifs plus rigoureux,<br />

(71) D. m. n° 263 du 24 juillet 2003 (Regolamento recante disposizioni attuative degli articoli<br />

19 e 24 della L. 13 febbraio 2001, n° 45), G.U. 17 septembre 2003, n° 216.


232 gaetana morgante<br />

dans une perspective qui vise à limiter le pouvoir discrétionnaire de<br />

décision. Cela dans le but de garantir le sérieux des démarches de<br />

collaboration et la rupture des anciens liens avec les organisations<br />

criminelles. Comme cela a été rappelé, suivant la logique utilitariste<br />

encouragée par la nouvelle législation dans le cadre des relations<br />

entre l’Etat et les prévenus coopérant avec la Justice, ces derniers<br />

seront d’autant plus enclins à collaborer qu’ils seront à même<br />

d’attendre avec suffisamment de certitude un geste de clémence.<br />

Du reste, il existe encore de nombreuses propositions de réforme.<br />

Les grandes lignes du débat de iure condendo peuvent être résumées<br />

comme suit :<br />

a) définition de critères encore plus sélectifs pour bénéficier du<br />

programme de protection et des bénéfices qui en résultent. En particulier,<br />

on réclame le caractère indispensable (72) des déclarations<br />

du collaborateur ainsi que, dans le but d’évaluer la situation de<br />

menace (73) dans laquelle celui-ci vient à se trouver suite à ses<br />

déclarations, l’analyse des réactions possibles du groupe criminel à<br />

l’aune du potentiel d’intimidation dont ce dernier peut faire usage<br />

au niveau local;<br />

b) nouvelle réduction du nombre des infractions sur lesquelles<br />

peuvent porter les déclarations;<br />

c) distinction nette entre la phase d’admission au programme de<br />

protection et celle d’octroi des bénéfices;<br />

d) fixation d’un délai péremptoire au terme duquel le collaborateur<br />

doit avoir déclaré tout ce qu’il sait (74);<br />

e) suppression générale des possibilités d’octroi de mesures de protection<br />

provisoires et, en particulier, de la part des autorités de<br />

police;<br />

(72) Actuellement, l’art. 9, al. 3 loi n° 82/1991 fait uniquement référence à «l’importance significative<br />

pour le déroulement de l’enquête ou aux fins du jugement».<br />

(73) Cass., Sez. I, 31 mai 1995, n° 2266, ric. Baikal. L’évaluation de la situation de danger<br />

dans laquelle le collaborateur se trouve relève de la compétence de la seule Commission centrale<br />

et non de celle du tribunal de surveillance, même lorsque ce dernier doit décider de l’application<br />

de la probation sous surveillance des services sociaux, laquelle, en raison de sa nature, peut rendre<br />

vaines les exigences de confidentialité liées à l’admission au programme de protection. Notons<br />

qu’une telle orientation jurisprudentielle vise, même si avec quelques réticences, à instituer une<br />

sorte de «monopole de l’évaluation» par la Commission, afin notamment de limiter au maximum<br />

la diffusion des informations relatives à la vie du collaborateur.<br />

(74) Et non seulement les informations nécessaires pour la reconstitution des faits en question<br />

et celles concernant des faits plus graves ou pouvant engendrer une alarme sociale, comme la loi<br />

le prévoit actuellement.


lutte contre la criminalité en italie 233<br />

f) diminution des allocations de subsistance et des avantages<br />

économiques;<br />

g) réévaluation du jugement de dangerosité sociale du collaborateur.<br />

La nécessité d’une telle mesure a déjà été avancée par la Cour<br />

de cassation (75), d’une part, afin de permettre à la Commission<br />

centrale de décider s’il est nécessaire d’appliquer certaines mesures<br />

de protection et, dans l’affirmative, de définir celles qui sont les<br />

plus appropriées du point de vue pratique et, d’autre part, pour<br />

octroyer les bénéfices légaux.<br />

4. – Le problème de l’anonymat des témoins<br />

dans la législation italienne<br />

Contrairement à la législation belge, et en particulier la loi du 8<br />

avril 2002, qui autorise − sous certaines conditions − que les témoins<br />

puissent garder totalement ou partiellement l’anonymat, le témoignage<br />

anonyme est exclu, en principe, par la réglementation italienne.<br />

L’anonymat des témoins irait en effet à l’encontre des principes<br />

fondamentaux en matière de témoignage définis par le Code<br />

de procédure pénale italien.<br />

4.1. – Le principe : l’interdiction<br />

du témoignage anonyme<br />

De façon générale, le témoignage anonyme s’oppose de manière<br />

irréductible aux fondements de la procédure accusatoire, et en premier<br />

lieu au principe d’oralité du contradictoire et de la preuve, tel<br />

qu’énoncé solennellement à l’article 111, al. 4 de la Constitution,<br />

selon lequel «le procès pénal est régi par le principe du contradictoire<br />

dans l’établissement de la preuve. La culpabilité du prévenu<br />

ne peut être établie sur la base de déclarations faites par quiconque<br />

(75) Cass., Sez. I, 11 décembre 1997, n° 5668, ric. Gennano. Lorsque la personne à l’égard de<br />

laquelle on a demandé l’application d’une mesure de prévention est admise au programme spécial<br />

de protection prévu pour les collaborateurs de justice, la persistance de sa dangerosité sociale<br />

doit être vérifiée sur la base d’élements factuels idoines à neutraliser la présomption, découlant<br />

de l’admission au programme, que la personne ait coupé tout lien avec les milieux criminels.<br />

Cass., Sez. VI, 24 juillet 1997, n° 2226, ric. Magliulo. L’octroi des avantages découlant de la<br />

condition de collaborateur de justice est totalement indépendant des motivations qui ont amené<br />

ce dernier à collaborer. Au contraire, aux fins de l’évaluation de sa dangerosité sociale, l’évaluation<br />

du repentir actif et concret du collaborateur à l’égard de ses activités passées et en rapport<br />

avec ses projets de vie est déterminante.


