FEU ET LUMIERES - Institut du Monde Arabe

Débarquement de Bonaparte en Egypte
Charles Lemire
Palais des Beaux-Arts de Lille
© RMN. Photo : René-Gabriel Ojéda
Les cinq divisions se mettent, donc, en carrés – ou plutôt, en
parallélogrammes, à l’intérieur desquels les équipages et les
civils sont protégés –, aux cris de : « Les ânes et les savants au
milieu ! », comme le rapporte la petite histoire. Les Mamelouks,
déconcertés, font le tour des carrés sans y trouver de failles,
essuient quelques pertes et se retirent…
Au Caire, la consternation est grande. La proclamation de
Bonaparte a jeté le trouble : « Il y en avait qui disaient que la
venue des Francs était par ordre du Sultan [ottoman], et qu’il
y avait parmi eux des Pachas de chez le Sultan », écrit le grand
historien égyptien Abd al-Rahman al-Jabarti, contemporain
de l’expédition. Les Mamelouks organisent la défense de la
ville. Ibrahim Bey, sur la rive droite du Nil, Mourad Bey, sur la
rive gauche, s’emploient à faire construire des fortifications
par la population inquiète, sinon terrorisée. Les deux beys
demandent aussi de l’aide aux grandes confédérations
bédouines ; et l’arrivée en ville des nomades augmente
encore la panique.
Le choc a lieu le 21 juillet dans la localité d’Imbaba.
Toutefois, pour des raisons de prestige, ce combat sera
baptisé « bataille des Pyramides ». C’est alors que l’on
prête au général cette célèbre harangue : « Soldats !
Songez que du haut de ces monuments quarante
siècles vous contemplent ». Quoi qu’il en ait été,
Bonaparte et ses troupes mettent en déroute, pour
la seconde fois, les forces de Mourad… Assistant à
cette débandade depuis l’autre rive du fleuve,
Ibrahim décide de prendre lui aussi la fuite, au
prix de l’abandon de la capitale.
Jabarti est très dur avec le comportement des
Mamelouks, qu’il décrit : « irrésolus, se méfiant
les uns des autres, différant d’avis, s’enviant
mutuellement, préoccupés de leurs vies, de
leur bien-être et de leur confort, noyés dans
leur ignorance et leur présomption, fiers de
leurs tenues et pleins de suffisance, redoutant
le manque d’effectif, exhibant leur
beauté et leurs bijoux, inconscients des
conséquences de leurs actes, méprisant
leurs ennemis, incapables de voir et de
juger sainement, à l’inverse de l’autre
partie, les Français (…), lesquels agissaient
comme s’ils suivaient les enseignements
de la communauté [umma] des débuts de
l’Islam et paraissaient comme les
combattants du jihad ».