FEU ET LUMIERES - Institut du Monde Arabe
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encore H. Laurens. Si bien qu’à l’occasion d’une<br />
épidémie de peste dévastatrice, Ibrahim et<br />
Mourad peuvent rentrer au Caire, reprendre le<br />
pouvoir et mettre à nouveau le pays en coupe<br />
réglée. C’est la situation que trouvera<br />
Bonaparte en arrivant.<br />
Plus profondément, le XVIII e siècle est<br />
aussi, en Egypte, le moment de<br />
changements structurels importants.<br />
Le commerce et l’agriculture égyptiens<br />
évoluent considérablement. Le café, en provenance<br />
<strong>du</strong> Yémen, et qui constitue une grande<br />
part <strong>du</strong> commerce de l’Egypte, est concurrencé,<br />
à partir de 1726, par les récoltes des Antilles…<br />
L’économie-monde ottomane se fissure.<br />
Parallèlement, la pénétration économique<br />
européenne commence à se faire sentir.<br />
Le marché européen réclame des matières<br />
premières agricoles, comme le coton, et des<br />
denrées alimentaires. L’investissement rural –<br />
ren<strong>du</strong> plus efficace par la privatisation de<br />
l’iltizam – devient d’autant plus rentable que se<br />
mettent en place, dans les campagnes, des<br />
procédés d’irrigation permanente indépendants<br />
de la crue <strong>du</strong> Nil.<br />
Ces procédés hydrauliques et la construction d’un<br />
système de barrages représentent, en fait, un<br />
changement considérable, dans la mesure où cette<br />
irrigation pérenne permet une exploitation<br />
intensive de la terre sans aucune jachère.<br />
Provoquée par la demande croissante <strong>du</strong> marché<br />
européen, elle constitue une rupture fondamentale<br />
par rapport au système hérité des pharaons. Elle<br />
est ren<strong>du</strong>e possible par le réinvestissement des<br />
capitaux urbains dans la campagne égyptienne et<br />
est, « dans sa genèse comme dans son application,<br />
l’œuvre de la société égyptienne », ainsi que le<br />
constate Henry Laurens.<br />
Cette évolution technologique se met en place<br />
très progressivement et <strong>du</strong>rera encore pendant<br />
tout le XIX e siècle. Parce qu’elle sous-tend une<br />
nouvelle structure d’échanges – matières<br />
premières égyptiennes contre pro<strong>du</strong>its manufacturés<br />
européens –, elle a des conséquences<br />
sur l’économie de l’Egypte toute entière.<br />
Mais les changements sont aussi politiques :<br />
« la période est également révolutionnaire »,<br />
écrit H. Laurens, « les différents<br />
groupes sociaux se sont placés dans<br />
la compétition pour le pouvoir depuis<br />
que les Ottomans ont fait appel au<br />
sentiment islamique afin de soulever<br />
les dominés sous la direction des<br />
ulémas contre les Mamelouks ».<br />
Si Bonaparte, en débarquant à<br />
Alexandrie, a sans doute raison d’assurer,<br />
faisant allusion à Ibrahim et à Mourad<br />
Beys, que « depuis trop longtemps, ce<br />
ramassis d’esclaves achetés dans le<br />
Caucase et la Géorgie tyrannise la plus belle<br />
partie <strong>du</strong> monde », il ne tient compte, en<br />
l’occurrence, que d’une conjoncture particulière<br />
et omet d’apercevoir les changements<br />
structurels plus profonds dont l’Egypte a été<br />
le théâtre au cours <strong>du</strong> siècle écoulé. Pour cette<br />
raison, nombre d’historiens égyptiens – ainsi<br />
que l’analyse Imad Abou Ghazi, membre <strong>du</strong><br />
Haut-Conseil à la culture égyptien, dans le catalogue<br />
de l’exposition –, considèrent que les origines<br />
« <strong>du</strong> Réveil arabe sont bien antérieures à<br />
l’expédition française » et que « la conscience<br />
collective égyptienne a précédé l’expédition » ;<br />
certains estimant même, selon le même auteur,<br />
que « ce contact avec l’Occident » qu’a constitué<br />
l’expédition « n’a fait que compromettre les possibilités<br />
d’une véritable renaissance dont les prémices et les<br />
bases sociales se laissent percevoir dans la société<br />
égyptienne de la seconde moitié <strong>du</strong> XVIII e siècle ».<br />
Vue intérieure de l'atelier <strong>du</strong> tisserand<br />
Nicolas-Jacques Conté<br />
Planche de la Description de l’Egypte<br />
<strong>Institut</strong> d’Orient<br />
© Naguib-Michel Sidhom