234 gaetana morgante<br />

se serait, de son plein gré, toujours soustrait volontairement à<br />

l’interrogatoire par le prévenu et son défenseur». Le sens de cette<br />

garantie d’oralité du témoignage réside dans le fait que, pour pouvoir<br />

être utilisé en tant que moyen de preuve, ce dernier doit émaner<br />

du sujet présent en audience et doit pouvoir faire l’objet d’un<br />

examen par toutes les parties du procès en cours, dont le but est de<br />

vérifier la véracité de ce qui est affirmé (76). Dans cette déclaration<br />

de principe, l’article 111 Const. envisage le fait probatoire non plus<br />

comme une logique «arithmétique» − suivant laquelle les connaissances<br />

acquises grâce à une information donnée sont valides et utilisables<br />

dans n’importe quelle étape de la procédure − mais<br />

«dialectique». La contribution dialectique des parties dans l’établissement<br />

de la preuve est fondamentale non seulement sur le plan des<br />

droits de la défense, mais aussi dans l’optique de la recherche de la<br />

vérité. Comme cela apparaît de façon emblématique dans les travaux<br />

préparatoires de la loi constitutionnelle n° 2/1999 (77), «le contradictoire<br />

sert avant tout le procès, car il sert la vérité et donc<br />

aussi la Justice».<br />

Cette même exigence d’oralité de la preuve inspire la règle de<br />

l’exclusion du témoignage de sujets révélant des faits connus par<br />

des individus liés par le secret professionnel (découlant d’une charge<br />

ou lié au secret d’Etat), pour autant que les individus liés par le<br />

secret n’aient pas été entendus à propos desdits faits ou ne les aient<br />

divulgués de quelque autre manière que ce soit, indiquant ainsi un<br />

comportement incompatible avec la volonté de garder le secret professionnel.<br />

Pour ce qui est des règles procédurales relatives au témoignage,<br />

l’inadmissibilité du témoignage anonyme est déterminée d’abord<br />

par la réglementation relative au phénomène du «témoignage<br />

indirect». L’article 195, al. 7 C. proc. pén. interdit expressément<br />

d’utiliser le témoignage de quiconque se refuse à indiquer − ou n’est<br />

pas en mesure de le faire − la personne ou la source lui ayant permis<br />

de prendre connaissance des faits examinés. L’interdiction susmentionnée<br />

est confirmée par celle d’acquérir et d’utiliser au plan procédural<br />

des déclarations faites par des informateurs confidentiels<br />

(76) La vidéoconférence représente une exception significative, justifiée par des motifs de<br />

sécurité et d’ordre public (cf. § 5).<br />

(77) Loi constitutionnelle n° 2 du 23 novembre 1999 (Inserimento dei princìpi del giusto processo<br />

nell’articolo 111 della Costituzione), G.U. 23 décembre 1999, n° 300.


lutte contre la criminalité en italie 235<br />

(dont le statut juridique ne fait l’objet d’aucune réglementation)<br />

dont les organes de police ou les services de sûreté de l’Etat n’ont<br />

pas révélé les noms (article 203 C. proc. pén.). Plus particulièrement,<br />

alors que les juges ne peuvent contraindre des officiers publics déposant<br />

au procès à révéler l’identité de leurs informateurs secrets, les<br />

déclarations faites par ces derniers ne pourront pas être utilisées<br />

tant qu’elles demeurent anonymes. Cette disposition prévoit, en<br />

outre, que l’interdiction d’avoir recours à des déclarations faites par<br />

des informateurs secrets ayant gardé l’anonymat doit valoir également<br />

dans les phases différentes de celle des débats (78) si les informateurs<br />

«n’ont pas été interrogés ou soumis à l’interrogatoire<br />

sommaire». La portée littérale de la norme témoigne du jargon propre<br />

aux pratiques de la police judiciaire mais, mise à part la maladresse<br />

linguistique, la disposition reflète l’exigence d’empêcher l’utilisation<br />

des déclarations des informateurs confidentiels dans toutes<br />

les phases de la procédure pénale et à quelque fin que ce soit. Dès<br />

lors, la référence à la règle générale de l’article 203 C. proc. pén. se<br />

justifie aussi lorsqu’il s’agit de montrer l’existence d’«indices<br />

graves» dans le but d’obtenir l’autorisation d’intercepter des conversations<br />

et des communications (art. 267, al. 1bis C. proc. pén.) ou<br />

la mise en place de mesures de prévention à caractère personnel<br />

(art. 273, al. 1bis C. proc. pén.). Il en résulte que l’existence<br />

d’«indices graves» ne pourra pas être invoquée sur la base de déclarations<br />

d’informateurs secrets de la police si cette dernière se refuse<br />

à en révéler l’identité.<br />

Une autre règle s’inspire de façon analogue du principe de l’oralité<br />

du contradictoire. Selon cette règle, lorsque le témoin fait référence<br />

à des faits ou circonstances dont il déclare avoir pris connaissance<br />

par des tierces personnes, ces dernières peuvent non<br />

seulement être d’office appelées à déposer au procès par le juge,<br />

mais doivent être convoquées sur demande des parties. A défaut, les<br />

déclarations du témoin ne pourront être utilisées aux fins du procès<br />

(art. 195, al. 1 er et 3 C. proc. pén.). A cette règle font seulement<br />

exception les cas où l’examen du témoin ayant connaissance directe<br />

des faits s’avère absolument impossible en raison de son décès, de<br />

son infirmité ou de l’impossibilité de le localiser.<br />

(78) Par exemple à l’audience préliminaire on en cas d’incident probatoire ordonné durant la<br />

phase de l’enquête préliminaire.


236 gaetana morgante<br />

Enfin, l’interdiction du témoignage anonyme est indirectement<br />

confirmée par la lettre de l’article 198 C. proc. pén., lequel impose<br />

au témoin l’obligation de se présenter au juge, de respecter les dispositions<br />

prescrites par ce dernier pour les besoins de la procédure<br />

et de répondre en vérité à toutes les questions qui lui sont posées.<br />

L’anonymat est donc en principe incompatible avec le statut juridique<br />

de témoin tel que régi par le Code de procédure pénale italien.<br />

4.2. – L’exception : les «témoins de justice»<br />

La situation est toutefois différente pour une catégorie particulière<br />

de personnes pour lesquelles − bien que l’interdiction générale<br />

de l’anonymat des témoins reste d’application − des formes de gestion<br />

particulières, et plus particulièrement la dissimulation de leur<br />

véritable identité, sont prévues. Il s’agit des «témoins de<br />

justice (79)» (art. 16bis loi n° 82/1991), c’est-à-dire des personnes qui<br />

sont entendues à l’égard de faits relatifs à des infractions de criminalité<br />

