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d’automne, souple et jaune. Le ciel était pur, les arbres<br />
immobiles. Je m’assis sur une pierre. Je desserrai le nœud<br />
de ma cravate et défis le premier bouton de ma chemise<br />
afin de sentir sur mon cou la caresse de l’air. Un homme<br />
venait dans ma direction. Un paysan qui descendait vers<br />
le bourg. Et haow avec le bras, a dalhar, un paysan décidé,<br />
jamais malade, jamais de cachets, jamais d’aspirine, ça<br />
abîme le sang.<br />
Je préparais ma phrase. Non pour engager une<br />
conversation, mais pour entendre claquer l’inévitable<br />
réplique, la remarque du coin, la formule du cru.<br />
— Quelle belle journée, vraiment qu’il fait beau! dis-je.<br />
Et l’homme aussitôt :<br />
— Taisez-vous ! On va le payer, pauvre, on va le<br />
payer !<br />
Pas de cadeau ici-bas. Misère toute. Les mémés en<br />
parlent toujours. L’Église n’a pas arrangé les choses. Au<br />
contraire. Tous à l’école de la résignation. Sainte<br />
Catastrophe, priez pour nous. Fini l’esprit d’aventure.<br />
Tous préfets ou CRS.<br />
Quelques élèves d’occitan viennent des Baronnies. Ils<br />
ont gardé leur accent rocailleux. Ceux qui l’avaient perdu<br />
le retrouvent très vite au bout de quelques leçons. Les<br />
vieux mots, en eux, reprennent le dessus et vont au Bac.<br />
Les vieux mots. Les mots gascons. Hier barbares et<br />
criards, aujourd’hui livides et aphones, pareils à ces<br />
mémés rabougries et édentées, assises près du feu sur<br />
leurs chaises basses, qui les ont inventés et qui n’ont<br />
personne à qui les dire. Pauvres mots que l’on prolonge<br />
un peu à l’école, comme on prolonge un peu les mémés à