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XV<br />
JE ne roulais pas vite, j’avais éteint l’autoradio et je<br />
rejoignais le Collège. Autour de moi, quatre mille hectares<br />
de landes, et, longeant par endroits la route grise, les<br />
immenses structures métalliques noires, enserrant au<br />
bout de leurs bras maigres les câbles à haute tension.<br />
Quelques maisons basses, des chevaux auréolés de leur<br />
propre haleine, le soleil froid, l’herbe luisante et blanche.<br />
Personne sur cette route étroite et gelée, qu’empruntent,<br />
chaque jour, les 504 diesel des professeurs du Collège.<br />
J’étais parti très tôt. J’étais donc seul sur cette lande<br />
maudite, la Lande du Bouc, haut lieu de la sorcellerie,<br />
territoire aigu et vide. Je m’aventurais seul sur ces terres<br />
inhospitalières, je traversais lentement ces hectares de<br />
ronces, pareil aux pèlerins de Saint-Jacques que<br />
détroussaient jadis, avant de les assassiner, les hordes de<br />
brigands. Mais moi je ne cours aucun danger. Car je suis<br />
de la race des brigands. Je suis leur descendant direct et<br />
secret, leur bâtard fidèle et cruel. Je vous l’ai dit plus<br />
haut : ce pays est mort. Plus d’aventure. Nous fûmes<br />
brigands, aventuriers en Louisiane, danseurs de tango à<br />
Buenos Aires et nous rêvons de finir CRS ou Préfet. Mais<br />
moi j’éclate d’un rire terrible. Car je sais que tout n’est<br />
pas perdu : reste la Lande du Boue. Le vent souffle sur<br />
elle comme sur une cendre chaude. La flamme jaune brille<br />
dans l’œil du crapaud. Et moi, qui, dans les Barronies,<br />
terres vertes et grasses, empale impitoyablement les<br />
dernières bergères, membres de la tribu des néoruraux,