organisée, terroriste ou subversive (80) et exclusivement en<br />

qualité de :<br />

a) personne lésée par l’infraction,<br />

b) personne informée des faits,<br />

c) témoin,<br />

pour autant qu’aucune mesure de prévention n’ait été adoptée (81)<br />

à leur encontre aux termes de la loi n° 575 du 31 mai 1965 (82).<br />

Lorsqu’elles sont mises en danger par leurs déclarations, ces personnes<br />

peuvent faire l’objet de mesures de protection, peuvent être<br />

autorisées par décret à changer d’identité (art. 3 décret législatif<br />

n° 113/1993) et leur identité peut rester confidentielle dans le cadre<br />

de la procédure.<br />

Il n’y a pas lieu de faire une distinction entre témoins anonymes<br />

et témoins menacés. La dissimulation et la modification de l’iden-<br />

(79) La qualification de témoins «de justice» sert à les assimiler aux collaborateurs de justice<br />

en ce qui concerne l’objet de leurs déclarations. Ceux qui témoignent sur d’autres questions prennent<br />

le nom de «témoins» tout court.<br />

(80) Faits délictueux à caractère terroriste ou de subversion de l’ordre constitutionnel, d’association<br />

de malfaiteurs visant la réduction de personnes en esclavage, la traite de personnes ou<br />

l’achat et l’aliénation d’esclaves (art. 416, al. 6 C. pén.), d’organisation de type mafieux<br />

(art. 416bis C. pén.), d’enlèvement de personnes à des fins d’extorsion ou d’association dédiée au<br />

trafic de stupéfiants (art. 74 D.P.R. n° 309/1990).<br />

(81) Ni que la procédure d’adoption soit en cours.<br />

(82) Cf. note 2 supra.


lutte contre la criminalité en italie 237<br />

tité des témoins sont tolérées uniquement pour les témoins de justice<br />

qui sont, par définition, confrontés à un danger grave et imminent<br />

suite à leurs déclarations.<br />

Les données concernées par le changement d’identité des témoins<br />

de justice sont :<br />

1) nom et prénom;<br />

2) date et lieu de naissance;<br />

3) autres données concernant l’état civil et la composition familiale;<br />

4) données médicales et fiscales;<br />

5) situation patrimoniale;<br />

6) certificats d’études et professionnels;<br />

7) autorisations, licences, concessions et autres habilitations.<br />

A vrai dire, le témoin de justice, au même titre que le témoin<br />

stricto sensu, ne peut rester totalement anonyme. Même en cas<br />

d’admission au programme spécial de protection et au bénéfice du<br />

changement d’identité, les données relatives à l’identité antérieure<br />

sont retranscrites dans un registre spécial tenu auprès du Service<br />

central de protection (art. 14 loi n° 82/1991). Il ne s’agit dès lors pas<br />

d’anonymat à proprement parler, mais plutôt de la protection de<br />

l’identité antérieure afin d’empêcher que, suite à leurs déclarations,<br />

ces individus soient exposés au risque d’être reconnus par les personnes<br />

contre lesquelles ils témoignent.<br />

Les déclarations des témoins de justice ne peuvent ainsi être considérées<br />

comme véritablement anonymes, dans la mesure où la vraie<br />

identité de ces personnes est connue, même si c’est seulement par<br />

un nombre limité d’individus. Ces déclarations constituent, par conséquent,<br />

un moyen de preuve à part entière. Les déclarations faites<br />

par les témoins de justice qui bénéficient du décret de changement<br />

d’identité sont, en effet, retranscrites dans un procès-verbal joint<br />

dans son intégralité au dossier tenu par le procureur de la République.<br />

Les règles régissant la possibilité de s’appuyer sur les informations<br />

fournies par les témoins de justice sont celles définies de<br />

manière générale pour le témoignage au sens strict (art. 194 C. proc.<br />

pén.).<br />

Les modalités pour la prise de témoignage sont cependant liées au<br />

respect des formes prévues par le Code de procédure pénale pour les<br />

cas où le témoin est soumis à violence ou à intimidation, c’est-à-dire<br />

au moyen de l’incident probatoire (réglé par l’art. 392 et suivants C.


238 gaetana morgante<br />

proc. pén.), en vertu duquel l’audition du témoin se déroule en présence<br />

du juge, sous la forme d’une sorte de débats anticipés.<br />

4.3. – Le système de protection<br />

des témoins de justice<br />

L’introduction dans le système législatif italien, grâce à l’importante<br />

loi n° 82/1991, du statut juridique du témoin de justice a constitué<br />

une nouveauté absolue. La terminologie rappelle celle du<br />

«collaborateur de justice» et opère ainsi une fusion entre le lexique<br />

du droit matériel et celui du droit procédural. Le choix du législateur<br />

répond au souhait, formulé sous des formes diverses par les<br />

organes de police et par la magistrature avant même l’entrée en<br />

vigueur de la loi, de voir appliquer également aux témoins le système<br />

de protection pensé à l’origine uniquement pour les collaborateurs<br />

de justice, dans la mesure où, même en n’ayant pas la qualité<br />

de prévenus, les premiers peuvent eux aussi être exposés à des graves<br />

menaces en raison des déclarations faites.<br />

Par conséquent, conformément à l’article 16bis loi n° 82/1991, les<br />

mesures de protection spéciales visées aux articles 9 et 13, al. 5 de<br />

la loi s’appliquent, le cas échéant, à tout individu qui, eu égard aux<br />

faits délictueux au sujet desquels il fait des déclarations, assume<br />

exclusivement la qualité de personne offensée par l’infraction ou de<br />

personne informée des faits. Les mesures spéciales de protection<br />

dont les témoins de justice font l’objet s’appliquent également, si<br />

nécessaire, à leurs cohabitants ou toute personne vivant de manière<br />

habituelle avec lesdits témoins, de même que, le cas échéant, à<br />

toute personne qui vient à être exposée à des menaces graves, imminentes<br />

et concrètes en raison des relations entretenues avec eux.<br />

Nous avons vu, cependant, que l’octroi des mesures de protection<br />

est soumis à une condition négative : aucune mesure de prévention<br />

ante ou praeter delictum ne doit avoir été adoptée à l’égard du déclarant.<br />

Les témoins de justice se sont vu accorder une attention particulière<br />

dans le cadre du règlement établi par le décret ministériel<br />

n° 161/2004, lequel, dans son article 12, al. 5, impose à la Commission<br />

centrale de les rencontrer périodiquement, de sa propre initiative<br />

ou sur demande des intéressés, lorsque ceux-ci sont soumis aux<br />

mesures spéciales ou au programme de protection, afin de connaître


lutte contre la criminalité en italie 239<br />

leurs besoins et d’y répondre de la manière la plus appropriée. Cette<br />

disposition revêt une importance particulière dans la mesure où la<br />

lecture des dispositions consacrées aux témoins de justice inscrites<br />

dans la loi n° 82/1991 pouvait faire naître l’impression que ce statut<br />

juridique était, à plus d’un titre, minoris iuris par rapport à celui<br />

des collaborateurs, comme si les dispositifs de protection se désintéressaient<br />

