FEU ET LUMIERES - Institut du Monde Arabe

S’il est vrai que les Français « n’ont pas atténué la grande
misère des fellahs », ni « percé l’isthme de Suez », les
conséquences de l’expédition scientifique pour la postérité
se concrétisent à travers la somme incroyable de matériel et
de données recueillis. Les savants, en effet, « ne rentrent pas
les mains vides. Même si la capitulation finale les prive de la
pierre de Rosette et de plusieurs beaux morceaux d’antiquité,
ils rapportent dans les bagages personnels que le vainqueur
leur laisse, des collections importantes et les matériaux d’une
enquête approfondie, scientifique, économique, ethnologique
même, sur un pays qui les a fascinés (…). Leur moisson est
immense », indique Yves Laissus dans l’article du catalogue
intitulé Les « Savants » et leurs travaux.
Au tout premier rang de cette extraordinaire récolte, figurent les
relevés, planches et descriptions des monuments de Haute-Egypte
qui vont permettre que se dévoile, pour la première fois avec autant
de force, cette Egypte antique, fascinante et mystérieuse. Ces
travaux ont été effectués dans des conditions particulièrement
pénibles et périlleuses pour leurs auteurs, qui pénètrent la région
dans le sillage du général Desaix, lui-même à la poursuite de Mourad
Bey. Attaqués par l’ophtalmie, menacés par les bédouins, privés de
ravitaillement – au point de fabriquer des crayons avec des balles de
plomb fondues dans des roseaux ! –, ces dessinateurs, ingénieurs et
autres architectes parviennent pourtant à produire un travail critique
et inspiré, fruit d’une réflexion approfondie et d’un sens de l’observation
aiguisé.
A la veille de quitter définitivement Le Caire, l’un des derniers actes de
Bonaparte en Egypte consistera à désigner deux commissions
scientifiques tout spécialement chargées de l’étude des principaux
monuments de la vallée du Nil. Sont membres de celles-ci quelque
quarante « savants » parmi les plus prestigieux – Costaz, Fourier, Le Père,
Méchain, Redouté, Delile, Geoffroy Saint-Hilaire, Villoteau… –, représentant
toutes les disciplines. L’œuvre qu’accomplissent ces hommes constitue, à
l’évidence, l’un des aspects les moins contestables de l’expédition : la transmission
aux générations futures de l’héritage monumental d’une des plus
grandes civilisations de l’histoire de l’humanité.
Dès février 1802, quelques mois à peine après qu’a pris véritablement fin
l’expédition, Bonaparte, devenu Premier Consul, décide de la publication, sous
l’autorité du gouvernement et aux frais de celui-ci, de la Description de l’Egypte,
ouvrage colossal dont la parution s’étendra sur quelque trente années (elle sera
achevée en 1829), mettant à contribution quarante-trois auteurs, quatre-vingts
artistes et deux cent quatre-vingt-quatorze graveurs. La Description comprend
cent cinquante-sept mémoires, quarante-sept cartes géographiques et neuf cent
vingt-cinq planches dont certaines, atteignant le mètre de longueur, vont
nécessiter la création d’une presse spéciale mise au point par Nicolas Conté. Il
faudra même fabriquer un meuble spécifique pour contenir l’ouvrage…
Portrait de Dominique Vivant Denon - Robert Lefèvre
Musée des Beaux-Arts de Caen
© Musée des Beaux-Arts de Caen. Photo : Martine Seyve