des premiers une fois qu’ils avaient été utilisés dans le<br />

cadre de la procédure.<br />

4.3.1. – Le contenu des déclarations des témoins de justice<br />

A la différence de ce qui est prévu pour les collaborateurs de justice,<br />

en vertu de l’article 16bis loi n° 82/1991, les déclarations faites<br />

par les témoins de justice ne doivent pas nécessairement être caractérisées<br />

par leur nouveauté, leur exhaustivité et leur importance<br />

significative du point de vue de l’enquête. Elles doivent néanmoins<br />

posséder une fiabilité intrinsèque dans la mesure où l’adoption (coûteuse<br />

et complexe) du système de protection se justifie seulement si<br />

les déclarations faites sont à tout le moins fiables. Une telle précaution<br />

s’impose d’ailleurs du fait de la loi du silence et de l’intimidation<br />

courantes dans le contexte où s’inscrivent les déclarations de<br />

témoignage de tiers qui ne sont pas membres des organisations criminelles.<br />

Notons d’ailleurs que les témoins de justice ne peuvent pas non<br />

plus être prévenus ou coprévenus dans une autre procédure (que<br />

celle dans laquelle ils témoignent). En effet, la règle procédant de<br />

l’articulation de l’article 192, al. 3 C. proc. pén. et de l’article 197bis<br />

C. proc. pén. (selon laquelle les déclarations faites par le coprévenu<br />

d’une même infraction ou par le prévenu d’une infraction connexe<br />

sont jugées avec les autres éléments de preuve qui en confirment la<br />

fiabilité) irait à l’encontre des conditions associées au bénéfice des<br />

mesures de protection, et tout particulièrement à celle de la fiabilité<br />

nécessaire des déclarations.<br />

Par ailleurs, contrairement aux collaborateurs de justice, les<br />

témoins ne sont pas tenus de transmettre des informations relatives<br />

à la localisation de l’argent, des biens et des autres utilités résultant<br />

des activités des organisations criminelles. La portée des déclarations<br />

des témoins de justice est donc beaucoup plus large que celle<br />

des collaborateurs au sens strict. Ces déclarations sont documentées<br />

au moyen d’un procès-verbal en bonne et due forme au sens de


240 gaetana morgante<br />

l’article 16quater, al. 7 l. 82/1991 où il est stipulé que les «mesures<br />

spéciales de protection visées au Chapitre II et IIbis» (celui justement<br />

consacré aux témoins de justice) «ne peuvent être octroyées<br />

et, dans cette éventualité, devront être révoquées si (…) celles-ci ne<br />

figurent pas au procès-verbal relatif au contenu de la collaboration».<br />

La nécessité de rédiger un procès-verbal au sujet des déclarations<br />

répond au besoin d’éviter − comme cela se produisait avant l’entrée<br />

en vigueur, en 2001, de la loi modifiant la disposition fondamentale<br />

de 1991 − que les sujets dont les déclarations se rapportent à des<br />

faits peu ou nullement pertinents dans le cadre de l’enquête puissent<br />

jouir indifféremment des bénéfices légaux.<br />

4.3.2. – Les mesures de protection prévues pour les témoins de justice<br />

Conformément aux dispositions de l’article16bis, 1 er alinéa, les<br />

mêmes mesures de protection réservées aux collaborateurs s’appliquent<br />

aux témoins de justice. Comme c’est le cas pour les premiers,<br />

l’application des mesures est liée au principe de gradation qui<br />

s’étend des mesures normales de protection, en passant par les<br />

mesures spéciales jusqu’au programme spécial de protection à proprement<br />

parler. Le changement d’identité, le transfert en un autre<br />

lieu de résidence, le recours à des pièces d’identité de couverture<br />

dépendent dès lors de l’évaluation du danger auquel le témoin est<br />

confronté. Des mesures d’assistance peuvent aussi être adoptées,<br />

lesquelles visent à garantir un niveau de vie personnel et familial<br />

non inférieur à celui d’avant le début du programme, même au<br />

terme de la période de protection et jusqu’au moment où les sujets<br />

recouvrent la possibilité de jouir de leur propre revenu. En outre,<br />

lorsque le témoin de justice a accès aux mesures spéciales de protection,<br />

la Commission centrale peut prendre des mesures contingentes,<br />

y compris à caractère financier, pour favoriser sa réinsertion<br />

sociale (83); elle est également tenue de lui fournir un appui, technique<br />

et de conseil, en vue de bénéficier des mesures financières prévues<br />

par la loi n° 108/1996 (84) et par la loi n° 44/1999 (85).<br />

Nous avons aussi vu que le décret ministériel n° 161/2004 a<br />

accordé une attention particulière aux témoins de justice. Ce décret<br />

(83) Au sens de l’art. 13, al. 4 loi n° 82/1991.<br />

(84) Loi n° 108 du 7 mars 1996 (Disposizioni in materia di usura), G.U. 9 mars 1996, n° 58, S.O.<br />

(85) Loi n° 44 du 23 février 1999 (Disposizioni concernenti il Fondo di solidarietà per le vittime<br />

delle richieste estorsive e dell’usura), G.U. 3 mars 1999, n° 51.


lutte contre la criminalité en italie 241<br />

prévoit que l’on tienne compte du statut des témoins et des nécessités<br />

particulières qui y sont liées dans la mise en œuvre des mesures<br />

spéciales de protection et des programmes spéciaux de protection.<br />

Ces dispositions témoignent de l’importance du rôle de la<br />

Direction des investigations antimafia, laquelle, dans de nombreux<br />

rapports d’activité, avait souligné l’opportunité de réserver une plus<br />

grande attention au statut juridique des témoins de justice.<br />

L’apport de la DIA a été aussi fondamental du point de vue de<br />

la définition du contenu et des modalités d’application des mesures<br />

de protection. Celles-ci peuvent consister en (86) :<br />

a) des mesures normales de protection, qui peuvent être adoptées<br />

directement par les forces de police;<br />

b) des mesures spéciales de protection en cas de menaces d’une<br />

importance telle qu’elles ne peuvent être conjurées au moyen de<br />

l’adoption de mesures normales de protection, mais qui ne nécessitent<br />

pas le transfert en lieu sûr, de même que dans les cas où les<br />

intéressés, en tant que témoins, manifestent des réticences eu égard<br />

à l’idée du transfert en lieu sûr;<br />

c) un programme spécial de protection, prévu lorsque les menaces<br />

auxquelles sont confrontés les intéressés sont telles qu’elles rendent<br />

nécessaire le transfert en lieu sûr et à condition que les témoins ne<br />

s’opposent pas au transfert.<br />

Enfin, l’article 12, al. 4 d. m. n° 161/2004 prévoit que la Commission,<br />

par le biais du préfet, veille à ce que le témoin demeure en sa<br />

localité d’origine et poursuive ou reprenne les activités qu’il y<br />

menait, pour autant que des motifs de sécurité n’exigent pas son<br />

transfert en lieu sûr par le Service central de protection.<br />

5. – Participation aux débats<br />

à distance par vidéoconférence<br />

Aux termes de l’article 146bis des dispositions d’exécution du<br />

Code de procédure pénale (87), dans le cas de poursuites pour infrac-<br />

(86) En ce qui concerne leur contenu, ces mesures sont les mêmes que celles prévues pour les<br />

collaborateurs de justice (cf. § 3.4.3), à l’exception bien évidemment de celles inhérentes à la condition<br />

de prévenu ou de détenu.<br />

(87) Introduit par l’art. 2 loi n° 11 du 7 janvier 1998 (Disciplina della partecipazione al procedimento<br />

penale a distanza e dell’esame in dibattimento dei collaboratori di giustizia, nonché<br />

modifica della competenza sui reclami in tema di articolo 41bis dell’ordinamento penitenziario,


242 gaetana morgante<br />

tions liées à la criminalité organisée, la participation aux débats<br />

d’une personne qui est, à quelque titre que ce soit, incarcérée, peut<br />

s’effectuer à distance au moyen d’une liaison audiovisuelle. Une<br />

telle mesure est ordonnée, même d’office, par le président du tribunal<br />

ou de la cour d’assises, par décret motivé émis dans la phase des<br />

actes préliminaires aux débats et notifié aux parties au moins dix<br />

jours avant les débats. Le juge peut aussi en décider par ordonnance<br />

au cours des débats.<br />

Lorsqu’il s’agit de personnes bénéficiant du programme ou des<br />

mesures de protection, les précautions nécessaires à la protection de<br />

la personne soumise à l’examen doivent être déterminées − d’office<br />

ou sur demande des parties ou de l’autorité ayant ordonné le programme<br />

ou les mesures de protection − par le juge ou, en cas<br />

d’urgence, par le président du tribunal ou de la cour d’assises. Elles<br />

peuvent comprendre l’audition à distance.<br />

En vertu de l’article 147bis disp. exéc. C. proc. pén., il convient<br />

d’ordonner une audition à distance, mais à condition que le juge<br />

n’estime pas que la présence des personnes à entendre est indispensable,<br />

à l’égard :<br />

a) des personnes qui ont accès aux programmes ou mesures de protection,<br />

y compris de type urgent ou provisoire, en cas de poursuites<br />

pour une infraction liée à la criminalité organisée;<br />

b) des prévenus dans une procédure connexe pour des infractions<br />

liées à la criminalité organisée et lorsque ceux-ci doivent faire des<br />

déclarations dans une procédure pénale pour des infractions liées à<br />

la criminalité organisée;<br />

c) des personnes pour lesquelles un décret de changement d’identité<br />

a été émis. Dans ce cas, les précautions nécessaires sont prises afin<br />

d’éviter que le visage de la personne ne soit visible.<br />

Sur demande des parties, l’examen à distance est admis également<br />

pour :<br />

d) des nouveaux témoins devant être entendus en vertu de l’article<br />

495 C. proc. pén.;<br />

G.U. 6 février 1998, n° 30) et ultérieurement modifié par l’art. 15, al. 1 d.-l. n° 341 du 24 novembre<br />

2000 (Disposizioni urgenti per l’efficacia e l’efficienza dell’Amministrazione della giustizia,<br />

G.U. 24 novembre 2000, n° 275), transposé en loi (avec modifications) par l’art. 1 loi n° 4 du<br />

19 janvier 2001 (G.U. 20 janvier 2001, n° 16).


lutte contre la criminalité en italie 243<br />

e) les personnes à soumettre à examen dont la comparution aux<br />

débats pose de graves difficultés.<br />

5.1. – Les conditions d’application<br />

Les détenus pour des infractions liées à la criminalité organisée<br />

font l’objet d’un examen à distance, lorsque :<br />

a) il existe des motifs graves de sécurité ou de protection de<br />

l’ordre public. Dans l’exposé des motifs de la loi n° 11/1998, cette<br />

condition est directement rattachée aux procès de criminalité organisée<br />

puisque «la seule tenue des procès de criminalité organisée est<br />

susceptible de causer des dangers de nature telle, y compris sous la<br />

forme de l’intimidation des sujets impliqués, qu’ils influencent le<br />

cours du procès et vicient les sources de preuve»;<br />

b) les débats sont d’une complexité particulière et la participation<br />

à distance s’avère nécessaire pour éviter les retards dans leur déroulement.<br />

Les indications pour évaluer la complexité de la procédure<br />

découlent de la lettre de l’article 301, al. 2bis C. proc. pén., c’est-àdire<br />

le nombre élevé de personnes sous enquête ou offensées, la multiplicité<br />

des faits mis en relation ou l’existence d’infractions dont la<br />

constatation requiert des actes d’enquête à l’étranger;<br />

c) même en dehors des cas visés par a) et b), lorsque les poursuites<br />

portent sur des détenus auxquels sont appliquées les mesures<br />

d’urgence de suspension des conditions de traitement en détention<br />

aux termes de l’article 41bis loi pénitentiaire. Dans l’exposé des<br />

motifs de la loi, l’instauration de cette condition particulière permettant<br />

l’audition à distance est justifiée par la nécessité d’alléger<br />

les obligations liées au transfèrement des détenus et de parer aux<br />

risques y relatifs. L’utilisation de la vidéoconférence pour assurer la<br />

participation des sujets soumis aux mesures visées à l’article 41bis<br />

a également été motivée par la nécessité d’éviter que les transferts<br />

incessants puissent porter préjudice à l’efficacité des mesures de suspension<br />

des règles normales relatives aux conditions de détention<br />

pénitentiaire, adoptées pour les détenus dangereux et qui constituent<br />

un instrument fondamental pour garantir l’interruption des<br />

contacts entre les associés mafieux écroués et le reste de l’organisation.<br />

Ces conditions ne sont pas cumulatives. Par conséquent, les<br />

demandes d’autorisation relatives aux auditions à distance évo-


244 gaetana morgante<br />

quent assez fréquemment plusieurs conditions de légitimité. Cela<br />

permet d’éviter la caducité des dispositions dans leur ensemble en<br />

cas de rejet d’une seule de ces exigences.<br />

5.2. – L’audition à distance<br />

Le juge procède à l’audition. Un auxiliaire, désigné par le<br />

juge (88) et habilité à assister celui-ci en audience, est présent dans<br />

les lieux où se trouve le prévenu et en atteste l’identité. Dans les<br />

moments des débats où le prévenu n’est pas soumis à examen, le<br />

juge (89) peut demander, au lieu de l’auxiliaire, à un officier de<br />

police judiciaire d’être présent aux côtés du prévenu. Cet officier est<br />

choisi parmi ceux qui n’ont jamais participé à des activités<br />

d’enquête ou de protection relatives au prévenu ou aux faits dont<br />

ce dernier fait état.<br />

Lorsque la participation à distance est autorisée, une communication<br />

audiovisuelle est établie entre la salle d’audience et le lieu de<br />

détention, de manière à assurer la visibilité contextuelle, effective et<br />

réciproque des personnes présentes dans les deux lieux et la possibilité<br />

d’entendre ce qui est dit. Lorsque la mesure est adoptée pour<br />

plusieurs prévenus qui sont détenus, à quelque titre que ce soit,<br />

dans des lieux différents, chacun est également en mesure d’entendre<br />

et de voir les autres.<br />

Le lieu à partir duquel la personne qui doit être entendue se connecte<br />

par voie audiovisuelle est assimilé à la salle d’audience, ce qui<br />

permet d’utiliser ses déclarations sans réserve dans le cadre de la<br />

procédure.<br />

Si, au cours des débats, l’identification de la personne qui a fait<br />

l’objet d’un décret de changement d’identité s’avère nécessaire, de<br />

même que tout autre acte comportant l’observation du corps de<br />

cette dernière, le juge − lorsqu’il estime que cela est indispensable<br />

− autorise ou ordonne la citation de celle-ci ou ordonne son accompagnement<br />

forcé pour le temps nécessaire à accomplir cet acte.<br />

Lorqu’il s’agit d’une personne qui a été autorisée à changer<br />

d’identité, cependant, durant sa présence à l’audience, les débats se<br />

déroulent à huis clos. Si, toutefois, l’acte à effectuer ne suppose pas<br />

(88) Ou, en cas d’urgence, par le président.<br />

(89) Ou, en cas d’urgence, le président.


lutte contre la criminalité en italie 245<br />

l’observation de sa personne, le juge prend les précautions nécessaires<br />

pour éviter que son visage ne soit visible (art. 147ter disp. exéc.<br />

C. proc. pén.).<br />

5.3. – L’évolution normative<br />

L’idée d’une participation à distance à la procédure pénale de certains<br />

protagonistes, originellement étrangère à l’architecture de<br />

celle-ci, a été progressivement assimilée dans la structure du Code<br />

de procédure pénale italien grâce à trois interventions législatives.<br />

La «vidéoconférence» a connu une première application grâce à<br />

l’article 147bis des dispositions d’exécution du Code de procédure<br />

pénale, introduit en 1992 (90). Cette pratique nouvelle était alors<br />

limitée aux personnes collaborant avec la Justice et se justifiait par<br />

des nécessités de protection, ce qui avait déjà été expérimenté en<br />

Espagne, en Angleterre et aux Etats-Unis. Sa mise en œuvre avait<br />

néanmoins mis en évidence la nécessité d’élargir le champ d’application<br />

de la mesure aux prévenus d’infractions liées à la criminalité<br />

organisée. Ces sujets étaient, en effet, souvent appelés à répondre de<br />

plusieurs crimes devant diverses instances juridictionnelles, ce qui<br />

supposait un retard considérable et intolérable dans les procès<br />

entraînant le risque de libération en raison de l’échéance des délais<br />

de détention préventive, ainsi que la possibilité de contourner le<br />

régime d’isolement carcéral visé à l’article 41bis loi pénit. Des risques<br />

et des coûts importants étaient en outre engendrés par le<br />

transfèrement des détenus exposés à de graves dangers et à des<br />

menaces de la part de membres d’organisations criminelles de type<br />

mafieux.<br />

Par la loi n° 11 de 1998, le législateur italien a ainsi choisi d’étendre<br />

le champ d’application de cette modalité de participation au<br />

procès, prévue à l’origine uniquement pour les repentis, aux prévenus<br />

des procès liés à la criminalité organisée qui se trouvaient en<br />

état de détention.<br />

La loi n° 4 de 2001 a permis, enfin, d’étendre le champ d’application<br />

de la vidéoconférence aux audiences en Chambre du conseil et<br />

aux procédures abrégées. De même, elle a introduit la possibilité<br />

d’audition à distance du détenu soumis au régime carcéral spécial<br />

(90) Par l’art. 7, al. 2 loi n° 306/1992.


246 gaetana morgante<br />

en vertu de l’article 41bis loi pénit., même en l’absence des autres<br />

conditions prévues par la loi.<br />

Le principal problème d’interprétation soulevé par la réglementation<br />

de la participation à distance au procès provient de sa compatibilité<br />

avec les droits fondamentaux à caractère procédural, et en<br />

premier lieu celui portant sur l’exercice du droit à la défense. Dans<br />

l’exposé des motifs des différents textes législatifs cités, il est mentionné<br />

à maintes reprises que ce mode de participation au procès ne<br />

s’oppose pas aux principes fondamentaux de procédure pénale sanctionnés<br />

par la Constitution et par les textes internationaux. En<br />

effet, la participation au procès suppose la possibilité concrète<br />

d’exercer le droit à la défense dans le contradictoire avec l’accusation.<br />

Or, on peut considérer que la participation au procès est substantiellement<br />

possible même en l’absence de participation physique,<br />

dès lors que le prévenu est mis dans les conditions − par le biais<br />

d’une communication audiovisuelle adéquate − de pouvoir pleinement<br />

exercer les droits et les possibilités de se défendre qui lui sont<br />

reconnus.<br />

Selon les arguments avancés par une partie de la doctrine, il<br />

s’agit cependant de déclarations de principe «plus assertives que<br />

ressenties» (91) dans la mesure où, même dans le respect formel des<br />

droits fondamentaux, ce mode de participation reflétera toujours la<br />

«double voie» caractéristique à la fois du droit matériel et de la procédure<br />

pénale en matière de criminalité organisée de type mafieux.<br />

Il est donc l’expression d’un affaiblissement indéniable des droits<br />

procéduraux lorsque le chef d’inculpation est constitué par une<br />

infraction liée à la criminalité organisée.<br />

5.4. – Une légitimité mise en doute<br />

Les causes de perplexité sont en effet multiples quant à la légitimité<br />

(constitutionnelle et internationale) des normes relatives à la<br />

participation à distance aux débats.<br />

La première remarque concerne les autorités compétentes pour la<br />

prescription de cette mesure. En effet, il convient de rappeler que<br />

la mesure de la «vidéoconférence» peut s’appliquer à toutes les<br />

infractions visées à l’article 51, al. 3bis C. proc. pén. et donc, entre<br />

(91) Cf. D. Manzione, E. Marzaduri, Premessa al Commento alla legge 7 gennaio 1998, n° 11,<br />

Legislazione penale, 1999, p. 864.


lutte contre la criminalité en italie 247<br />

autres, aux infractions «commises en se prévalant de la méthode<br />

mafieuse visée par l’article 416bis C. pén.», c’est-à-dire, en principe,<br />

à celles ressortissant au tribunal siégeant à juge unique. Cette éventualité<br />

semble cependant opposer la règle régissant le champ<br />

d’application d’une telle mesure (les infractions visées à l’art. 51,<br />

al. 3bis C. proc. pén.) et celle qui préside à l’application de cette<br />

même mesure (laquelle doit être autorisée par décret du président<br />

du tribunal ou de la cour d’assises dans la phase des actes préliminaires<br />

ou par ordonnance du juge au cours des débats). En effet,<br />

lorsque l’infraction commise en se prévalant de la force d’intimidation<br />

des organisations de type mafieux relève des compétences du<br />

tribunal siégeant à juge unique et que la procédure se trouve dans<br />

la phase des actes préliminaires, la règle qui requiert la décision du<br />

président du collège ne peut pas être respectée. Pour éviter que, de<br />

manière paradoxale, le recours à l’audition à distance soit impossible<br />

lorsqu’il s’agit d’infractions liées à la criminalité organisée et<br />

ressortissant au tribunal siégeant à juge unique, il faut avoir<br />

recours à un exercice d’interprétation à la fois créative et conservatoire.<br />

Il convient en effet de considérer que, même dans ces cas,<br />

c’est le juge unique (et non le président du collège) en tant que<br />

«juge qui procède» qui doit ordonner la mesure. Ainsi, dans ce cas,<br />

en identifiant l’autorité compétente pour autoriser la participation<br />

à distance dans la personne du juge compétent pour le procès, la<br />

lettre du second alinéa de l’article 146bis disp. exéc. C. proc. pén.<br />

finit par être violée au motif d’une exigence supérieure consistant à<br />

prévenir les dangers inhérents aux procès de criminalité organisée,<br />

indépendamment du fait que les infractions concernées relèvent des<br />

compétences par matière d’un juge unique ou d’un collège.<br />

Un deuxième aspect, susceptible de donner lieu à des doutes du<br />

point de vue de la constitutionnalité de la réglementation de la participation<br />

«à distance», provient des formes que doit prendre la décision<br />

d’instaurer cette mesure. Au cours des actes préliminaires aux<br />

débats, il s’agit en effet d’un décret devant être notifié aux parties<br />

et aux défenseurs au moins dix jours avant la date fixée pour les<br />

débats. Dans la phase des débats, il s’agit, en revanche, d’une<br />

ordonnance, ce qui entraîne une différence de traitement sur le plan<br />

des mécanismes de notification de la mesure et des délais qui en<br />

découlent. Dans les travaux préparatoires de la loi, il avait été indiqué<br />

combien il est, en tout état de cause, nécessaire de prévoir un


248 gaetana morgante<br />

mécanisme adéquat pour faire connaître à temps et assigner un<br />

délai raisonnable aux intéressés suite à la décision de recourir à la<br />

vidéoconférence. Ce souhait est cependant demeuré lettre morte,<br />

bien qu’il s’agisse d’une condition fondamentale pour l’exercice du<br />

droit à la défense. Le seul moyen pour résoudre ce problème du<br />

point de vue pratique pourrait être celui de prévoir un report d’au<br />

moins dix jours dans l’éventualité où le recours à la vidéoconférence<br />

serait autorisé par ordonnance émise au cours des débats. Cela permettrait<br />

de ramener les deux éventualités à un traitement relativement<br />

équitable, tout au moins du point de vue des délais concédés<br />

à la défense.<br />

En troisième lieu, il faut épingler l’absence d’une disposition<br />

explicite permettant d’invalider la mesure suite à une violation des<br />

dispositions régissant l’autorisation au recours à la vidéoconférence<br />

et ses modalités d’exécution. Au cours des travaux parlementaires,<br />

on avait souligné la nécessité de limiter les cas de nullité absolue de<br />

la décision d’autoriser le recours à l’audition à distance aux seuls<br />

cas d’absence totale des conditions de fait et de droit prévues par<br />

la loi. Cette proposition n’ayant pas été entendue, il est nécessaire<br />

d’avoir recours aux règles générales de nullité établies par le Code<br />

de procédure pénale, ce qui entraîne des difficultés de coordination<br />

en raison de la spécificité de la décision d’autoriser la vidéoconférence.<br />

Différents doutes quant à la légitimité constitutionnelle des dispositions<br />

portant sur l’audition à distance sont finalement apparus.<br />

Parmi les principaux, il convient de rappeler :<br />

1) la contradiction avec les articles 3 et 24 de la Constitution, dans<br />

la mesure où l’absence physique du prévenu et l’absence consécutive<br />

d’un contact direct avec son défenseur lors des débats rendent<br />

difficile l’exercice du droit à la défense;<br />

2) la contradiction avec l’article 101, al. 2 Const., dès lors que l’obligation<br />

du recours à la vidéoconférence pour les détenus soumis<br />

à la disposition (administrative) visée à l’article 41bis loi pénit.<br />

peut assujettir subrepticement le juge au pouvoir exécutif (et<br />

plus précisément au ministre de la Justice);<br />

3) la contradiction avec l’article 10 Const., dans la mesure où la<br />

réglementation de la vidéoconférence viole la Convention européenne<br />

des droits de l’homme dans la partie où elle ne garantit<br />

pas l’égalité des armes lors de la participation au jugement.


lutte contre la criminalité en italie 249<br />

Pour l’heure, la Cour constitutionnelle a toujours considéré<br />

comme non fondées les questions de légitimité soulevées, en affirmant<br />

que les modalités définies par la loi pour l’autorisation et le<br />

déroulement de la participation à distance (et, en particulier, la visibilité<br />

et la perceptibilité auditive réciproque et contextuelle; la possibilité<br />

pour le défenseur de communiquer dans la discrétion avec<br />

son client; la constante activité de contrôle exercée par le juge sur<br />

le respect des modalités techniques de la communication) garantissent<br />

le plein exercice du droit à la défense. Il s’agit toutefois d’arguments<br />

formels qui trahissent l’intention de faire prévaloir les exigences<br />

liées à la gestion complexe des procès de criminalité<br />

organisée sur celles visant à garantir le plein exercice des droits à<br />

la défense indépendamment du degré d’alarme sociale engendré par<br />

la procédure.<br />

6. – L’élargissement des possibilités de saisie<br />

et de confiscation en matière pénale<br />

La loi n° 1423 du 27 décembre 1956 prévoit la possibilité d’adopter<br />

des mesures à caractère préventif (dites mesures de prévention<br />

personnelles) à l’égard de certaines catégories d’individus, considérés<br />

comme dangereux. En 1982, la possibilité d’appliquer de telles<br />

mesures aux individus soupçonnés d’appartenir à une organisation<br />

de type mafieux a été introduite dans la loi n° 575 du 31 mai 1965.<br />

Cette loi permet de soumettre à la surveillance spéciale de police, ou<br />

à l’obligation de séjour dans la commune du domicile ou d’habitation,<br />

toute personne soupçonnée d’appartenir à une organisation de<br />

type mafieux ou poursuivant des fins ou agissant selon des méthodes<br />

typiques des organisations mafieuses (art. 2 loi n° 575/1965).<br />

Toujours depuis 1982, cette loi permet aussi de confisquer les patrimoines<br />

de ces personnes, la privation des biens provenant des activités<br />

des organisations criminelles étant considérée comme un instrument<br />

fondamental dans la lutte contre celles-ci.<br />

Nous avons vu que des enquêtes peuvent être effectuées sur le<br />

patrimoine et les sources de revenu des présumés mafieux auxquels<br />

une mesure de surveillance spéciale de police est applicable (cf.<br />

§1.2). Dès que la procédure pour l’application d’une mesure de prévention<br />

personnelle est en cours, le tribunal peut ordonner, même<br />

d’office, la saisie de biens dont il estime que la personne concernée


250 gaetana morgante<br />

peut disposer directement ou indirectement lorsque, sur la base<br />

d’indices suffisants (tels que l’écart important entre niveau de vie<br />

et revenus officiels), il y a lieu de croire que ces biens sont le fruit<br />

d’activités illicites ou participent de leur réutilisation (art. 2ter loi<br />

n° 575/1965).<br />

Une fois que les mesures de prévention à caractère personnel ont<br />

été appliquées à l’égard de la personne soupçonnée d’appartenir à<br />

une organisation de type mafieux, le tribunal ordonne la confiscation<br />

des biens saisis dont celle-ci n’a pas pu démontrer la provenance<br />

légitime. En cas de risque réel de disparition, soustraction ou<br />

aliénation de biens pouvant faire l’objet de confiscation, le procureur<br />

de la République et le chef de la police peuvent demander au<br />

tribunal compétent la saisie anticipée des biens avant même la fixation<br />

de l’audience. Dans le cas des enquêtes particulièrement complexes,<br />

la saisie peut être formellement ordonnée même jusqu’à un<br />

an après la saisie effective.<br />

Comme cela a été rappelé, l’article 12sexies d.-l. n° 306/1992 prévoit<br />

des cas particuliers de confiscation et établit que, en cas de<br />

condamnation pour infraction relevant de la criminalité organisée,<br />

on ordonnera toujours la confiscation de l’argent, des biens et<br />

autres utilités dont le condamné dispose, directement ou par personne<br />

physique ou juridique interposée, et dont il ne peut justifier<br />

la provenance, dès lors que leur montant est disproportionné par<br />

rapport au revenu ou à l’activité économique de celui-ci.<br />

Enfin, l’article 15, al. 5 loi n° 228/2003 a introduit dans le Code<br />

pénal un article 600septies prévoyant que, pour les infractions relevant<br />

de la traite de personnes, en cas de condamnation ou d’application<br />

de la peine sur demande de parties en vertu de l’article 444<br />

C. proc. pén., on ordonnera toujours la confiscation des objets,<br />

moyens et produits de l’infraction (art. 240 C. pén.). En cas<br />

d’impossibilité de confisquer les biens qui représentent le prix ou le<br />

profit de l’infraction, la confiscation portera sur des biens dont le<br />

coupable dispose pour une valeur équivalente audit profit. Une<br />

même hypothèse de confiscation par équivalent est prévue à l’article<br />

644, al. 6 C. pén. (92), prévoyant que, dans l’éventualité d’une<br />

condamnation pour usure, l’on ordonnera toujours la confiscation<br />

des biens constituant le prix ou le profit de l’infraction, ainsi que<br />

(92) Tel que modifié par l’art. 1, al. 1 er loi n° 108/1996.


lutte contre la criminalité en italie 251<br />

les sommes d’argent, les biens et utilités dont le coupable dispose,<br />

même par personne interposée, pour un montant égal à la valeur<br />

des intérêts et autres bénéfices ou compensations d’usure, sauf<br />

l’exercice des droits par la personne offensée à la restitution et au<br />

dédommagement.<br />

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